Intervention de Bruno Racine

Réunion du 10 avril 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Bruno Racine :

Le registre ReLIRE des livres du XXe siècle indisponibles est un sujet en soi. Ce projet a pour point commun avec ceux qui ont été évoqués aujourd'hui d'être financé par les investissements d'avenir. Le rôle de la BnF est de publier un registre et de mettre les ouvrages du dépôt légal à disposition du projet pour leur numérisation. J'y reviendrai, le cas échéant, en une autre occasion.

Monsieur Rogemont, même si notre partenaire est une société américaine, les recrutements se feront en France ; quarante emplois seront créés pour ces deux projets. L'effet de levier est le suivant : pour ces deux opérations, dont le coût global est de 15 millions d'euros, notre filiale BnF-Partenariats a reçu de la Caisse des dépôts, gestionnaire du Fonds national pour la société numérique, 5 millions d'euros accordés par le commissariat général à l'investissement dans le respect des critères imposés par les critères de « l'État investisseur avisé ».

Vous m'avez interrogé sur la procédure qui a conduit à la signature des contrats. En juillet 2011, un appel public à partenariats a été lancé. Les projets offrant des perspectives concrètes de partenariat public-privé ont été soumis – non par la BnF mais par le ministère de la culture – au commissariat général à l'investissement, dont le comité d'engagement « Investisseur avisé » s'est prononcé. J'y insiste : la BnF a agi dans une parfaite transparence à l'égard de sa tutelle. Lors de l'étape décisive, celle qui conditionne l'octroi des fonds, la BnF n'est pas présente au débat : c'est le ministère, représenté par la direction générale des medias et des industries culturelles et par le cabinet du ministre, qui intervient. Ensuite vient la phase finale de négociation du contrat.

Beaucoup de questions ont porté sur la comparaison des contrats conclus par ProQuest en Europe. J'ai indiqué les différences, mais je vais les synthétiser. En France, à la BnF, seront accessibles potentiellement à 3 000 lecteurs chaque jour non seulement les originaux mais aussi la version numérisée. Il y a aussi accès à l'ensemble de la base de données ProQuest, c'est-à-dire aussi aux ouvrages de la même époque numérisés au Danemark, en Italie, en Allemagne… avec des fonctionnalités de recherche que Gallica n'offre pas. La plus-value est donc réelle. Encore une fois, il s'agit d'un programme de niche : 70 000 ouvrages sur des centaines de milliers, sinon des millions, par ailleurs.

Le financement des licences nationales provient également du commissariat général à l'investissement. Si, dans le cadre de ce contrat, on avait élargi l'accès au fonds numérisé, il aurait fallu compenser la diminution de recettes induite de ce fait pour nos partenaires privés, et pour cela accepter de leur concéder une période d'exclusivité plus longue et de percevoir une moindre redevance.

Les autres bibliothèques nationales, madame Attard, perçoivent des royalties bien moins élevées que celles que nous avons négociées, et dans notre cas, elles sont réinvesties dans le programme lui-même. Par ailleurs, dans le cadre de ce contrat, il nous faut recruter du personnel supplémentaire, alors que les emplois de titulaires décroissent. Le coût total du projet de numérisation des livres anciens est de 6,5 millions d'euros, dont 3,6 millions concernent la numérisation proprement dite et 2,9 millions les autres coûts – notamment le coût du personnel supplémentaire. Pour couvrir cela, nous avons reçu 2,5 millions d'euros du commissariat général à l'investissement ; le solde viendra des redevances que nous versera progressivement ProQuest. Une fois l'équilibre atteint, les redevances financeront le fonctionnement de la filiale et, je l'espère, d'autres projets de numérisation. J'admets que la construction puisse faire débat sur certains points, mais nous voulons en effet enclencher une machine économique rentable qui permettra non seulement de gérer ces deux projets mais aussi d'en porter d'autres.

Le projet de numérisation des collections sonores a un coût total de 9 millions d'euros ; 7,6 millions d'euros serviront à la numérisation proprement dite et 1,3 million d'euros correspondent principalement aux coûts de personnel. Là encore, BnF-Partenariats investit 2,5 millions d'euros.

Si, avec l'accord du ministère, nous avons accepté que l'accès soit dans un premier temps restreint aux lecteurs de la BnF, c'est en raison de la souplesse qu'offre la possibilité de mettre en ligne 5 % des documents numérisés au bénéfice des chercheurs, et parce que le dispositif retenu permettra à la France de bénéficier d'un prix de licence inférieur à celui défini pour les autres pays européens. Il est exact que la licence nationale ne permettra pas à n'importe quel particulier d'avoir accès à la base ProQuest. Si vous cherchez, madame Attard, à me convaincre que l'internet est une révolution, je pense pouvoir dire que la démarche entreprise par la BnF en est une illustration et non l'inverse. Ce que nous faisons en matière de libre accès universel et gratuit est sans équivalent dans le monde. Il y aura certes une exception, mais il s'agit d'une restriction temporaire, sous une forme qui permettra en soi une démultiplication de l'accès à des documents dont l'accès est actuellement fortement restreint.

Je ne pense pas que la contestation juridique de la concession de droits d'utilisation prospérera, d'autant que les droits concédés ne sont pas exclusifs. Il n'y a aucune privatisation du domaine public, et je pense que d'autres partenaires s'intéresseront au moins à une partie de ces données.

Madame Sommaruga, si des dommages sont constatés, le contrat prévoit la restauration des ouvrages abîmés. Il est vrai que les crédits de restauration « classique » de la BnF sont en baisse, mais la numérisation est aussi un élément de politique de conservation : elle permet que les ouvrages, communiqués sous forme numérique, ne soient plus manipulés.

M. de Mazières m'a interrogé sur l'équation budgétaire de la BnF. La perspective n'est pas définitivement arrêtée pour 2014 et 2015, années dont on nous dit que, quoi qu'il en soit, elles ne seront pas faciles. En 2013, la BnF doit faire un effort assez considérable puisque, outre le prélèvement de 2 millions d'euros sur le fonds de roulement opéré fin 2012, on annonce un surgel de 3,4 millions d'euros. Je viens donc de proposer au conseil d'administration un budget rectificatif en baisse de 5,4 millions d'euros. Soixante-et-un pour cent de notre budget est consacré à la masse salariale. La BnF gère désormais son propre personnel, et elle ne reçoit plus de compensation des facteurs d'accroissement de la masse salariale que sont les très fortes augmentations du taux des cotisations pour pensions civiles. Aussi, selon nos projections, en dépit de la baisse prévue de l'effectif de 159 équivalents temps plein pour la période 2013-2015, la masse salariale devrait demeurer à peu près constante. Les réductions budgétaires portent donc sur le fonctionnement et les investissements. Autant dire que si, dans un monde idéal, nous ferions avec notre budget propre ou avec la subvention du CNL beaucoup plus que nous ne faisons aujourd'hui, cela ne nous paraît pas être une perspective réaliste à court terme.

Je souhaite insister sur un point : notre obsession c'est que ce que nous numérisons soit immédiatement si cela se peut, ou le plus vite possible, en accès universel et gratuit. À ce sujet, j'ai trouvé assez piquant que d'aucuns me reprochent de ne pas avoir conclu d'accord avec Google… Un accord avec Google permet certes un accès universel, mais on sait que d'autres limitations interviennent. L'intérêt d'une controverse n'est pas de bloquer les choses – car il serait très dommageable de renoncer aux investissements d'avenir – mais de les clarifier de manière à être largement entendu, sachant que tout est écrit dans les documents.

Nous avons en particulier essayé de coller au plus près aux recommandations du « Comité des sages », dont j'ai suivi les travaux de très près. Le Comité encourage les États membres de l'Union européenne à conclure de tels partenariats. Mais les autres pays n'ont pas de Centre national du livre ; ce type de contrat représente donc la quasi-totalité de leur programme de numérisation et l'on peut comprendre qu'il soit vital pour eux de rendre l'accès possible aux documents numérisés sur tout leur territoire. Pour ce qui les concerne, la période d'exclusivité est de sept ans calculés à partir de la fin de l'investissement ; pour nous, elle est de dix ans au total, mais il existe plusieurs manières de calculer cette durée. Pour les collections sonores, au bout de dix ans il n'y aura plus aucune exclusivité : ce qui aura été numérisé en premier aura été en accès privilégié pendant dix ans, ce qui sera numérisé à la fin, c'est-à-dire au but de 7,5 ans, ne sera couvert par cette clause que pendant 2,5 ans, si bien que la période moyenne de restriction d'accès sera effectivement de 7 ans.

S'agissant du contrat passé avec ProQuest, la période d'exclusivité prendra fin entre 2023 et 2028, ce qui représente une moyenne de 7 ans et quelques mois. Nous sommes donc aussi dans l'esprit de la recommandation du « Comité des sages ». L'Association des bibliothèques nationales européennes avait elle-même recommandé, avec réalisme, une durée de dix ans, mais ma collègue allemande m'avait alors dit : « Nous préférons écrire "sept ans", ce qui vous mettra en meilleure position pour négocier avec les partenaires privés, mais nous savons que le modèle économique suppose plutôt une durée d'exclusivité de 10 ans ». Il va de soi qu'une fois cette période expirée, tous les ouvrages numérisés seront accessibles par le biais de Gallica et d'Europeana.

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