Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 19 juin 2013 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, président :

Merci, madame la ministre, pour cette intervention très complète. Je me garderai bien d'entrer dans le vif du sujet, m'étant déjà exprimé à plusieurs reprises sur le rapport : vous connaissez, madame la ministre, mes chers collègues, mes réserves sur le nouveau rôle qu'il propose de donner au CSA, sur le maintien de la riposte graduée, fût-ce sous la forme d'une amende, ou encore sur la réflexion relative au statut des échanges non marchands, laquelle ne me paraît pas assez poussée. Je me contenterai d'une réflexion d'ordre législatif.

Comme plusieurs d'entre vous, j'ai vécu le débat sur la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite « loi DADVSI », en 2005, puis celui sur la « loi Hadopi » en 2009, avant le présent débat sur le rapport Lescure. Vous connaissez le fameux précepte : il ne faut toucher aux lois que d'une main tremblante ; or je fais partie de ceux qui considèrent que la main du législateur n'a pas assez tremblé en 2005 et en 2009. J'ai en effet retiré de ces débats l'impression générale que la loi avait couru après les usages des internautes, voire que ceux-ci avaient déjà changé au moment où nous votions la loi prétendant les réguler. Ainsi, la « loi DADVSI » visait la protection juridique des digital rights management (DRM) alors que ces derniers étaient abandonnés ; de même, la « loi Hadopi » est venue sanctionner le téléchargement illégal par les échanges peer to peer au moment où le streaming prenait une place prépondérante.

Ne commettons pas la même erreur cette fois-ci : la loi doit prendre en considération les usages qui se développent aujourd'hui, voire – c'est le plus difficile –anticiper sur les usages futurs. Ainsi, aux États-Unis, le téléchargement de musique en ligne décroît au profit de l'abonnement à des sites de musique, qui constitue une part grandissante du chiffre d'affaires du secteur. Ces prémices d'une évolution de l'accès aux biens culturels incitent à s'interroger sur le maintien du dispositif de riposte graduée, qui n'apporte aucun financement nouveau à la création et dont la dimension pédagogique est contestable puisqu'il est assis sur un délit de négligence caractérisée qui sanctionne non pas le téléchargement illégal mais l'insuffisante sécurisation de la connexion internet. Ne risque-t-on pas de voter une loi déjà caduque en maintenant la réponse graduée et en instaurant une amende, certes préférable à l'interruption de la connexion – mais le Conseil constitutionnel nous avait dit son fait en censurant la première « loi Hadopi » ? Les internautes, ne l'oublions pas, sont par excellence un peuple migrateur. Nous devons tous nous poser cette question, quelle qu'ait été notre position sur les « lois DADVSI et Hadopi » : cette loi va-t-elle cette fois servir à quelque chose ? Ce n'est peut-être pas la bonne, ce ne sera certainement pas la dernière ; mais qu'au moins elle tienne compte des usages, comme l'a fait en 1985 la loi Lang en créant une exception au droit d'auteur, en autorisant la copie privée destinée au cercle familial et en instaurant une rémunération pour copie privée qu'il faut certainement revoir aujourd'hui. Si la loi doit parvenir à un point d'équilibre pour les artistes et les créateurs et inventer de nouveaux modes de financement de la création, il faut également que les internautes s'y retrouvent ; c'est tout l'enjeu de la réforme du statut des échanges non marchands.

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