Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 19 juin 2013 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

L'audition de M. Pierre Lescure, mercredi dernier, et la lecture de son rapport nous ont laissés sur notre faim. Il y a bientôt un an, vous lui avez confié la mission de formuler des propositions de dispositifs d'action publique permettant de favoriser le développement des oeuvres et des pratiques culturelles numériques, d'assurer l'accès de tous à celles-ci, de soutenir la création et la diversité, de valoriser leurs retombées économiques pour le territoire national et de lutter contre la contrefaçon commerciale. La liste était longue, la réponse l'est tout autant. Elle reste pourtant insuffisante.

Contrairement à M. Pierre Lescure, le groupe écologiste estime qu'une révolution des possibilités appelle une révolution de l'encadrement légal. Empiler des « mesurettes » pour corriger – à la marge – un système à bout de souffle ne constitue ni une remise à plat, ni une réponse globale à la hauteur des enjeux. Le rapport comporte néanmoins des propositions positives. Nous saluons notamment les recommandations concernant l'exception pédagogique et l'« exception handicap ». Après avoir repoussé l'échéance de mois en mois, il serait d'ailleurs temps que nous nous penchions sur l'exception pédagogique. Parmi les autres propositions intéressantes figurent la promotion des licences libres, la diminution de la TVA sur les biens culturels numériques, ou encore la mise en valeur du domaine public. Le groupe écologiste déposera d'ailleurs prochainement une proposition de loi visant à mieux protéger le patrimoine culturel du domaine public.

En revanche, nous ne nous retrouvons pas dans de nombreuses propositions. Nous avons toujours soutenu la suppression de la Hadopi, comme vous l'aviez fait en tant que députée en ce 4 mai 2009, où nous partagions chacun de vos propos. Nous avons condamné ses fondements et ses missions, à savoir le principe de la sanction du partage non marchand d'oeuvres culturelles sur les réseaux peer to peer, via le délit de non-sécurisation de l'accès internet. Vous parlez de réorienter la lutte contre la contrefaçon commerciale. Mais comment concrétiser cette ambition en proposant d'infliger des amendes par milliers à de simples citoyens ? La solution proposée par le rapport – transférer cette mission au CSA et multiplier les amendes – est pire que la situation actuelle ! Le rôle du CSA a toujours consisté à contrôler les contenus diffusés sur les canaux radiophoniques et audiovisuels. Son fonctionnement est contradictoire avec la neutralité du net, principe qui garantit l'égalité de traitement de tous les flux de données sur internet. Les écologistes rappelleront aussi souvent que nécessaire leur opposition à l'acharnement juridique contre le partage de la culture. La première urgence est de supprimer purement et simplement la Hadopi.

Comme l'a montré l'association la Quadrature du Net, le rapport prône par ailleurs une censure privatisée des contenus sous couvert d'auto-régulation. Or cette censure est à la fois inefficace pour lutter contre le piratage et dangereuse pour la liberté d'expression.

Enfin, il est difficile de créer une nouvelle taxe sur les appareils connectés sans créer de nouveaux droits pour les internautes. C'est une remise à plat de la totalité du système – à savoir de la frontière entre légal et illégal et des financements de la création – qui est nécessaire. Les écologistes sont favorables à la légalisation du partage non marchand sur internet et à l'instauration d'un mécanisme de collecte et de redistribution d'une contribution acquittée par les internautes et les FAI. Cette contribution permettrait d'accroître les financements en faveur de la création, notamment par un soutien aux jeunes créateurs, aux créateurs précaires et à ceux du tiers secteur culturel. Cette proposition se veut un nouveau contrat social dans le domaine de la culture, avec deux volets indissociables : un volet légalisation et un volet contribution. Il nous faut sortir de la logique de l'indemnisation d'un préjudice, qui est le fondement de la rémunération pour copie privée. Comme l'a dit récemment M. Philippe Aigrain, « le partage est un droit culturel, pas un échec du marché ». Ce nouveau contrat social a été défendu par Mme Marie-Christine Blandin – présidente écologiste de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat – lors de son audition par la « mission Lescure ». Il est dommage que cette proposition ait été rejetée d'office par la mission, au motif bien étrange que « la contribution créative déclencherait une révolution structurelle sur cinq ans, alors que l'on vit déjà une révolution des usages » et que « le choc des deux serait trop dangereux. » C'est le contraire qui le serait, madame la ministre : ne pas changer la structure lorsque les usages changent, c'est susciter la création de structures alternatives telles que Megaupload – que nous ne souhaitons pas.

L'absence de perspective à long terme du rapport Lescure ne peut que cristalliser les craintes de toutes les parties prenantes. Nous vous demandons donc de donner des perspectives aux artistes et aux citoyens, en jetant les bases d'un système global de rémunération de la culture qui prenne enfin en compte le changement induit par les technologies numériques.

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