Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 19 juin 2013 à 9h45
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

En effet, la mobilisation ne doit pas faiblir. Nous avons certes remporté une grande victoire sur laquelle il sera impossible de revenir, mais cette victoire a mis au jour la volonté de certains, au sein de la Commission européenne, d'affaiblir une certaine conception de la culture en Europe, en remettant notamment en cause les mécanismes de financement du cinéma.

Votre table ronde aborde la question du financement selon deux axes, politique et économique. Comme l'ensemble des secteurs culturels et audiovisuels en Europe, le cinéma relève de ces deux aspects. La culture ressortit au politique dans la mesure où elle tient une place spécifique dans le projet de construction européenne. Elle appartient aussi à la sphère économique puisqu'elle est génératrice d'échanges marchands, de richesse, d'emploi, de croissance et d'exportations. Nous devons toujours combiner ces deux aspects et ne pas avoir honte du poids économique des secteurs culturel et audiovisuel, bien au contraire : alors que l'importance politique et symbolique traditionnellement attachée à ces domaines s'est affaiblie chez une partie des responsables politiques européens, il n'est pas insignifiant de mettre ceux-ci en face de leurs responsabilités en termes économiques.

Bref, il faut préserver ces secteurs non pas pour faire plaisir aux artistes et aux créateurs – même si cela nous importe ! –, mais parce que c'est bon pour le projet européen et bon pour l'économie européenne.

Jusqu'à présent, l'Union européenne a répondu à la question du financement du cinéma par un référentiel politique fort, l'exception culturelle – qui sera maintenue grâce à notre mobilisation à tous –, et par des soutiens directs et indirects – je ne parlerai pas d'« aide », car il ne s'agit pas d'un système subventionné. Ce dispositif a fait ses preuves. Il faut le préserver tout en l'adaptant au contexte actuel, notamment aux évolutions technologiques.

L'exception culturelle permet de réaffirmer que les produits culturels ne sont pas des marchandises comme les autres. Non qu'il s'agisse de marchandises qui ne puissent faire l'objet d'échanges et de commerce, mais les seules règles de la concurrence sauvage ne peuvent garantir les conditions optimales de production et de diffusion des oeuvres. Il faut donc penser la politique culturelle à raison de la spécificité du fonctionnement économique de ces secteurs.

Cette approche n'est pas uniquement française : elle est européenne. La défense de la diversité culturelle est inscrite dans le traité sur l'Union européenne. La démarche est partagée au plan mondial, puisque 128 États sont parties à la convention de l'UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Les services audiovisuels sont un des secteurs où le nombre de pays membres de l'OMC ayant pris des engagements est le plus faible et où les exemptions à la clause de la nation la plus favorisée sont les plus nombreuses.

Nous nous sommes battus ensemble pour éviter toute remise en cause de l'exception culturelle au sein de l'Union européenne. Je suis profondément heureuse de notre réussite : en cette matière, nous avons démontré notre sens de l'intérêt général. Nous avons maintenant à mener un combat d'explication, car, si notre victoire a été globalement bien accueillie, certaines critiques commencent à poindre quant à l'impact économique de l'exception culturelle. À ceux qui s'inquiètent de ce que nous risquerions de perdre en échange, nous devons répondre que les vingt années d'exception culturelle n'ont nullement interrompu le commerce audiovisuel et que les industries culturelles contribuent au moins autant que les industries traditionnelles à la croissance économique de l'Union européenne.

Merci au Président de la République et à Mme Nicole Bricq, qui ont porté la position française. Merci aux quatorze ministres de la culture qui ont signé avec moi la lettre à la Commission européenne pour l'exception culturelle. Merci au Parlement européen, qui a adopté une résolution décisive. Merci au Bundesrat allemand, qui a également pris position. Merci enfin à l'Assemblée nationale d'avoir adopté à l'unanimité cette résolution.

Ces actions ont été menées avec les professionnels du cinéma et de la musique, dont nous avons maintenant compris à quel point le président de la Commission européenne les aime et les respecte !

L'exclusion des services culturels des accords de libre-échange nous permettra de définir un cadre législatif spécifique dont nous aurons besoin pour nous adapter aux évolutions technologiques et au numérique. Le maintien de la législation existante n'aurait de toute manière pas constitué un engagement suffisant : ces évolutions appellent une préservation de nos capacités réglementaires afin d'inventer demain des modes de régulation spécifiques en matière de protection des investissements, d'organisation de l'accès au marché ou de définition de la nationalité. En un mot, nous devons conserver notre capacité à dessiner les contours d'une politique culturelle européenne qui puisse évoluer avec son environnement.

Nous allons maintenant pouvoir travailler à l'acte II de l'exception culturelle, en nous appuyant sur les conclusions de la mission que Pierre Lescure a menée pendant neuf mois. Le maintien de l'exception culturelle était le socle indispensable pour pouvoir ouvrir ce chantier.

S'agissant des outils de l'exception culturelle, la France défend le maintien de ceux qui ont fait leur preuve en matière de soutien direct. Des évaluations régulières démontrent leur efficacité et il n'y a aucune raison de les détruire. Le nouveau projet de communication de la Commission européenne sur le cinéma ne doit pas remettre en cause les modalités de soutien en vigueur, qui ont permis depuis plus de dix ans au cinéma européen de s'affirmer comme une industrie dynamique et productive participant au rayonnement de la culture européenne dans le monde.

Lors de l'examen en mai dernier, devant la Commission des affaires culturelles, de la proposition de résolution sur les aides d'État au secteur du cinéma, Michel Pouzol a rappelé quelques chiffres importants : en 2011, 1 285 longs-métrages ont été produits dans l'Union européenne, contre 1 274 en Inde et 817 aux États-Unis, et les films européens ont attiré 963 millions de spectateurs ; en 2008, ce secteur représentait 17 milliards d'euros et 1 million d'emplois dans l'Union européenne. Le principe de territorialisation de l'aide, c'est-à-dire le conditionnement de l'octroi de l'aide à des dépenses effectuées dans l'État membre ou sur le territoire qui accorde ladite aide, doit donc être garanti à un niveau suffisant pour maintenir l'attractivité du dispositif.

Je salue à cet égard le travail réalisé par Mme Marietta Karamanli et M. Rudy Salles. Les propositions avancées par la Commission européenne ne satisfont pas à l'exigence de territorialisation et mettent en danger les principaux régimes d'aide qui financent une grande partie du cinéma européen, non seulement en France, mais aussi en Allemagne, en Belgique ou en Autriche. Je l'avais indiqué lors du conseil des ministres européens du 26 novembre dernier : revenir sur la notion de territorialisation des aides dissuaderait les autorités publiques, y compris les autorités régionales qui sont très actives en la matière, de mettre en place des politiques culturelles innovantes et favoriserait un dumping social en faveur des États membres offrant les coûts de production les plus bas, au détriment de la diversité culturelle de demain. Ce n'est pas ce qu'attendent nos concitoyens, ni sur le plan culturel ni sur le plan social. Ce qu'ils veulent, c'est une Union européenne porteuse de sens, respectueuse de la diversité culturelle et respectueuse des droits sociaux.

Telle qu'elle est actuellement pratiquée, la territorialisation des aides n'a d'ailleurs été un frein à la création nulle part en Europe. Elle n'a empêché en rien les coproductions. La France, du reste, détient le record en la matière avec cinquante-trois accords de coproduction, dont dix-neuf avec d'autres États membres. En 2012, le Centre national du cinéma a soutenu 129 coproductions, dont cinquante-neuf majoritairement françaises et soixante-dix majoritairement étrangères. Les pays avec lesquels nous réalisons le plus de coproductions sont la Belgique, l'Allemagne, l'Italie et le Luxembourg. De fait, cette production cinématographique est multiculturelle et profondément européenne.

La Commission européenne doit donc prendre le temps d'arriver à un texte satisfaisant. Ce n'est pas le cas du projet actuel, qui n'a l'agrément ni de l'Allemagne, ni de la Belgique, ni de la France. Mon collègue allemand et moi-même avons demandé que le délai fixé aux États membres pour étudier le nouveau projet de communication du commissaire Almunia soit prolongé au-delà du 28 juin, afin que nous affinions notre analyse et que la Commission produise une version plus satisfaisante de ce texte.

Le deuxième outil de soutien au cinéma est le programme MEDIAS, qui va devenir le programme Europe créative. Vous connaissez son importance pour la formation, les festivals, la distribution et la promotion des films.

S'agissant du montant de ce programme, les négociations ne sont pas achevées, mais il devrait être légèrement accru en euros courants. Nous avons également oeuvré à la mise en place d'un dispositif facilitant l'accès au financement bancaire moyennant des garanties. Enfin, la nouvelle programmation consacrera une ligne d'action à l'information et à la formation des professionnels des banques aux enjeux spécifiques du domaine culturel.

En France, je suis très attachée à ce que l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles joue un rôle pilote pour les investissements de la Banque publique d'investissement dans le domaine culturel.

Le programme Europe créative doit enfin promouvoir la diversité culturelle. Nous souhaitons donc que l'accès aux financements de ce programme soit conditionné à la ratification de la convention de l'UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.

Le troisième outil de la politique européenne de financement du cinéma est le cadre juridique offert aux soutiens indirects. La directive sur les services de médias audiovisuels de 2010 prévoit, en son article 13, la contribution des services audiovisuels à la production des oeuvres européennes, à l'acquisition des droits pour ces oeuvres, ainsi que la place qui doit leur être réservée dans les programmes proposés. La Commission européenne a lancé le 24 avril dernier une réflexion sur l'adaptation de ce système au nouvel environnement technologique. C'est un débat essentiel dont nous devons nous saisir. Il nous faut vérifier notamment si les dispositifs actuels ne permettent pas d'ores et déjà une adaptation au monde du numérique, sans qu'il soit nécessaire de rouvrir des discussions sur tout un pan de la régulation audiovisuelle européenne. Si révision il devait y avoir, ce ne devrait être que dans un sens plus ambitieux encore pour la diversité culturelle, en confortant les exigences européennes en matière de régulation, de diversité et de qualité du paysage audiovisuel. Détruire au sein de l'Union européenne ce que l'on vient de réussir à préserver à l'échelle internationale serait un comble ! Les dispositions relatives à la promotion des oeuvres européennes, à la publicité et à la protection de l'intérêt général sont essentielles et ne doivent pas être revues à la baisse. En revanche, il nous faut réfléchir à une éventuelle extension du champ d'application de la directive aux plateformes vidéo. S'agissant des acteurs internationaux du numérique, la pertinence du principe du pays d'origine soulève également des interrogations.

Par ailleurs, la discussion entre le Gouvernement français et la Commission européenne sur la nouvelle assiette de la TSTD (taxe sur les distributeurs de services de télévision) se poursuit. Ce qui nous est proposé n'est absolument pas satisfaisant pour le moment. Là encore, nous tenons à préserver un fonctionnement vertueux dans son principe et qui a fait ses preuves, même les propositions que nous avons faites attestent que nous sommes prêts à des évolutions.

Quant à la mission confiée à Pierre Lescure en matière d'amélioration de l'offre légale, de lutte contre la contrefaçon commerciale et de partage de la valeur dans l'univers numérique, il me semble que les propositions formulées doivent être étudiées dans un cadre européen. J'ai d'ailleurs demandé à Pierre Lescure de faire le tour de nos partenaires.

Nous avons deux rendez-vous à ce sujet. Le premier est le conseil informel des ministres de la culture, qui se réunira en Lituanie le 2 octobre. C'est en effet ce pays qui exercera la présidence de l'Union à partir du 1er juillet, et j'ai sollicité mon homologue lituanien pour organiser cette réunion où nous exposerons les conclusions du rapport Lescure. Le second rendez-vous est le Conseil européen d'octobre, consacré à l'économie numérique.

Nous avons remporté une belle victoire, mais le combat ne s'arrête pas. Nous aurons à faire face à d'autres offensives. Aujourd'hui, celles-ci se déplacent sur le terrain médiatique, où l'on essaie de faire passer les industries culturelles pour des secteurs subventionnés, voire assistés, ayant obtenu le maintien d'un régime dérogatoire qui risque de compromettre d'autres secteurs. Nous devons y répondre en mettant en exergue l'apport des secteurs culturels à la croissance et à l'emploi au sein de l'Union européenne.

Qu'on ne s'y trompe pas, notre projet est avant tout politique et citoyen. Avec Erasmus, c'est sans doute la seule base à la construction d'un sentiment d'appartenance à une collectivité européenne. Les citoyens européens en sont fiers et heureux. Nous en avons un grand besoin dans cette période de crise de l'identité européenne.

Mais il existe également un enjeu économique majeur. Nous devons travailler non seulement à l'amélioration des mécanismes de financement du cinéma européen, mais aussi à l'évaluation précise de ce que le secteur culturel apporte à l'économie européenne. Il faut le faire dans le cadre le plus large possible, associant comme aujourd'hui les professionnels de toute l'Union européenne, les parlementaires nationaux, les parlementaires européens et les exécutifs. Ce sera la mère de toutes les victoires dans les batailles futures.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion