Intervention de Didier Migaud

Réunion du 3 juillet 2013 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux de vous présenter, sur l'invitation de vos deux Commissions, le rapport public thématique de la Cour sur la gestion des enseignants et de répondre à vos questions sur le sujet. Je suis venu entouré, outre de M. Patrick Lefas, de M. Mathieu Dufoix, rapporteur de cette enquête, de Mme Jeanne Seyvet, conseillère-maître, présidente de section, de Mme Caroline Régis, conseillère référendaire, de Mme Mariam Monteagle et de M. Loïc Robert, rapporteurs, qui ont beaucoup travaillé sur ce rapport.

La loi fixe à l'école l'objectif de réussite de tous les élèves. Si plusieurs facteurs, tels la personnalité de l'élève, ses origines sociales, économiques et géographiques ou encore le rôle de son entourage, échappent au système éducatif, l'éducation nationale dispose de plusieurs leviers d'action pour favoriser cette réussite, en particulier, la façon dont les enseignants sont employés, affectés, soutenus, autrement dit leur gestion au sens large. En raison du nombre d'enseignants – 837 000 en 2012, soit 44 % des agents publics employés par l'État –, et du poids que représente le total de leurs rémunérations – 49,9 milliards d'euros en 2011, soit 17 % du budget général de l'État, 2,5 % du produit intérieur brut –, les décisions liées à leur gestion ont un impact fondamental sur les finances publiques et la performance des services publics.

Depuis 2010, la Cour des comptes a fortement investi les sujets d'éducation. Elle a publié, il y a trois ans, un rapport sur l'objectif de réussite de tous les élèves ; elle a cherché à approfondir son analyse sur plusieurs sujets : la répartition territoriale des moyens, qui a donné lieu à deux référés en 2012, une étude sur la formation initiale des enseignants figurant dans le rapport public annuel de la même année, un rapport sur l'orientation des élèves à la fin du collège, qui a été présenté à votre Commission des affaires culturelles et de l'éducation au mois de décembre dernier.

Le présent rapport est le résultat d'une importante enquête de terrain sur la gestion des enseignants s'appuyant sur des données nouvelles, inédites. Elle s'est concentrée sur cinq académies représentant un quart des effectifs nationaux, dans des régions aux caractéristiques variées : Bordeaux, Lille, Limoges, Nantes et Versailles. Elle a concerné tant les établissements publics que privés sous contrat, les fichiers de paie et de suivi du temps de travail ont été exploités, des comparaisons internationales avec la province de l'Ontario au Canada, les Pays-Bas, le Land de Berlin en Allemagne, ont permis d'identifier des exemples de réforme d'organisation réussie dont la France pourrait s'inspirer. Enfin, pas moins de soixante-douze auditions, représentant l'ensemble des parties prenantes, ont été organisées, dont vous trouverez la liste en annexe 3 du rapport. Dernière précision, la Cour n'a pas examiné le contenu des programmes et la façon d'enseigner, sujets qui ne relèvent pas du tout de sa compétence.

Le message central du rapport est que l'éducation nationale souffre surtout d'une utilisation défaillante des moyens existants, non d'un manque de moyens ou d'un nombre trop faible ou trop élevé d'enseignants. Comme pour toute politique publique, il faut comparer les moyens déployés pour l'éducation nationale et les résultats obtenus. Trois éléments de contexte doivent être rappelés.

Le premier est que, pour la performance des élèves, la France ne ressort de l'étude PISA (Programme for International Student Assessment) qu'au dix-huitième rang sur trente-quatre pays membres de l'OCDE. Les enquêtes internationales montrent une dégradation continue des résultats du système français par rapport aux autres États développés. L'école n'est pas encore parvenue à relever le défi qualitatif consistant à mener tous les élèves à la réussite scolaire, en particulier ceux que leur environnement culturel ou social met le plus en difficulté. Ainsi, l'impact de l'origine sociale des élèves est deux fois plus important en France que dans les pays qui réussissent le mieux. En contradiction avec l'objectif de réussite de tous les élèves, plus de 120 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire avec le seul brevet ou aucun diplôme, soit un élève sur six. D'autres pays, comme l'Allemagne, ont su, en tirant les conséquences de résultats dégradés, engager une réforme d'ensemble de leur système scolaire dont les effets positifs sont aujourd'hui visibles.

Deuxième élément de contexte, les résultats ne sont pas décevants seulement du point de vue de la réponse aux besoins des élèves ; le système scolaire ne parvient pas davantage à répondre aux attentes des enseignants. La France connaît une inquiétante crise d'attractivité du métier enseignant : en 2011 et 2012, plus de 20 % des postes proposés au concours du CAPES externe n'ont pas pu être pourvus dans six disciplines, dont l'anglais et les mathématiques.

Le troisième élément de contexte est que l'effort financier consenti par notre pays en faveur de l'enseignement primaire et secondaire, soit 4,1 % du PIB se situe à un niveau comparable, voire supérieur, à celui des pays qui assurent mieux la réussite de leurs élèves, en particulier les Pays-Bas, avec 4,1 % de leur PIB ou la Suède avec 4 %. Au cours des dix dernières années, pendant que les résultats de la France se dégradaient, dans un contexte de diminution du nombre d'élèves, le budget de l'éducation nationale a été préservé.

Ces constats montrent que le système éducatif souffre avant tout d'une mauvaise organisation et non d'une insuffisance de ses ressources financières et humaines. Compte tenu des reprises qui ont pu être faites dans la presse, je veux insister sur l'objet du rapport. Il ne s'agit pas de contre-expertiser le choix du Gouvernement d'augmenter le nombre d'enseignants et pas davantage de porter de jugement sur celui du gouvernement précédent d'en réduire le nombre. Le rapport montre que la décision de faire varier les effectifs dans un sens ou dans l'autre ne peut pas apporter de solution pour répondre aux défis de l'éducation si le système de gestion reste inchangé. D'ailleurs, les évolutions des effectifs d'enseignants ne sont pas en cohérence avec le nombre d'élèves, et les périodes de hausse ne sont pas allées de pair avec une amélioration de la performance du système scolaire.

En réalité, les effectifs d'enseignants ne sont pas fixés en référence avec les besoins des élèves, ceux-ci n'étant d'ailleurs pas mesurés. Chaque année, c'est le volume d'heures de cours que les programmes imposent de mettre en place et le souci d'assurer un débouché satisfaisant aux universités pour les concours qui guident les décisions de recrutement. Cela aboutit à une divergence entre la démographie des enseignants et celle des élèves. Est donc en cause, non pas le nombre d'enseignants, mais la façon dont ils sont employés, leurs règles de gestion.

L'inadaptation de ces règles est principalement responsable de la dégradation des performances du système scolaire. En ayant recours à un schéma de gestion unique, au nom d'un principe d'égalité interprété comme un principe d'uniformité, le système éducatif ne sait pas s'organiser pour répondre aux besoins des élèves, qui sont nécessairement différenciés. Pour ces raisons, la Cour appelle à une évolution profonde du mode de gestion des enseignants. La question, nous insistons, n'est pas de faire évoluer à la marge quelques dispositifs, ce que le ministère a constamment fait d'ailleurs depuis plusieurs décennies ; elle est plutôt de faire évoluer l'ensemble des règles de gestion pour faire primer l'équité sur l'égalité formelle, l'adéquation aux besoins sur l'uniformité, la qualité sur la quantité.

Les constats et recommandations du rapport peuvent prendre la forme de quatre messages, que je résumerai avant de les développer. Le premier est que l'exercice des missions et les modalités d'évaluation des enseignants demeurent régis par des règles dépassées, en décalage croissant avec la réalité du métier tel que le vivent les enseignants eux-mêmes. Le deuxième est que, du point de vue des élèves, les modalités de gestion des enseignants, en particulier leurs règles d'affectation et de mutation, ne permettent pas au système éducatif de s'adapter pour répondre aux besoins différenciés des élèves sur le terrain. Le troisième est que, du point de vue des enseignants, la richesse humaine que constituent les 837 000 enseignants recrutés sur un profit hautement qualifié, n'est pas assez valorisée et gérée de façon personnalisée. Le quatrième est que l'inévitable surcoût d'une gestion plus individualisée et adaptée aux besoins des élèves doit être compensé par une indispensable rationalisation de la scolarité au lycée ainsi que par les économies que permettra une gestion rendue plus souple et plus adaptée aux besoins des élèves.

Premier message, il existe un écart entre la réalité du métier d'enseignant et son statut. Le métier a connu des évolutions importantes depuis la conception héritée de l'université napoléonienne. La loi en a pris acte en reconnaissant le caractère global et collectif des missions des enseignants, qui vont bien au-delà des heures de cours. Ceux-ci sont responsables de l'ensemble des activités scolaires des élèves afin de les mener tous à la réussite scolaire, ce qui inclut les heures devant la classe, mais également des activités aussi diverses que le travail en équipe, l'aide au travail personnel des élèves, la formation, le conseil et l'orientation. Pourtant, la seule obligation à laquelle restent tenus les enseignants du second degré, en vertu de décrets datant pour la plupart de 1950, est d'assurer, selon leur statut, entre quinze et dix-huit heures de cours hebdomadaires pendant les trente-six semaines de l'année scolaire. Toute autre mission que celle de faire cours n'est pas reconnue dans le temps de service. Ces décrets de mai 1950 sont unanimement considérés comme relevant d'une logique caduque, étroite, appauvrissante. Selon le ministère, en plus de la préparation des cours, de la documentation et de la correction des copies, les enseignants consacrent en moyenne cinq heures trente par semaine, hors période de vacances scolaires, à des tâches autres. L'implication des enseignants dans le travail en équipe pédagogique, l'accompagnement personnalisé des élèves, les relations avec les parents ne sont pas valorisés. Toutes ces dimensions figurant dans la loi sont pourtant essentielles pour la réussite scolaire de tous les élèves.

Les pays qui ont amélioré leurs résultats dans les classements internationaux ont, le plus souvent, réussi à définir des obligations de service, des critères d'évaluation prenant mieux en compte la réalité des activités de l'enseignant, en particulier dans sa dimension collective. Aux Pays-Bas, le temps total de travail est de 1 659 heures annuelles, dont 750 d'enseignement au maximum, ce qui permet de compter dans ces heures toute la variété des activités nécessaires à la réussite des élèves. La mesure annuelle des heures permet de dépasser la logique hebdomadaire, autorisant ainsi une plus grande souplesse d'organisation dans les établissements pour les activités variables d'une semaine à l'autre ainsi que pour organiser les remplacements, en particulier ceux de courte durée.

La Cour recommande de définir, de façon cohérente dans tous les textes, la mission des enseignants et d'élargir leurs obligations de service à l'ensemble des activités effectuées dans l'établissement au service des élèves sous la forme d'un forfait annuel, la répartition de ce temps de service devant pouvoir être modulée en fonction du type de poste occupé et des besoins locaux des élèves. Il est, en effet, injuste que des enseignants exerçant dans le même établissement, au même niveau scolaire et dans la même discipline aient un nombre d'heures de cours inférieur à d'autres au seul motif de leur corps de recrutement. Il est encore plus anormal de constater que 20 % des professeurs agrégés, recrutés pour leur haut niveau de connaissance disciplinaire, exercent au collège. Seule la nature des postes et les conditions locales d'exercice des fonctions devraient être prises en considération pour pouvoir moduler à la baisse le nombre d'heures de cours au sein du temps de service.

Alors que les enseignants du primaire sont polyvalents, ceux du secondaire sont spécialisés par discipline. Cette monovalence oblige à une gestion segmentée et complexe des disciplines et rend nécessaire l'organisation de nombreux concours, car pas moins de 375 sections disciplinaires coexistent pour 272 matières inscrites à l'emploi du temps des élèves. Cette dispersion des spécialités et la monovalence ont un coût, notamment parce que les enseignants exerçant dans des établissements de petite taille n'ont parfois pas un service complet, ce qui représente une perte de près d'un millier de postes à temps plein à l'échelle nationale. En outre, des enseignants en surnombre dans certaines disciplines existent, au nombre de 1 544 en juin 2011. Enfin, la monovalence rend plus difficiles les remplacements de professeurs absents dans les classes, sans compter qu'elle place les élèves, dès leur arrivée en sixième, devant une multiplicité d'enseignants.

La Cour recommande également de développer la bivalence, c'est-à-dire l'enseignement dans deux disciplines scolaires au lieu d'une, à laquelle l'Allemagne recourt systématiquement. Elle pourrait être instituée dès la formation initiale pour tous les professeurs intervenant au collège. La bivalence permet de faciliter la transition du primaire vers le collège pour les élèves ; elle permet également une plus grande souplesse dans la gestion des affectations et des remplacements. Certains enseignants souhaitent pouvoir dispenser des cours dans plusieurs matières. Le cadre juridique ne le leur permet pas, sauf dans les cas particuliers de l'histoire-géographie, de la physique-chimie et du français-latin ainsi que des professeurs d'enseignement général dans les lycées professionnels. Dans les autres cas, les agrégés ou certifiés dans deux disciplines sont sommés de choisir l'une ou l'autre. L'extension de la bivalence suppose une adaptation des cursus universitaires des futurs enseignants. Pour ceux déjà en fonction, cette possibilité pourrait également être ouverte.

Deuxième message, les modalités de gestion des enseignants, en particulier leurs règles d'affectation et de mutation, ne permettent pas d'adapter le système éducatif pour qu'il réponde aux besoins des élèves sur le terrain. Le ministère ne connaît pas les compétences individuelles de ses enseignants pas plus qu'il ne sait mesurer directement les besoins scolaires des élèves pour en tirer les conséquences en matière d'allocation et de gestion des moyens. Or, faute d'une mesure précise des difficultés scolaires dans les territoires, les postes d'enseignants sont répartis en fonction de critères indirects donnant notamment un poids disproportionné aux besoins des zones rurales par rapport à ceux des aires urbaines. Il en résulte une absence de corrélation sur le terrain entre les difficultés scolaires constatées et les moyens alloués. Par exemple, dans le premier degré, l'académie de Créteil, qui concentre le plus de difficultés scolaires en France, reçoit moins de moyens par élève qu'une académie rurale à faibles difficultés sociales comme Clermont-Ferrand. La Cour recommande de mettre en place un système de mesure et d'analyse assurant une connaissance précise et fiable des besoins des élèves.

Le système qui régit les mouvements d'enseignants repose sur l'application mécanique d'un barème de points attribués en fonction de différents critères : ancienneté de poste et de service, rapprochement de conjoints, handicap, situation familiale, entre autres. Tous les postes sont considérés comme équivalents et tous les enseignants sont jugés également qualifiés pour les occuper. Ni le directeur de l'école ni le chef d'établissement n'ont leur mot à dire. Les exceptions à ce système, les postes dits « à profil », ne représentent que 6 % des postes de l'enseignement public. Le caractère automatique de ce système répond au souci d'objectivité parfaite, du moins en apparence, auquel les organisations syndicales sont attachées, mais il conduit à de nombreux dysfonctionnements. Ainsi, la répartition des professeurs expérimentés sur le territoire privilégie le Sud, la façade atlantique et Paris, sans lien avec les besoins des élèves. La première affectation des enseignants se fait, pour les deux tiers d'entre eux, sur des postes de remplacement ou des postes difficiles pour lesquels, au contraire, une solide expérience pédagogique et un recrutement sur profil pourraient être plus efficaces. La difficulté de l'exercice des fonctions dans ces établissements n'est reconnue ni par un aménagement des conditions de travail et des obligations de service, ni par un complément de rémunération suffisant. La prime accordée aux enseignants de l'éducation prioritaire est trop faible pour compenser la difficulté de ces postes. Cela entraîne une rotation rapide et une instabilité des équipes pédagogiques. Entre 1999 et 2006, 84,6 % des enseignants de l'académie de Créteil ont été renouvelés. Le système fonctionne donc au détriment des établissements fréquentés par les élèves les plus fragiles.

La Cour recommande, au contraire, de revaloriser tous les postes difficiles. Plus généralement, elle préconise de fonder le système des mutations sur une meilleure adéquation entre les exigences du poste et le profil des enseignants appelés à l'occuper sur la base d'entretiens entre les candidats et les chefs d'établissement s'inspirant d'exemples étrangers ou du système qui peut exister dans des établissements d'enseignement privé catholique. Les chefs d'établissement joueraient un rôle plus affirmé dans la constitution et l'animation des équipes pédagogiques et pourraient moduler la répartition du temps de service des enseignants en fonction des besoins locaux, dans le cadre d'une contractualisation avec les rectorats et les services départementaux de l'éducation nationale.

Par ailleurs, la Cour recommande de recruter les enseignants du second degré sur la base de concours académiques à partir d'épreuves nationales. Ces deux propositions portant sur le recrutement des enseignants et leurs modalités d'affectation ne visent pas, bien sûr, à remettre en cause le caractère national de l'éducation, mais à permettre une meilleure prise en compte des réalités de terrain dont l'ignorance conduit aux inégalités constatées dans le cadre des principes et des limites qui restent fixées par l'administration. Je rappelais, dans mon propos introductif, que le système éducatif français était parmi les plus inégalitaires.

La Cour recommande également de permettre des affectations de professeurs des écoles dans le second degré et, réciproquement, d'enseignants du secondaire dans les écoles, pour faciliter la transition des élèves du primaire au collège et mieux garantir l'acquisition par ceux-ci du socle de connaissances.

Troisième message, la richesse humaine que constituent les 837 000 enseignants recrutés sur un profil hautement qualifié n'est pas assez mise en valeur. La Cour appelle à une revalorisation de leur métier, tant dans sa dimension individuelle que collective, qui est essentielle pour surmonter la crise d'attractivité que celui-ci connaît. Cela passe par le déroulement de carrière, les conditions de travail et la rémunération, sujets que je vais successivement aborder de façon très concise.

S'agissant du déroulement de leur carrière, les enseignants, dans leur grande majorité, n'ont pas de perspective autre qu'une mobilité géographique. En effet, un enseignant qui serait systématiquement retenu pour une progression plus rapide de sa rémunération gagnerait, après quarante années de carrière, seulement 16,4 % de plus qu'un autre qui ne progresserait qu'à l'ancienneté. L'agrégation apparaît, dans le secondaire, comme le premier outil de promotion du corps enseignant, alors qu'elle ne conduit pas à un changement de fonction ou de responsabilités. Il n'existe pas de parcours de carrière se traduisant par une prise de responsabilités progressive, ce qui conduit la plupart des enseignants à exercer les mêmes fonctions tout au long de leur vie professionnelle. La différenciation des postes, notamment dans la coordination des équipes pédagogiques et l'appui aux enseignants, est mise en oeuvre en Allemagne, au Canada et aux Pays-Bas, par exemple. Elle permettrait d'offrir aux enseignants des perspectives de carrière plus attractives et apporterait une meilleure réponse à la diversité des situations d'enseignement. Ces pistes pourraient être plus facilement mises en oeuvre si la gestion des ressources humaines était assurée plus près des enseignants, par exemple à l'échelle d'un ensemble d'établissements formant un bassin de proximité. Dans beaucoup d'académies subsistent encore des pratiques dépassées consistant à confier à des gestionnaires le suivi de portefeuilles d'enseignants constitués par ordre alphabétique. Ce sont des procédures inadaptées à toute démarche de valorisation des ressources humaines et, plus largement, à toute vision d'ensemble centrée sur l'établissement.

La rémunération nette annuelle des enseignants est de 30 100 euros en moyenne, selon l'INSEE. Elle se situe à un niveau 35 % plus bas que celui des fonctionnaires de niveau équivalent. Les comparaisons internationales fournies par l'OCDE font apparaître que la rémunération des enseignants est inférieure de 30 % à la moyenne européenne dans le primaire et de 10 % au collège. Le caractère peu attractif de la rémunération en France n'est pas la conséquence d'un temps de travail plus faible, comme le veut une légende tenace. La rémunération des enseignants par heure de cours et plus faible en France qu'à l'étranger. Le niveau de la rémunération est le fruit d'une évolution de long terme. C'est, en réalité, le nombre d'enseignants qui rend le ministère réticent à mettre en oeuvre des mesures de politique salariale. Depuis de nombreuses années, le choix implicite a ainsi été de privilégier le nombre d'enseignants sur le montant de leur rémunération, la revalorisation indiciaire sur le développement d'une véritable politique indemnitaire.

Au total, l'individualisation de la gestion des ressources humaines et la valorisation des postes exercés dans des conditions difficiles sont indispensables pour améliorer la qualité du système d'enseignement, valoriser les carrières des enseignants et mieux répondre aux besoins des élèves. La mise en oeuvre de ces préconisations a un coût, la Cour en est tout à fait consciente. Si le contexte actuel de redressement des finances publiques impose une quasi-stabilisation en valeur de la masse salariale de l'État, des marges de manoeuvre substantielles peuvent être trouvées dans plusieurs autres recommandations de la Cour.

Ces marges font l'objet du quatrième message du rapport. J'évoquerai principalement la rationalisation de l'organisation de la scolarité au lycée. Le coût moyen d'un élève en lycée est de 31 % supérieur à la moyenne de l'OCDE, en dépit d'une rémunération plus faible des enseignants français. Les raisons sont multiples : un temps d'instruction plus long de 21 % par rapport à la moyenne de l'OCDE ; un nombre d'élèves par classe plus faible de 12 % ; la multiplication, surtout, des matières, d'options et de modules proposés à des groupes, nécessairement plus restreints, d'élèves. L'éparpillement progressif de l'offre de formation au lycée, qui ne se constate nulle part ailleurs en Europe, a conduit à une augmentation des besoins d'enseignement et à un renchérissement progressif du coût du système scolaire, sans que cette lente dérive ait fait l'objet d'un arbitrage clair entre le nombre d'enseignants et la revalorisation de leur rémunération. L'indispensable rationalisation de ces options fournit, nous semble-t-il, une marge de manoeuvre.

De nombreuses recommandations que j'ai déjà citées – l'annualisation du temps de service, la bivalence, dont l'objet principal est de donner plus de souplesse à l'organisation pour mieux répondre aux besoins des élèves – sont de nature à dégager des économies de poste. En effet, elles faciliteraient grandement l'organisation des activités scolaires dans chaque établissement, en particulier les remplacements. L'existence de ces marges de manoeuvre nourrit la conviction de la Cour que toutes ses recommandations sont réalisables à coût constant et forment un bloc cohérent. Cela permettrait que chaque acteur perçoive l'ensemble des bénéfices et inconvénients qui en résulteront pour lui. Il ne faut pas, nous semble-t-il, traiter séparément la question du temps de service et celle de la rémunération ou encore la question de l'affectation et celle de l'attractivité des postes. Tout se tient. Ce serait déformer le message de la Cour et affecter la cohérence de ses propositions que d'en isoler certaines.

L'ampleur de cette réforme exige sûrement qu'elle soit conduite dans un temps long, afin qu'elle soit bien comprise de l'ensemble des parties prenantes et qu'un consensus minimum soit réuni. Les exemples étrangers montrent que des réformes éducatives de cette nature peuvent être conduites avec succès avec un horizon temporel d'environ dix ans. Ainsi, la réforme d'ensemble du système scolaire de l'Ontario au Canada, centrée sur les modalités de gestion des enseignants et non sur le contenu des programmes, a permis, dix années après son lancement, d'obtenir des résultats bien meilleurs pour les élèves de cette province. Ces exemples montrent qu'une volonté politique constante tout au long du processus de réforme est indispensable à la réussite. Le fait que la plupart des recommandations de la Cour s'appuient sur l'expérience de pays étrangers permet de s'assurer de leur réalisme et de leur faisabilité.

Le ministre de l'éducation nationale a répondu à la Cour qu'il partageait l'orientation de ses recommandations pour une gestion plus qualitative, individualisée des ressources humaines. Il a annoncé un réexamen du métier, des missions et des carrières des enseignants à l'automne, dans le cadre d'un agenda social proposé aux personnels du ministère et à leurs organisations représentatives. Il dit considérer que les recommandations du rapport de la Cour pourront utilement alimenter la réflexion et le dialogue social.

Votre assemblée vient d'achever l'examen du projet de loi de refondation de l'école. La Cour ne se prononce pas sur les besoins en enseignants que nécessite tel ou tel volet de la politique éducative. Elle a déjà eu l'occasion d'exprimer la priorité qui devrait être attachée sur ce plan à l'école primaire et à la formation initiale des enseignants, axes qui sont au coeur des priorités aujourd'hui, mais elle considère que ces besoins légitimes doivent d'abord être couverts par la mobilisation des marges de manoeuvre de gestion qu'elle met en évidence, donc pas nécessairement par des recrutements supplémentaires. Ces marges de manoeuvre peuvent être dégagées par une toute autre manière de gérer les enseignants, d'où le titre du rapport. Il s'agit de renverser la logique issue de la massification de l'enseignement et de la pression à l'égalitarisme selon laquelle tous les enseignants se valent et tous les élèves ont les mêmes besoins. Une telle remise à plat est le principal levier qui permettrait, c'est en tout cas la conviction de la Cour, d'inverser la tendance à la dégradation des résultats de notre système scolaire et l'attractivité du métier d'enseignant ne pourrait qu'en ressortir renforcée.

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