Intervention de Patrick Lefas

Réunion du 3 juillet 2013 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Patrick Lefas, président de la 3e chambre de la Cour des comptes :

Vous trouverez, à la page 159 du rapport, le détail, année après année, de l'évolution des plafonds d'emplois, avec la décomposition entre public et privé. Au total, entre 2006 et 2011, la baisse des effectifs a été de 52 683 ETPT, l'essentiel ayant porté sur des moyens périphériques plutôt qu'enseignants – gestion, emplois rattachés. En contrepartie, la majorité précédente avait fait le choix des heures supplémentaires pour partie défiscalisées.

Nous avons travaillé sur l'éducation prioritaire à l'occasion de notre enquête sur l'égalité des chances et la répartition des moyens. Nous avons constaté un problème de sédimentation de dispositifs ainsi qu'une définition peu cohérente du périmètre de l'éducation prioritaire, avec un nombre relativement important d'établissements classés en ZEP. Un tel classement n'existe pas chez nos partenaires, où la connaissance des difficultés scolaires sert de base à l'allocation des moyens. De la sorte, les situations d'éducation prioritaire peuvent être assez radicalement différentes de ce qui se passe en France. Ainsi, dans l'académie d'Aix-Marseille, les écoles ZEP des Bouches-du-Rhône n'ont pas les meilleures dotations ; au contraire, elles sont sous-dotées. L'éducation prioritaire comporte un certain nombre d'éléments d'incohérence qui devraient faire l'objet d'une étude complémentaire dont la Cour peut se charger si l'Assemblée nationale le souhaite.

S'agissant de l'annualisation et de la reconnaissance des missions des enseignants, le rapport procède à une analyse détaillée des textes et montre que le code de l'éducation a défini les missions de manière très extensive, alors qu'on est resté dans le cadre d'allocation des moyens des décrets de 1950 et donc des obligations réglementaires de service. Des expérimentations tendant à apporter de l'air au système sont menées, mais la réalité c'est qu'il est inadéquat parce que géré de manière trop globale. Partir des besoins des élèves dans les bassins de proximité, donner la respiration nécessaire sur l'annualisation du temps de travail, qui existe dans le primaire mais pas dans le second degré, sont des recommandations qui consistent à mettre en cohérence les missions définies dans les textes avec le temps de service.

L'attractivité différenciée des territoires peut se corriger par la modulation du temps de service. Dans les établissements difficiles, où les élèves vivent dans un environnement qui n'est pas tourné vers l'apprentissage des connaissances et des compétences, on passe plus de temps à faire autre chose que cours, ce qui est fatigant. L'accompagnement passe par la modulation du temps de service ainsi que des rémunérations, notamment au travers des indemnités accessoires, car, comparé au système de la fonction publique, le système des enseignants accuse un écart très important.

L'évaluation individuelle des besoins des élèves pour réformer l'allocation des moyens n'est pas une révolution. Elle se pratique couramment à l'étranger, en particulier en l'Allemagne et dans l'Ontario. Il n'appartient pas à la Cour de déterminer le contenu des tests, mais c'est bien à partir de tests objectifs, pilotés à l'échelon national et appliqués dans chaque classe de chacun des établissements, qu'on va mesurer la difficulté scolaire, donc la marche à franchir, et allouer les moyens en conséquence. Notre fonction n'est pas d'aller sur le terrain pédagogique, mais de trouver les solutions permettant de faire respirer le système et de mieux l'adapter aux besoins des élèves. C'est la fin de la logique de l'uniformité.

Le mouvement « Mutez-nous » est le résultat, que nous décrivons de manière très précise, des inerties et des contraintes du système actuel d'affectation, qui ne doit pas être réformé à la marge mais très profondément, bien sûr en prenant le temps du diagnostic et de la concertation. C'est bien vers une évolution globale, qui repose sur le profil d'un enseignant et son adhésion à un projet d'école, qu'il faut tendre.

L'allocation des moyens par le ministère de l'éducation nationale prend en compte un certain nombre de critères. Pour les besoins du rapport sur l'orientation en fin de collège, nous avions établi des monographies précises sur trois académies qui ont montré que la difficulté scolaire n'est pas uniquement caractérisée en fonction de l'origine socioéconomique. Il y a là un défaut de connaissance statistique qui permettrait de répondre précisément à la question.

S'agissant des moyens permettant de mieux encadrer les enseignants, une de nos recommandations consiste à mettre en commun des moyens aujourd'hui dispersés. C'est là que la mutualisation dans les petits établissements est pertinente. En raisonnant au niveau du bassin de proximité, on peut mettre en commun des moyens de support pour rendre une allocation plus efficiente, organiser des échanges pour éviter des pertes en ligne d'un enseignant qui va professer sur une option et qui n'aurait pas la totalité des heures correspondant à ses obligations réglementaires de service. On peut faire beaucoup de choses, comme permettre à des professeurs des écoles d'enseigner dans des collèges, et réciproquement, à des professeurs de langue d'enseigner en fin du premier degré. Plus de fongibilité, c'est plus de facilité.

Nous avons bien compris que la bivalence est un sujet sensible pour les organisations syndicales. Mais n'oublions pas que 375 disciplines dont 272 inscrites à l'emploi du temps des élèves, c'est autant d'ouvertures de concours, donc de recrutement d'enseignants pour quarante ans de carrière et vingt ans en moyenne de retraite. En raisonnant uniquement en disciplines universitaires, les moyens sont extrêmement contraints. Là aussi, les exemples étrangers montrent qu'il est possible d'associer plusieurs disciplines au choix. Cela existe chez nous, avec l'histoire et la géographie alors que ce sont deux disciplines universitaires très différentes, et les professeurs d'enseignement général dans les lycées professionnels. Le saut ne serait pas gigantesque, et une transition progressive pourrait être envisagée, d'abord au collège puis au lycée.

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