Intervention de Marcel Rogemont

Réunion du 10 juillet 2013 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarcel Rogemont, rapporteur :

Il nous revient aujourd'hui de donner corps à l'engagement n° 51 pris par M. François Hollande lors de la campagne présidentielle, en mettant fin à l'une des mesures les plus contestées du quinquennat de M. Nicolas Sarkozy : la nomination des présidents de l'audiovisuel public par le Président de la République.

Selon un sondage publié le 6 juillet 2008, sept Français sur dix se disaient opposés à cette réforme, qui allait même à l'encontre des recommandations de la « commission Copé », laquelle avait proposé un système de nomination tout à fait différent.

Force est de constater que le mode de nomination actuel jette un doute sur l'indépendance des personnes ainsi désignées à l'égard du pouvoir exécutif. En juillet 2010, M. Hervé Bourges, ancien président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), estimait : « Carolis – alors président de France Télévisions – a un bilan. On peut bien sûr le critiquer sur tel ou tel aspect. Mais si Nicolas Sarkozy avait la culture du résultat, comme il le prétend, il aurait reconduit Carolis. Il paie le fait de lui avoir tenu tête. » De même, M. Jean-Luc Hees, président de Radio France, a pu être accusé d'agir pour le compte du Président de la République, notamment au moment de la refonte de la grille des programmes de France Inter. Peu importe que des pressions aient été exercées ou non, dès lors que l'opinion publique soupçonne ou redoute leur existence.

Deux arguments ont été avancés pour justifier, si c'était possible, ce mode de nomination. Il s'agissait d'abord de mettre fin à l'hypocrisie consistant à faire croire qu'il n'y avait pas d'intervention politique dans le choix des présidents de l'audiovisuel public. Or la réforme lui a substitué une hypocrisie plus grave encore. Il convenait d'autre part de rendre à l'État actionnaire la responsabilité de nommer les présidents et, partant, lui donner la capacité de juger et, le cas échéant, de sanctionner les personnes ainsi nommées. La pratique a montré combien cet argument était fallacieux.

En effet, l'échec de la procédure actuelle tient pour beaucoup à ce que le choix est exclusivement celui d'une personnalité par une autre personnalité, sans considération pour un projet. D'ailleurs, le Président de la République, qui représentait prétendument l'État actionnaire, n'a même pas adressé de lettre de mission aux personnes nommées, en contradiction avec le principe de responsabilité dudit État actionnaire.

C'est pourquoi le présent projet de loi rend au CSA la responsabilité de désigner les présidents des trois sociétés de l'audiovisuel public. Mais il va beaucoup plus loin dans l'exigence d'indépendance : il modifie en profondeur le mode de désignation des membres du CSA, chargé de nommer les présidents.

Certes, les commissions parlementaires n'interviennent plus dans la nomination des présidents de l'audiovisuel public : ce serait incompatible avec leur désignation par le CSA. Cependant, doit-on vraiment le regretter ? Le droit de veto condamnait les commissions à chercher des majorités improbables et les cantonnait, in fine, à un rôle de pure forme. En outre, les commissions ne seront pas écartées, dans la mesure où chaque président nommé leur transmettra un rapport présentant son projet. En effet, le mode de nomination proposé donne non seulement une meilleure garantie d'indépendance, mais il oblige les candidats à présenter un véritable projet assorti d'une stratégie des moyens. C'est un avantage notable par rapport à la procédure actuelle.

La deuxième partie du projet de loi vise à réformer le fonctionnement du CSA. Ainsi, l'article 3 modifie en profondeur la procédure de sanction devant le conseil, afin de la rendre conforme au principe d'impartialité, tel qu'il résulte de l'évolution récente des jurisprudences constitutionnelle et européenne.

Depuis la création du CSA, ses compétences se sont considérablement développées, parallèlement aux évolutions du secteur audiovisuel. Centrées initialement sur le contrôle des programmes et des contenus, les missions du CSA comportent une dimension de plus en plus économique et technique.

Avec ce projet de loi, le gouvernement propose une avancée démocratique majeure : soumettre la désignation des six membres du CSA par les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat à un avis conforme des commissions des affaires culturelles à la majorité des trois cinquièmes. Les nombreux opérateurs du secteur audiovisuel que j'ai auditionnés se félicitent unanimement de ce mode de nomination, gage d'indépendance, mais aussi de compétence.

Je le dis à nos collègues de l'opposition : la nécessité de réunir une majorité des trois cinquièmes devrait inciter au choix de candidats susceptibles de recueillir le consensus le plus large. Elle devrait conduire à sélectionner des personnalités en raison de leurs compétences, ce qui est hautement souhaitable pour une autorité de régulation dont les missions de nature technique et économique sont d'importance croissante.

Il est également proposé de faire passer le nombre de membres du collège du CSA de neuf à sept, ce qui favorisera une plus grande cohésion au sein de ce collège. Un nombre trop élevé de membres crée en effet des difficultés : segmentation des attributions au détriment de la transversalité et de la cohérence du travail du collège ; chevauchement de compétences entre conseillers ; répartition inégale des dossiers, etc.

Mais les conditions de l'indépendance ne se réduisent pas au mode de nomination. Elles passent aussi par des règles d'incompatibilité et de déontologie. Le projet de loi renforce ce régime en prévoyant une délibération à la majorité simple et non plus des deux tiers pour prononcer la démission d'office d'un membre qui aurait manqué à ses obligations. Je souhaite que ce projet de loi soit également l'occasion d'approfondir les règles d'incompatibilité et de déontologie des membres du CSA.

En outre, je propose d'aller plus loin dans la responsabilisation du CSA, en lui conférant le statut d'autorité publique – et non plus administrative – indépendante, ce qui lui donnerait une plus grande autonomie fonctionnelle, administrative et financière.

Surtout, il convient de rendre son action plus cohérente en tant qu'autorité de régulation, principalement en matière économique. Les acteurs du secteur audiovisuel le constatent unanimement : le CSA ne tient pas suffisamment compte de l'impact économique de ses décisions d'attribution de la ressource radioélectrique.

Ce reproche a été adressé au CSA dans la gestion de nombreux dossiers – je vous invite à lire mon rapport à ce sujet. En 2012, il a ainsi décidé le lancement, dans un contexte de ralentissement du marché publicitaire, de six nouvelles chaînes gratuites en haute définition sur la télévision numérique terrestre (TNT), sans étude d'impact ni consultation publique préalable. Or de nombreux acteurs et observateurs redoutaient, à juste titre, qu'une telle opération ne conduise à une fragmentation des audiences qui aurait eu des répercussions sur le marché publicitaire et, partant, sur le financement de la création, laquelle repose sur les recettes publicitaires des diffuseurs. Des interrogations se sont également exprimées et s'expriment encore sur la viabilité économique de certaines chaînes sélectionnées.

La même critique a pu être formulée à propos de la gestion du dossier de la radio numérique terrestre (RNT), du lancement de nombreuses chaînes locales ou encore du développement de la TNT payante. Ce dernier exemple est parlant : la chaîne CFoot, lancée par la ligue de football le 28 juillet 2011, a cessé d'émettre dès le printemps 2012 ; la chaîne de vidéos à la demande SelecTV, présentée par TV Numeric, a fait faillite avant même de commencer à diffuser ses programmes. Là encore, on peut s'étonner de l'absence d'étude d'impact préalable, notamment sur les aspects économiques.

Pour justifier ces décisions dénuées de toute pertinence économique, le CSA a eu tendance à « s'abriter » derrière l'obligation, que lui impose la loi de 1986 au nom de la liberté de communication, de lancer un appel à candidatures dès lors qu'une fréquence est disponible.

Le législateur doit favoriser une meilleure prise en compte, par le régulateur, de l'impact économique de ses décisions. À cet égard, je souhaite que le CSA rénové systématise le recours à des études d'impact, préalablement au lancement des appels à candidatures. Dans l'hypothèse où l'étude d'impact montrerait que la conjoncture économique n'est pas favorable au lancement d'un nouveau service, le CSA pourrait différer le lancement d'un appel.

Quant aux contrats d'objectifs et de moyens (COM) des sociétés de l'audiovisuel public, le CSA n'a pas à être associé à leur élaboration, même s'il a déjà dans le passé, en l'absence de texte, émis des avis sur ces documents. Je suis réservé sur ce point, pour ne pas dire hostile : les COM doivent résulter du dialogue entre l'entreprise et ses tutelles, et le CSA n'a pas à juger du travail de ces dernières. En revanche, je suis tout à fait favorable à ce que le CSA contrôle l'exécution des COM. Cela lui permettrait de disposer d'éléments susceptibles de l'éclairer sur l'opportunité de reconduire ou non tel ou tel dirigeant de l'audiovisuel public.

En contrepartie de ces prérogatives élargies, le CSA doit être responsabilisé quant aux décisions qu'il prend. À cette fin, le contrôle du Parlement doit être renforcé tant en amont, à travers la procédure de nomination de ses membres, qu'en aval, à travers une évaluation de l'action qu'il mène. À cet égard, il aurait été utile que le président du CSA ou son équipe justifie, dans les rapports publiés par l'autorité, les attributions de fréquences que j'ai évoquées précédemment. Je souhaite que tel soit le cas à l'avenir : la pertinence économique des décisions devra être évaluée et faire l'objet d'un chapitre particulier dans les rapports du CSA.

En somme, il s'agit de rendre le CSA plus indépendant et plus transparent, et de renforcer les garanties prévues à cet effet.

J'en viens à la question de la publicité sur France Télévisions. Lorsque la ministre de la culture et de la communication a présenté le projet de loi, plusieurs collègues lui ont posé des questions à ce sujet. En même temps que nous devons garantir l'indépendance de l'audiovisuel public vis-à-vis du pouvoir politique, nous devons assurer à France Télévisions, au titre de son indépendance financière, une certaine prévisibilité en matière de gestion. C'est un élément de stabilisation de son projet. Cela passe par une garantie de ses ressources.

En particulier, ce projet de loi doit être l'occasion de statuer définitivement sur le sort de la publicité en journée. Je ne rappellerai pas les tergiversations de certains d'entre nous sur le moment opportun pour supprimer en totalité la publicité sur France Télévisions. La suppression de la publicité après vingt heures était censée faciliter le virage éditorial du groupe et permettre d'avancer l'heure du début des programmes de première et de deuxième parties de soirée. Or la réforme a échoué sur ces deux points. Comme on pouvait s'y attendre, elle a déstabilisé le service public sans conduire à une rénovation de son modèle culturel ni à la modification attendue de sa grille de programmes. En prévoyant que le groupe serait désormais en partie financé par une dotation budgétaire de l'État, c'est-à-dire de sa tutelle politique, la loi a au contraire réduit l'indépendance financière de France Télévisions.

La majorité d'alors s'était engagée à respecter un second principe : la compensation « à l'euro près » de la dotation budgétaire par le produit des taxes. Or, là encore, l'objectif est loin d'être atteint : compte tenu d'un rendement de ces taxes inférieur aux prévisions, la réforme a coûté 745,7 millions d'euros à l'État sur les cinq dernières années, comme le montre le tableau inséré dans mon rapport. L'État aurait pu utilement dépenser ces sommes à d'autres fins !

La loi du 5 mars 2009 avait initialement prévu l'arrêt complet de la publicité sur France Télévisions à la fin de l'année 2011. La crise budgétaire, probablement, et l'incapacité à trouver un mode de financement alternatif, certainement, ont incité le gouvernement à revenir sur sa propre réforme un an seulement après son adoption. Après des hésitations et des revirements nombreux, la date du 1er janvier 2016 a finalement été retenue.

Il est grand temps de clore ce débat non seulement pour garantir l'indépendance de France Télévisions, mais surtout pour lui donner une certaine visibilité sur ses ressources et assurer l'avenir même de sa régie publicitaire. Je propose donc de maintenir la publicité en journée sur France Télévisions telle qu'elle existe aujourd'hui.

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