Intervention de Jean-Paul Delahaye

Réunion du 23 juillet 2013 à 11h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Paul Delahaye, directeur général de l'enseignement scolaire :

L'éducation prioritaire a été définie comme une priorité lors de la concertation conduite pendant l'été 2012 sur la refondation de l'école de la République. Dans le cadre de la modernisation de l'action publique, cet axe a été choisi pour faire l'objet d'une évaluation. C'est un point fort du rapport annexé à la loi de refondation du 8 juillet 2013. Le fait que votre assemblée s'empare de ce sujet me semble un très bon signe. Pour en avoir été l'un d'eux dans une vie professionnelle antérieure, je sais que les acteurs de l'éducation prioritaire y sont très sensibles.

Mon propos sera organisé en trois parties : le diagnostic, les actions engagées et, enfin, celles qui seront réalisées dans le cadre de la relance de l'éducation prioritaire.

Je commencerai par dire que les résultats scolaires sont effectivement décevants, malgré les efforts des personnels. Ces résultats stagnent à l'école et régressent au collège. Nous n'avons pas réussi à réduire les écarts de réussite entre les territoires de l'éducation prioritaire et les autres établissements scolaires pour trois raisons principales.

La première est due à la discontinuité, depuis 1981, du pilotage de l'éducation prioritaire, avec des périodes de relance et des périodes plus calmes, voire d'oubli. Cela constitue un réel problème car faire réussir les enfants en très grande difficulté nécessite une action durable. En outre, les orientations ont changé à certaines périodes. Le passage, par exemple, de la réussite pour tous à une personnalisation des réponses pour ceux qu'on aide à quitter l'éducation prioritaire dans une logique de promotion individuelle nous a fait changer de registre. Enfin, on a parfois confondu éducation prioritaire et prévention des violences. Par conséquent, il me semble nécessaire de relancer l'éducation prioritaire sur des bases explicites pour répondre aux enjeux des territoires.

La deuxième raison tient à l'extension et au saupoudrage des moyens de l'éducation prioritaire. Le taux des élèves concernés par l'éducation prioritaire est passé de 10 % en 1981-1983 à 20 % aujourd'hui ; or il est évidemment plus difficile d'aider 20 % des élèves que 10 %. Cette situation pose la question de la gradation des réponses en fonction des niveaux de difficulté des élèves. Dans les établissements concernés par le programme Écoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite (ECLAIR), le taux des élèves issus de catégories socioprofessionnelles défavorisées va de 40 % à 95 % ; dans ceux concernés par les réseaux de réussite scolaire (RSS), la proportion s'étend de 20 % à 95 %. Cette très grande hétérogénéité pose la question de la reconcentration de la politique d'éducation prioritaire.

La troisième raison s'explique par le fait que les moyens ne sont pas suffisamment concentrés sur l'essentiel pour être efficaces. Comme nous le savons tous, un plus grand nombre d'adultes ne suffit pas pour faire baisser les difficultés scolaires – même si cela est très important –, l'utilisation qualitative des moyens supplémentaires est également un aspect primordial.

J'ai coutume de dire que l'éducation prioritaire est une sorte de miroir grossissant des problèmes de l'école française. C'est dans l'éducation prioritaire que l' « effet maître » est le plus essentiel pour la réussite des élèves et que la taille de l'établissement est très importante. C'est dans l'éducation prioritaire qu'apparaissent mieux qu'ailleurs les difficultés du collège, où les résultats s'effondrent. C'est dans l'éducation prioritaire que l'importance de la stabilité et de la cohérence de l'action des équipes pédagogiques et éducatives prend toute sa mesure. C'est dans l'éducation prioritaire que l'on apprécie toute l'importance du soutien des collectivités territoriales, de la relation avec les familles, de la qualité du pilotage – qualité d'un chef d'établissement, d'un inspecteur de l'éducation nationale, d'un recteur, d'un assistant d'éducation. Enfin, c'est dans l'éducation prioritaire que la question de la justice sociale dans notre système éducatif est la plus prégnante : la France est classée dans les derniers rangs des pays de l'OCDE – vingt-septième sur trente-quatre pays – du point de vue de l'équité scolaire ; or c'est l'éducation prioritaire qui est la mieux à même de faire réussir les enfants issus de familles pauvres, sachant que l'origine sociale déteint sur le destin scolaire des élèves.

Ainsi, les zones d'éducation prioritaire doivent rester centrées sur leur objectif de lutte contre l'échec scolaire, et non se contenter d'être le volet scolaire d'un dispositif de gestion sociale des quartiers.

Dans le cadre de la refondation de l'école, plusieurs mesures sont d'ores et déjà très ciblées sur l'éducation prioritaire. Je citerai, pour l'école primaire à laquelle la priorité a été accordée, la scolarisation des moins de trois ans et le dispositif « plus de maîtres que de classes », efforts qui seront concentrés sur les zones en grande difficulté, aussi bien urbaines, que rurales et en outre-mer. Ces nouveaux moyens doivent être utilisés différemment. Le dispositif « plus de maîtres que de classes » n'est pas seulement un moyen supplémentaire, il est aussi une façon de transformer l'approche pédagogique dans les classes. Je citerai également la refondation de la formation initiale des enseignants, qui améliorera à terme l'efficacité de l'action pédagogique dans les zones d'éducation prioritaire. Je pourrais également parler de la mise en place des assistants chargés de la prévention et de la sécurité, de l'aide aux directeurs d'école, etc.

Nous avons mis en place au ministère un groupe de travail dans le cadre duquel nous auditionnons depuis plusieurs mois un grand nombre d'acteurs de terrain, des associations, comme l'Observatoire des zones prioritaires (OZP), mais également les organisations syndicales, afin de tenter de leur faire partager progressivement ce diagnostic.

En octobre, nous avons ainsi prévu une demi-journée « banalisée » pour que les enseignants des écoles et collèges de l'éducation prioritaire puissent travailler sur ce diagnostic afin de le partager avec la nation. Elle sera suivie en novembre des Assises académiques. Cela permettra au ministère de proposer les évolutions souhaitables dès le début de l'année 2014.

L'esprit dans lequel nous allons travailler est simple. Il ne s'agira certainement pas de constituer un système éducatif à part. Ce qui doit être fait dans l'éducation prioritaire doit l'être partout. Mais il est sans doute plus indispensable de le faire dans l'éducation prioritaire de façon coordonnée et volontariste. J'évoquerai quelques pistes.

La première vise à remettre la pédagogie au centre de l'action des écoles et des collèges. Je résumerai mon propos en disant que tout ce qui contribue à maintenir un niveau d'exigence élevé pour l'ensemble des élèves, y compris dans les territoires de l'éducation prioritaire, doit être encouragé. Les habitants de ces quartiers veulent eux-mêmes une vraie école – pas une école pour mener des expériences, où l'on achèterait la paix sociale en abaissant le niveau d'exigence. Pour eux, le fait d'être très exigeant à l'égard de leur enfant est une marque de respect.

La deuxième piste tend à faire davantage confiance aux acteurs de terrain et àleur donner de véritables marges d'autonomie. Cela permettra notamment de favoriser le travail collectif des équipes pédagogiques, de faciliter une plus grande souplesse d'utilisation des horaires afin de répondre au mieux aux besoins des élèves.

La troisième piste consiste à renforcer le pilotage à tous les niveaux pour rendre plus cohérente l'action pédagogique et éducative. On peut penser à une forme de contractualisation dans la durée avec les futurs réseaux d'éducation prioritaire. Des dispositifs d'évaluation permettraient de redresser les choses en cas de mauvaise direction et, ainsi d'assurer, un meilleur accompagnement. Un pilotage partagé avec l'ensemble des partenaires, y compris le ministère de la ville, serait bien évidemment un atout. Enfin, il faudrait mettre en place une politique de ressources humaines adaptée.

Un immense chantier s'ouvre à cet égard devant nous pour mieux accueillir, accompagner et former les personnels éducatifs et pédagogiques dans ces territoires, mais aussi mieux reconnaître l'évolution de leur mission. Songez en effet que dans certains collèges de l'éducation prioritaire, 60 % des personnels ne sont pas les mêmes d'une année à l'autre. Dans un grand nombre d'établissements où je me suis rendu, les personnes les plus anciennes sont les élèves : le principal est en place depuis deux ou trois ans, les enseignants changent à 50 % tous les ans, et donc l'élève de troisième est celui qui porte la mémoire de l'établissement ! Dans ces conditions, comment voulez-vous concevoir dans la durée une politique pédagogique et éducative efficace, qui plus est une politique partenariale ?

À mon sens, trois questions complexes devraient être traitées dans le cadre d'une large concertation. De ce point de vue, votre mission sera une aide précieuse.

La première question est celle de l'étendue de la politique de l'éducation prioritaire et de la cohérence des territoires relevant de cette politique avec celle des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il faut sans doute renforcer la priorité accordée aux zones les plus difficiles, qui devront être identifiées. Le plus compliqué sera de gérer la sortie progressive, sans brutalité, de territoires qui relevaient de l'éducation prioritaire en 1981-1983 et qui n'en relèvent plus nécessairement. En effet, si toutes les relances de l'éducation prioritaire ont été l'occasion d'affirmer une volonté de recentrer cette politique sur des territoires plus réduits, elles se sont néanmoins toujours traduites par un élargissement des territoires concernés. Nous abordons cette question avec une infinie modestie, mais nous sommes conscients de la nécessité de concentrer davantage les efforts.

La deuxième question est celle des moyens consacrés à l'éducation prioritaire. Selon la Cour des comptes, et même l'OCDE, obtenir de meilleurs résultats exigera de concentrer les moyens et sans doute de dépenser un peu plus pour ces zones en très grande difficulté. C'est ce que nous nous efforçons de faire grâce aux moyens de la politique de la refondation de l'école – scolarisation des enfants de moins de trois ans, dispositif « plus de maîtres que de classes », priorité donnée au primaire. À la rentrée 2013, la dépense va en effet augmenter dans ces zones en grande difficulté. L'idée d'accorder des moyens en prenant davantage en compte la gradation des difficultés fait son chemin. Nous essaierons de trouver un système qui évite les effets de seuil. Depuis plusieurs années déjà, l'administration centrale a mis en place un mécanisme d'attribution des aides plus ciblé, qu'elle s'efforce d'améliorer. Et depuis quelque temps, les recteurs ont eux-mêmes effectué ce travail dans les académies. Il faut sans doute aller plus loin dans cette progressivité des dotations.

En tout état de cause, la cible devra rester une cible pédagogique. Aujourd'hui, la dotation supplémentaire de 1 milliard d'euros sert essentiellement à diminuer le nombre d'élèves par classe, à indemniser les personnels, à créer des emplois d'accompagnement et de coordination, mais n'a pas permis d'obtenir des résultats totalement satisfaisants. Ces dernières années, de nombreuses bonnes idées ont été avancées. Je pense, par exemple, au préfet des études dans le cadre du dispositif CLAIR devenu ECLAIR, fonction de coordination absolument nécessaire de l'avis de tous les acteurs de l'éducation prioritaire, mais qui n'a malheureusement pas été suffisamment intégrée dans une politique d'ensemble.

La troisième question est celle de la gestion des ressources humaines. L'objectif est de mieux accueillir et stabiliser les personnels qui travaillent dans l'éducation prioritaire et mieux prendre en compte leurs conditions de travail particulières.

Je terminerai mon propos par une interrogation née de la relecture de la circulaire du 28 décembre 1981 à l'origine de la politique d'éducation prioritaire dans notre pays et signée par M. Alain Savary, alors ministre de l'éducation nationale. Il y est écrit : « S'il apparaît nécessaire de prévoir une action soutenue s'étendant sur plusieurs années, il serait peu souhaitable d'envisager une assistance permanente qui risquerait d'aboutir à la constitution de ghettos scolaires. » Méditons sur cette formule…

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