Intervention de Marie-Christine Dalloz

Réunion du 18 septembre 2013 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Christine Dalloz, rapporteure :

Tout d'abord, merci de m'accueillir pour parler, une nouvelle fois, de l'école, un sujet cher au coeur de tous les membres de cette Commission. La question vous a longuement occupés au cours du premier semestre, avec la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République, et la semaine dernière, lors de l'audition des ministres sur la rentrée scolaire 2013.

J'ai plaisir à vous parler de l'école en territoire rural et de montagne en vous présentant cette proposition de loi que je voudrais vous convaincre d'adopter : ce texte est en effet motivé par la cohérence et l'urgence.

La cohérence tout d'abord.

Vous connaissez tous ce principe de notre droit qui veut que l'égalité passe par la reconnaissance des différences. C'est ce qu'exprime le premier article du code de l'éducation, l'article L. 111-1, qui dispose, d'une part, que l'école « contribue à l'égalité des chances » et « à lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire » et, d'autre part, que la répartition des moyens du service public de l'éducation tient compte des différences de situation. Or c'est là, précisément, que le législateur s'est arrêté en si bon chemin, car le code ne fait que mentionner les différences de situation « notamment en matière économique et sociale ».

On m'objectera que le « notamment » permet d'englober toutes les différences. Cependant, comme je vous le montrerai, le silence du code tend à encourager l'adoption de mesures de carte scolaire qui ne prennent pas en compte la situation particulière des territoires ruraux et de montagne.

En outre, l'article L. 111-1 précise que la répartition des moyens a pour but de renforcer l'encadrement des élèves dans les zones d'environnement défavorisé et d'habitat dispersé, oubliant ainsi, une fois de plus, les zones rurales et de montagne. Or ces dernières se caractérisent non seulement par la dispersion de l'habitat, mais aussi par leur relief, leur climat et la fragilité de leur « écosystème ».

Ce « silence » du code est d'autant plus surprenant que le législateur a reconnu, à de nombreuses reprises, la dimension territoriale du service public de l'éducation. J'en donnerai ici deux exemples.

L'article L. 113-1 du même code, qui est consacré à la scolarisation des moins de trois ans, prévoit que l'accueil de ces enfants dans les écoles maternelles est « organisé en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne, et dans les régions d'outre-mer ».

Par ailleurs, le service public de l'enseignement supérieur comprend dans ses missions « l'attractivité » des territoires au niveau local et « la cohésion sociale du territoire national, par la présence de ses établissements ». J'observe que ces dernières missions ont été ajoutées par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche.

En outre, le droit de l'éducation n'est pas le seul à reconnaître les spécificités des zones rurales et de montagne.

Je vous rappelle que l'article 1er de la loi du 9 janvier 1985 sur la montagne dispose que le développement équitable et durable de la montagne « doit permettre à ces territoires d'accéder à des niveaux et conditions de vie comparables à ceux des autres régions ».

Je vous rappelle aussi la charte sur l'organisation des services publics et au public en milieu rural du 23 juin 2006, qui a affirmé la nécessité de promouvoir une politique « de maintien, d'amélioration et de développement de l'accessibilité et de la qualité des services publics dans les zones rurales ».

Ces éléments de droit ont d'ailleurs conduit le ministre de l'éducation nationale à adopter, le 30 décembre 2011, une circulaire relative aux écoles de montagne qui demande aux recteurs d'identifier, dans chaque département concerné, « les écoles ou réseaux qui justifient l'application de modalités spécifiques d'organisation et d'allocation de moyens au regard de leurs caractéristiques montagnardes ». Malheureusement, ce ne sont là que des mots puisque, dans les faits, les directeurs académiques des services de l'éducation nationale (DASEN) interprètent très souplement ces instructions, voire, pour certains, les ignorent.

Il convient donc de donner un fondement légal à la prise en compte des spécificités des écoles rurales et de montagne, et c'est la raison pour laquelle les oublis du premier article du code de l'éducation doivent être réparés.

Certains d'entre vous me diront que la loi dite de « refondation » de l'école a changé la donne. Je connais l'alinéa du rapport annexé à cette loi qui indique qu'« une attention particulière sera portée aux territoires ruraux et de montagne » et que « lors de l'élaboration de la carte scolaire, les autorités académiques auront un devoir d'information et de concertation avec les exécutifs locaux des collectivités territoriales concernées ». Mais je sais aussi que le rapporteur de ce texte, M. Yves Durand, n'a cessé de répéter que ce document n'avait aucune portée normative.

Le deuxième point de mon argumentation est qu'il y a urgence à légiférer.

Les territoires non urbanisés sont en effet des territoires aux équilibres fragiles, dont le développement repose en grande partie sur le maintien d'une école de proximité. Par ailleurs, cette proximité est nécessaire au bien-être et à la sécurité des enfants. Or le silence de l'article L. 111-1 du code a l'effet suivant : malgré les créations de postes programmées par le gouvernement, les fermetures de classes ont, selon la presse quotidienne régionale, rythmé la rentrée scolaire des départements ruraux ou de montagne.

De surcroît, dans de nombreux cas, il a suffi qu'une école « perde » trois ou quatre enfants pour entraîner, en septembre, l'application des mesures de carte scolaire, dont la brutalité a suscité l'incompréhension des familles. Et, comme vous le savez, cette situation a parfois conduit les parents d'élèves à occuper des écoles.

J'ai demandé au ministère de l'éducation nationale, le 11 septembre dernier, des données sur les fermetures de classe qui me sont parvenues intégralement ce matin. C'est pourquoi je vous les communique oralement, en vous précisant qu'elles figureront dans la version définitive du rapport.

Selon les données fournies par le ministère de l'éducation nationale, les départements de montagne qui ont été les plus lourdement impactés par les mesures de rentrée scolaire 2013 sont le Jura, dont les écoles primaires perdent 15 postes, et la Haute-Saône – moins 13 postes. Ces disparités territoriales sont incompréhensibles, voire inacceptables.

Selon une enquête menée auprès des départements sur leurs projets de mesures de carte scolaire avant la rentrée, le nombre de fermetures de classes dans les départements à dominante rurale ou de montagne s'élèverait à 834. Toutefois, ces données sont à utiliser avec prudence car beaucoup de mesures d'ouverture ou de fermeture de classes - environ un quart - sont conditionnées par les effectifs réels d'élèves à la rentrée, et les « remontées » sur ces effectifs ne sont pas encore toutes stabilisées. Reste que nous sommes très loin de la rentrée idyllique décrite la semaine dernière par le ministre de l'éducation nationale et sa majorité !

Au-delà de toute référence à l'actualité, je voudrais souligner le fait que l'aveuglement de l'État à l'égard des besoins des territoires ruraux - qui est ancien puisque les dispositions de l'article L. 111-1 sont, en grande partie, issues de la loi du 10 juillet 1989 relative à l'éducation - compromet, de fait, leur attractivité et leur développement, et ce pour une raison très simple : la présence ou l'absence d'une l'école est un facteur déterminant dans le choix d'une famille de s'installer dans une commune.

Par ailleurs, le desserrement du maillage scolaire en zone rurale ou de montagne peut avoir des conséquences sur la sécurité, la santé ou, à tout le moins, la qualité de la vie scolaire des enfants : une école qui « s'éloigne », c'est de la route, et donc du temps de transport en plus, avec ce que cela implique comme risques liés à la climatologie et au relief de montagne.

Pour ces raisons toutes simples, je vous propose d'ajouter les mots « territorial » et « zones rurales et de montagne » à l'article L. 111-1 du code pour que la répartition des moyens de l'école tienne compte de ces réalités.

En outre, afin de compléter ce cadre législatif par un cadre réglementaire de haut niveau, la proposition de loi prévoit de préciser que les mesures relatives au classement des secteurs et écoles en zone rurale de montagne et à l'aménagement du réseau scolaire feront l'objet d'un décret en Conseil d'État. En effet, les élus et les familles doivent avoir la garantie qu'ils seront informés à temps et que les décisions d'ouverture ou de fermeture de classes obéiront à des règles strictes, préalablement connues de tous.

J'espère ne pas avoir été trop passionnée dans mon exposé, mais je souhaite sincèrement vous avoir convaincus de la nécessité d'adopter ce texte.

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