Intervention de Annie Genevard

Réunion du 18 septembre 2013 à 15h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Genevard :

Je remercie le rapporteur pour l'excellente présentation qu'il a faite de cette proposition de loi. Celle-ci est très importante à plusieurs titres et je ne comprends pas, madame Dessus, pourquoi vous la traitez avec une condescendance teintée de mépris.

Cette proposition de loi résulte du constat que la filière du livre, très importante, est fragilisée par de fortes concurrences – le numérique, la grande distribution et la montée en puissance de la vente en ligne par de gros opérateurs – et par un contexte économique difficile, marqué par une baisse des ventes de 2 % à 3 % en valeur cumulée et de 3 % à 9 % en volume entre 2010 et 2012, selon l'étude réalisée en juin 2013 par le Syndicat de la librairie française, qui atteste d'une situation financière critique. Il s'agit d'une filière à faible rentabilité, avec des stocks conséquents, donc coûteux, des conditions de reprise pénalisantes, un personnel spécialisé qui suppose de fortes charges de personnel et, de la part des consommateurs, des exigences de plus en plus pointues en termes de délais et d'animation. Tout cela a rendu le métier difficile et l'équilibre économique de ce secteur incertain.

L'enjeu est d'éviter aux libraires le sort qu'ont connu les disquaires, qui ont quasiment disparu en quelques années.

Cette proposition de loi s'inscrit dans un contexte plus large de soutien au commerce de proximité, terriblement fragilisé par la crise et les changements consuméristes, parfois aussi par des mesures prises par les pouvoirs publics – comme la gratuité du livre scolaire qui, malgré ses avantages en matière sociale, a très fortement pénalisé les librairies, où les lycéens ne se rendent plus.

Elle vise à protéger un commerce à la fois sensible et précieux et s'inscrit dans une lignée de mesures prises depuis de nombreuses années par toutes les majorités au niveau tant national que régional – je pense bien sûr à la loi sur le prix unique du livre, mère de toutes les lois en la matière, mais aussi, pour des périodes plus récentes, aux contrats régionaux de filière et au label « Librairie indépendante de référence », ainsi qu'à la mission d'évaluation réalisée par M. Hervé Gaymard sur le prix unique du livre, qui a très clairement démontré que la loi de 1981 restait pertinente à l'ère d'internet. Quelques chiffres : en 2009, on dénombrait 3 500 librairies indépendantes, 5 000 structures d'édition, 60 000 nouveaux titres commercialisés et 500 millions d'exemplaires vendus. C'est tout cela qu'il s'agit de protéger, de même que l'extraordinaire vitalité de la lecture, privée ou publique – qui, d'ailleurs, collaborent souvent, comme en témoignent les foires et fêtes du livre, les accueils d'auteurs ou les cafés-lecture.

La proposition de loi vise à garantir la pérennité du prix unique du livre en excluant la possibilité d'inclure dans ce prix les frais de port, qui s'apparente objectivement à un rabais déguisé.

Le prix unique du livre a contribué à maintenir un réseau dense de librairies. C'est un acquis précieux. Soutenir cette proposition de loi, c'est conserver l'esprit et la lettre de la loi, c'est revenir à l'idée initiale consistant à protéger non seulement les librairies, mais aussi toute la filière. Il n'est pas juste – et il est même périlleux – de privilégier, en ne faisant rien, des opérateurs qui ont plus de marges et moins d'obligations, par rapport aux petits opérateurs que sont les libraires, souvent mus par la passion de leur métier, l'amour des auteurs et le désir de le partager, mais qui ont aussi la légitime aspiration à en vivre, souvent d'ailleurs assez modestement.

Peut-être, comme le craint Mme Sophie Dessus, cette proposition de loi ne résoudra-t-elle pas tout et peut-être, comme le suggèrent certains de nos collègues, donnera-t-elle lieu à des détournements, mais son adoption serait un signe adressé à la profession des libraires et aux opérateurs dont Mme Sophie Dessus a fait à juste titre le procès.

En conclusion, je ne vois pas comment, sauf à n'avoir d'autre motivation qu'une posture politique, vous pourriez ne pas soutenir cette initiative de sauvegarde et de pérennité de la loi sur le prix unique du livre, votée, comme vous l'avez rappelé, à l'unanimité. Droite et gauche ont été capables de s'unir autour de cette loi, dont nous n'avons cessé de souligner le bien-fondé et dont la proposition de loi défendue par M. Christian Kert n'a pas d'autre ambition que de prolonger l'esprit et la lettre. Nous pourrions parler de « prolégomènes », pour reprendre le terme utilisé par notre rapporteur, et considérer ce texte comme une entrée en matière, une démarche bienveillante qui serait comme l'antichambre de la future grande loi du livre que portera – peut-être – notre ministre de la culture.

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