Intervention de Vincent Peillon

Réunion du 11 juillet 2012 à 11h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale :

Je suis ravi de commencer – enfin – un travail que je souhaite aussi commun qu'il sera possible. Notre calendrier, vous le savez, sera chargé : nous devrions effectivement déposer à l'automne la grande loi d'orientation et de programmation que vous venez d'évoquer, monsieur le président.

Je répondrai bien sûr à toutes vos questions sur le collectif budgétaire, mais je voudrais ici commencer par ouvrir une perspective plus large, répondant ainsi d'ailleurs à votre sollicitation.

La priorité accordée par ce Gouvernement et par le Président de la République à la jeunesse et à l'éducation découle, vous le savez, d'une analyse des difficultés majeures que rencontre notre société.

D'une part, notre pays vit, davantage que d'autres, ce que certains ont baptisé la « crise de l'avenir ». Cette formule me semble rendre compte avec justesse d'un certain pessimisme, d'une difficulté à se projeter, collectivement, dans l'avenir ; lorsqu'on les interroge, les jeunes comme les moins jeunes peuvent montrer de l'optimisme quant à leur destin individuel, à leurs chances d'insertion sociale et d'épanouissement personnel, mais ils expriment sur ce que nous pouvons faire ensemble, sur le destin de la Nation française, un grand pessimisme – beaucoup plus fort que dans d'autres pays de l'Union européenne ou de l'OCDE. Cela se traduit dans certains thèmes politiques, sans doute, mais aussi dans la façon dont nous traitons notre jeunesse et notre école. Or – pardonnez ce truisme – la jeunesse, c'est la France de demain. Tous ceux qui se consacrent à la politique et ont l'amour de leur pays doivent donc prendre cette question à bras-le-corps.

Cette « crise de l'avenir » n'est pas neuve : elle a été diagnostiquée voici déjà une vingtaine d'années de cela et l'idée n'a pas été contrariée par un certain nombre de choix. On peut d'ailleurs la retrouver à propos de la dette, des investissements d'avenir, de la possibilité de défendre notre modèle industriel et, bien entendu, de l'école. L'enjeu est donc absolument considérable pour la Nation : il s'agit de se remettre en mouvement et d'entrer avec plus d'optimisme, donc avec plus d'énergie et de courage, dans le siècle qui vient de s'ouvrir.

D'autre part, il y aurait une crise de l'identité nationale ; ce thème, de plus en plus souvent mis en avant à partir des années 2000, en relation aussi avec certains résultats électoraux, nous renvoie à ce qui nous permet d'oeuvrer ensemble à des projets communs et à la promotion de valeurs partagées. Au cours du précédent quinquennat, un débat sur l'identité nationale et sur l'immigration avait été organisé – et avait d'ailleurs heureusement avorté, vite interrompu par ceux-là même qui l'avaient lancé. Ce n'était certainement pas une bonne réponse à nos problèmes, mais c'était sans doute le symptôme d'une inquiétude récurrente.

L'identité nationale française, pour autant qu'elle est républicaine – et c'est une spécificité de notre pays qui n'a pas, vous le savez, de religion civile –, s'est construite autour de l'école et même, d'une certaine façon, par son école. Nous n'avons pas le temps ici de reprendre cette histoire mais, lorsque nous évoquons notre identité nationale, il est important de ne pas trop négliger cette mémoire de ce qui peut réunir la communauté nationale, au-delà des clivages partisans. Il ne faut oublier ni Condorcet, ni les hésitations du xixesiècle, ni le fait que les premiers républicains ont voulu que l'établissement de la République dans la durée se fasse grâce à l'école. À chaque moment de son histoire, quand la France a besoin de se « relancer », de se réapproprier son histoire, de vaincre des tendances négatives, elle repasse tout à fait naturellement par son école.

Il était donc pour nous très important de réaffirmer que nos valeurs, notre identité nationale, doivent se comprendre dans un rapport à l'école.

Au croisement de ces deux préoccupations – la crise de l'avenir, la crise de l'identité nationale –, il y a donc l'école. Rassembler la nation, lui permettre de se dépasser, cela passe par l'école et par la priorité accordée à la jeunesse et à l'éducation ; c'est ce qu'a proposé le Président de la République pendant la campagne électorale. Le Premier ministre a réaffirmé cette priorité dans son discours de politique générale et le Gouvernement la met aujourd'hui en oeuvre.

Nous essayons désormais de la traduire de plusieurs façons ; ces propositions peuvent, je crois, nous réunir car elles relèvent d'un certain bon sens. Ce sont des orientations simples, mais qui peuvent toutefois avoir des conséquences très importantes pour notre système éducatif.

Nous voulons en premier lieu accorder la priorité à l'école primaire.

Toutes les études dont nous disposons, nationales et internationales, relèvent les difficultés que rencontrent les élèves français à l'entrée au collège. Selon les indicateurs que l'on utilise, cela concerne entre 15 et 40 % des enfants. Ces difficultés ne sont pas toujours lourdes, mais elles sont bien réelles et la proportion est considérable ; il en résulte de très fortes tensions à l'intérieur des collèges.

Or tous les processus de remédiation, c'est-à-dire ceux qui interviennent une fois la difficulté apparue, sont assez coûteux, relativement inefficaces et parfois stigmatisants pour les élèves : il ne serait pas inutile, en ce domaine comme dans d'autres, de prévenir plutôt que de guérir, surtout si l'on ne sait pas bien guérir. Nous voulons donc investir davantage dans les premières années des apprentissages. Cette idée fait, je l'espère, consensus entre tous les groupes politiques ; nous avons d'ailleurs reçu sur ce point le soutien de plusieurs personnalités qui n'appartiennent pas à notre famille politique. Cette priorité est juste et elle avait d'ailleurs déjà été reconnue comme telle après 2002, bien que trop vite abandonnée par la suite. Elle fait aussi consensus, et c'est nouveau, au sein des forces syndicales : vous savez que le syndicalisme enseignant a historiquement été divisé entre les professeurs des écoles et les professeurs du secondaire, au sein même de certaines grandes fédérations, et que certains conflits majeurs se sont structurés autour du collège. En lisant les uns et les autres, j'observe que nous pouvons aujourd'hui dépasser ces conflits ; tout le monde accepte d'accorder la priorité à l'enseignement primaire, et ce même parmi les professeurs du secondaire – cela se comprend d'ailleurs : ce sont ces enseignants qui auront à accueillir au collège des élèves déjà en grande difficulté.

Ce que nous voyons aujourd'hui à l'école, ce n'est plus seulement comme il y a une trentaine d'années la reproduction des inégalités, mais leur aggravation. Les destins scolaires se nouent très tôt et, avec eux, des destins non seulement sociaux mais tout simplement humains – cela va jusqu'à influer sur l'espérance de vie. Ceux qui sont en échec en CP et en CE1, sont encore en échec à l'entrée au collège, en fin de troisième, au lycée professionnel ou dans les filières universitaires. Vous connaissez aussi l'immense difficulté que rencontrent les enfants issus des lycées professionnels, dont certains sont pourtant excellents, pour accéder aux filières qui devaient leur être réservées ; dans les premiers cycles universitaires, ils connaissent un taux d'échec de 90 % ! De plus, les taux de réussite au baccalauréat professionnel, vous l'avez sans doute noté, ont baissé. Ce doit être pour nous tous un sujet de réflexion majeur.

La priorité accordée au primaire, cela veut dire des moyens, bien sûr, mais aussi des avancées pédagogiques. J'ai en particulier insisté sur le principe « plus de maîtres que de classes ».

Nous voulons ensuite mettre l'accent sur la formation des enseignants. C'est pour moi une très ancienne conviction, qui est je crois partagée par beaucoup de ceux qui sont attachés à notre école : enseigner dans les petites classes suppose un apprentissage. Nous devrons donc rendre sa spécificité à l'école maternelle et lui redonner des moyens, notamment pour accueillir les moins de trois ans dans les zones particulièrement tendues puisque c'est là que c'est le plus efficace, mais aussi pour développer des pédagogies adaptées – j'ai rendu public le rapport d'inspection sur la maternelle qui constitue, comme vous le savez, une belle tradition française.

Enseigner dans les petites classes est très difficile et suppose à l'évidence un apprentissage, disais-je : lorsque vous êtes appelé à enseigner l'anglais, l'histoire-géographie ou les mathématiques au terme de vos études universitaires, même s'il vous faut apprendre à transmettre ce savoir, vous connaissez au moins votre discipline – et je suis très attaché aux disciplines. Lorsque vous voulez devenir professeur des écoles, il n'y a pas de lieux où apprendre comment enseigner dans ces classes, ou si peu ! La responsabilité d'apprendre à des enfants à lire et à écrire est pourtant considérable.

Dans notre tradition républicaine, on accordait une très grande attention à la formation des instituteurs et des institutrices. Il existait d'ailleurs une pratique qui s'est révélée d'une très importance dans notre pays : le recrutement se faisait avant le bac, assorti du versement d'un salaire. Cela assurait la promotion sociale, permettait de tenir la promesse républicaine et créait une forme d'identité ou en tout cas de correspondance, de compréhension entre ceux qui enseignaient et ceux à qui l'on enseignait.

La suppression de la formation des enseignants a plongé certains dans une grande détresse qui sera sans doute très préjudiciable à long terme – gardons toujours à l'esprit le temps long quand il s'agit d'école ! Nous avons donc le projet de rétablir cette formation.

Évitons toutefois les faux débats : aucun d'entre nous ne pense que les instituts universitaires de formation des maîtres avaient donné pleine satisfaction et que nous pourrions donc nous contenter de revenir à la situation antérieure. Nous voulons au contraire inventer des écoles supérieures du professorat et de l'éducation, pour permettre, sans revenir sur la mastérisation ni sur l'insertion de ces écoles dans l'université, une véritable professionnalisation : ce qui faisait la richesse de ce tissu, ce sont les maîtres formateurs, les conseillers pédagogiques, l'alternance et la possibilité de croiser des cultures professionnelles et des cultures universitaires.

Le temps de la grandeur de l'école, c'était celui où des maîtres de terrain et des professeurs au Collège de France pouvaient mêler leurs cultures et travailler ensemble. Nous allons reprendre ce chemin, pour que ces cultures se croisent à nouveau ; nous voulons que les enseignants du supérieur, qui sont bien sûr des chercheurs et des enseignants soucieux de la réussite de leurs étudiants, puissent aussi partager des moments d'apprentissage avec ceux qui se destineront à enseigner dans le secondaire, dans le primaire, voire dans le pré-élémentaire. Ce sera un grand enjeu pour ma collègue Geneviève Fioraso, qui devra nécessairement revenir sur la réforme des premiers cycles universitaires tout en la poursuivant.

Je suis sûr que vous m'interrogerez aussi sur la question du recrutement de ces enseignants, et donc des moyens d'assurer la mixité sociale. Nous rétablirons l'année de stage et nous chercherons à mettre en place des pré-recrutements, dès la troisième année de licence. En effet, vous avez tous pu constater sur le terrain qu'attendre cinq ans pour recruter, et donc obliger les jeunes à suivre, avant de percevoir un revenu réel, cinq années d'études supérieures avec des bourses de 450 euros au mieux crée une discrimination sociale très importante. La paupérisation du milieu étudiant est en effet très inquiétante et la corrélation est forte entre le nombre de ceux qui sont obligés de travailler pour payer leurs études et le nombre de ceux qui échouent.

Il faut donc poser la question des viviers de recrutement, ainsi que celle des pré-recrutements, qui existaient naguère. Cette question est liée à celle des écoles supérieures que j'évoquais.

Voilà donc notre deuxième grande orientation. Comme la première, elle donnera lieu à des discussions, qui seront toutes utiles : en effet, je ne crois pas une seconde que, sur des sujets aussi vastes, nous puissions détenir seuls toute la vérité. Je ne crois pas non plus qu'il faille aller trop vite, car beaucoup d'erreurs ont été commises par précipitation. Je n'entends d'ailleurs pas le ministre qui a supprimé la formation des enseignants comme je n'arrive pas à savoir qui a rédigé les programmes : on ne se bouscule pas pour défendre ces décisions ! Personne n'assume, sauf peut-être Bercy, mais enfin il n'y avait certainement pas de pilotage pédagogique quand – cas unique au monde – on a décidé de supprimer la formation des enseignants dans notre pays.

Nous voulons enfin travailler, comme l'a dit le président Bloche dans son intervention, sur les rythmes scolaires ainsi que sur l'articulation du temps scolaire et du temps éducatif. Mon prédécesseur Luc Chatel avait conduit une concertation sur ce point ; votre commission a produit un rapport sur le sujet. Indépendamment des clivages politiques là encore, tous ceux qui connaissent un peu ces questions – les scientifiques, l'Académie de médecine… – constatent que nos élèves n'ont pas assez de jours de classe, mais qu'ils ont des journées trop chargées. Il en résulte de véritables discriminations sociales, des inégalités considérables, en fonction des possibilités ou non de s'assurer des activités sportives ou culturelles en dehors du temps scolaire. C'est un facteur d'échec.

Des concertations ont eu lieu ; les principes sont, je crois, partagés même si cela demande à être vérifié : je pense à l'allongement de l'année scolaire, à la semaine de quatre jours et demi, à l'allégement de la journée de classe. En revanche, nous savons tous que les modalités de mise en oeuvre d'une telle réforme sont extrêmement complexes.

Nous voulons un nouveau contrat entre l'école et la nation. Je ne pense pas, et je l'assume, que l'école soit la propriété des spécialistes ni même des professionnels de l'éducation nationale. Ceux-ci demandent à être respectés ; ils demandent qu'on leur redonne une autorité perdue, qu'on les accompagne au mieux dans leur vocation, dans leur mission exercée au nom de l'intérêt général ; ils demandent que l'on respecte les valeurs qu'ils transmettent, la connaissance, le dévouement, la morale. Mais l'école appartient bien sûr à toute la nation.

Chacun doit donc être associé à cette réforme : au premier chef, les parlementaires, représentants de la nation, mais aussi les parents d'élèves et les collectivités locales dont la contribution à l'investissement dans l'éducation est aujourd'hui essentielle. C'est à cela que servira la concertation. Nous savons tous pourquoi nous en sommes là : alors que les difficultés d'articulation du temps scolaire et du temps éducatif sont bien connues, la situation n'a fait en réalité qu'empirer. On a parlé, et on avait raison, de reconquête du temps scolaire mais on a fait l'inverse de ce que l'on disait. Cela tenait sans doute à des impératifs budgétaires, mais d'autres raisons, qu'il faut prendre au sérieux, peuvent se rattacher à une forme de démoralisation, d'abaissement, d'incapacité à faire communiquer les différentes parties prenantes de cette réforme des rythmes scolaires.

Nous souhaitons mener cette réforme à bien relativement rapidement, parce qu'elle est dans l'intérêt des élèves, et donc de la nation.

Voilà les trois grandes orientations sur lesquelles je voulais insister. Beaucoup d'autres points seront bien sûr abordés. Il y a d'abord la question, que je crois tout à fait centrale, du grand projet internet, qui constitue une des portes d'entrée dans la modernité et un moyen de reconnaître la diversité des excellences, de changer les méthodes pédagogiques. Les collectivités locales ont investi dans les matériels ; nous sommes beaucoup plus mauvais en ce qui concerne les usages pédagogiques, et nous prenons du retard ; il faut donc donner une impulsion forte. Il y a ensuite la question de l'éducation prioritaire, que nous devrons revisiter, et celle, connexe, de la carte scolaire. Il y a également l'idée, déjà lancée mais ensuite abandonnée, d'un plan en faveur de l'éducation culturelle et artistique. Il y a encore les questions de l'évaluation, des élèves comme des professeurs.

Tous ces sujets seront évoqués dans la grande concertation, qui est ouverte à tous. Chacun doit s'y exprimer avec la plus grande sincérité, parce que nous devons construire ensemble, au-delà des intérêts particuliers, un intérêt général. Cette refondation est, vous l'avez compris, une refondation de l'école républicaine et, en même temps, – c'est l'idée du Président de la République – une refondation de la République par son école.

Après cette concertation, au début du mois d'octobre, un rapport sera remis au Gouvernement – à moi-même et à ma collègue George Pau-Langevin. Nous présenterons ensuite un projet de loi, dès la mi-octobre ou un peu plus tard selon l'état de nos discussions. Nous voulons en effet, au-delà des mesures budgétaires qui seront présentes puisqu'il s'agira d'une loi d'orientation et de programmation, mettre en oeuvre dès la rentrée 2013 certaines des réformes qui nous paraissent essentielles pour repartir du bon pied.

Nous associons à cette réflexion sur l'éducation vingt-deux ministres du Gouvernement : sur la question de l'internet, sur celle de l'accueil des enfants en situation de handicap, sur les spécificités des outre-mer, sur l'éducation artistique et culturelle, c'est tout à fait normal. Ces sujets ne sont pas la propriété du ministère de l'éducation nationale.

La priorité sera donnée à l'éducation tout au long du quinquennat. Il faut aller vite pour lancer les choses, mais nous devons aussi prendre le temps et agir dans la durée : trop souvent, c'est ce qui a manqué pour mener à bien des réformes.

Enfin, si la priorité est donnée à l'éducation en matière budgétaire, dès cet été, comme vous l'avez vu dans le collectif budgétaire, mais aussi dans les discussions du plan triennal et au-delà pour tout le quinquennat, cela ne nous dispense en rien d'utiliser au mieux les moyens qui nous sont attribués par le Président de la République et par le Premier ministre. Je me sens donc comptable, vis-à-vis des autres fonctionnaires mais aussi de l'ensemble de la nation, de cette priorité budgétaire.

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