Intervention de Denis Masseglia

Réunion du 9 octobre 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français, CNOSF :

Concernant le modèle à retenir, je n'ai pas de suggestion à faire. La seule chose que je peux dire est que le CNOSF y réfléchit avec l'ensemble des fédérations : nous avons organisé un premier séminaire les 3 et 4 juillet dernier et fixé une date limite pour la constitution d'un projet à la fois pour le sport et le mouvement sportif français. Nous souhaitons que, dans ce cadre, le rôle de chacun soit revu. Cela dit, nous ne pouvons avoir la prétention de définir seuls quel pourrait être le rôle de l'État, des collectivités territoriales ou du monde économique. Il faut que chaque acteur accepte de se mettre autour de la table et de prendre en compte le point de vue de l'autre. Je rappelle que le financement de l'État atteint 850 millions d'euros, celui des collectivités territoriales 11,5 milliards, et que l'investissement du monde économique – qui s'intéresse à l'ensemble des pratiques, lesquelles pèsent huit fois plus que le seul haut niveau – est estimé à 3 milliards d'euros. Il faut en effet avoir conscience du potentiel économique du sport : le secteur représente 1,8 % du PIB et connaît une croissance de 4 à 5 % par an.

Notre modèle date des années 1960, à une époque où il n'y avait que deux piliers – l'État et le mouvement sportif – et où les collectivités territoriales n'intervenaient pas. Il a fallu vingt-cinq ans pour que ces dernières adoptent une politique sportive cohérente avec les politiques fédérales et adaptée aux territoires. Or le modèle sportif français n'a pas tenu compte de cette évolution, ni de la diversité des pratiques : contrairement aux années 1960, aujourd'hui, beaucoup de licenciés ne font pas de compétition.

À cet égard, le fait de pratiquer en club est important pour un jeune car cela lui donne le sentiment d'en être copropriétaire. Je pense que tout commence à l'école avec les jeunes : c'est là qu'on prend conscience de ce que sont le sport et l'association sportive. Il faut que d'emblée le jeune aime son sport ainsi que son club, qui lui fournit des repères. Il faut donc l'encourager à s'y inscrire : cela est essentiel d'un point de vue éducatif. Pour les adultes, en revanche, cette pratique en club est moins essentielle.

L'État ne peut tout faire, d'autant qu'en situation de crise économique, les difficultés à trouver un équilibre entre actions et services sont de plus en plus importantes. Il faut accepter le principe de subsidiarité, qui repose sur trois verbes : simplifier, rationaliser, responsabiliser. Si on le fait, on trouvera le moyen de clarifier le rôle de chacun, sachant que nous avons des doubles emplois partout. Mais si on ne se pose pas les bonnes questions et qu'on n'y apporte pas les bonnes réponses, nous serons confrontés à un problème d'efficacité. Certes, notre modèle a fait ses preuves mais aujourd'hui, compte tenu des évolutions que j'évoquais et de la crise économique, il doit être réformé. Il n'y a pas de raison que ce soit possible dans d'autres pays et non chez nous.

S'il ne faut pas dire que demain on n'aura plus besoin d'argent public, il n'y a pas lieu de considérer pour autant que ce mode de financement implique un système dans lequel l'État a une prééminence absolue. Nous sommes aussi capables de gérer cet argent dans le sens de l'intérêt général.

La discussion actuelle sur le CNDS porte sur les critères d'attribution, et non le bien-fondé de ce centre, qui mérite aussi qu'on s'y intéresse.

Sur les 11,5 milliards d'euros de financement des collectivités territoriales, 10 milliards proviennent des communes en faveur des clubs, 700 millions des départements pour les comités départementaux et 700 autres millions des régions pour les comités régionaux. Au niveau national, les 850 millions d'euros que j'évoquais comprennent 274 millions pour le CNDS, 85 millions pour les conventions d'objectifs des fédérations, 90 millions pour les cadres techniques nationaux et plus de 400 millions pour le fonctionnement général et les établissements. La question majeure est celle de la bonne utilisation de ces crédits. Nous ferons des propositions sur les critères d'attribution à l'issue de la réunion globale que nous avons prévue le 23 octobre prochain pour définir la position du CNOSF.

En résumé, il s'agit de savoir si le CNDS est destiné à donner un poisson à chacun – comme cela semble souvent le cas – ou à apprendre à pêcher. En tant que président d'un club d'un budget de 500 000 euros, j'arrivais à obtenir entre 5 000 et 6 000 euros du CNDS, ce qui représentait 1 % du budget. Il fallait pour cela s'inscrire dans le cadre de la politique retenue, mais je n'ai jamais eu de difficulté à inventer des possibilités d'actions nouvelles et on n'a jamais vérifié qu'elles étaient mises en oeuvre ! Il ne faut donc pas demander des dossiers inutiles et on doit se poser la question de l'efficacité de ce que l'on entreprend.

Les équipements et l'encadrement sont deux éléments incontournables. Or je réclame depuis quatre ans que, grâce au CNDS, les fédérations puissent disposer de cadres fédéraux recrutés sur des contrats de droit privé, avec un soutien financier et une contractualisation permettant d'avoir des techniciens chargés d'actions de développement, génératrices de davantage de licences et donc de plus de moyens financiers pour les fédérations. Je rappelle que le CNDS est le Centre national pour le développement du sport ! Or un tel dispositif n'existe pas. Est-ce parce que cela pourrait contrarier le système des cadres techniques ou pour des raisons idéologiques ? Je ne sais pas : en tout cas, je ne suis jamais parvenu à l'obtenir de la direction des sports.

J'ai effectivement dit que la convention entre le mouvement sportif et le monde de l'éducation était historique : si elle constitue une véritable chance pour ce mouvement, il faut partir du principe qu'elle doit contribuer à un partenariat gagnant-gagnant entre ces deux pôles.

Si demain le périscolaire doit être une garderie et qu'on développe de l'emploi à cette fin, ce sera un échec. Mais si on crée des emplois à mi-temps dans un club – pour les mercredis, samedis, dimanches – et à mi-temps dans le périscolaire, on produira une formidable dynamique qui gommera toutes les difficultés qu'on a eues par le passé à créer des passerelles. Encore faut-il que la formation et l'adéquation entre diplômes, qualification et emploi puissent permettre aux clubs d'employer les personnes dont ils ont besoin à la fois pour eux et pour encadrer, dans le cadre du périscolaire, les jeunes qui pourraient leur être confiés. Ce défi ne pourra cependant pas être relevé en un ou deux ans.

Je voudrais à cet égard donner deux exemples de villes ayant misé sur le sport. D'abord, Medellin, plus connue pour le cartel de la drogue que pour sa politique sportive. Cette ville a été candidate à l'organisation des jeux olympiques de la jeunesse, a construit des équipements, développé des emplois, et l'incivilité y a reculé au point qu'elle est désormais citée en exemple partout pour être une ville de paix. Miser sur le sport pour faire reculer les incivilités est un investissement qui ne doit donc pas être considéré comme une charge.

Autre exemple : Singapour. Alors qu'elle est une mégapole économique où il n'y a plus aucun lien social – les gens communiquent par des réseaux sociaux et ont tendance à être sédentaires –, elle a cherché à faire en sorte qu'il y ait davantage d'activités sportives.

Mais les effets de tels investissements ne peuvent se produire que sur quinze à vingt ans.

L'enjeu pour nous est d'avoir une politique associant l'État, les collectivités territoriales, le mouvement sportif et le monde économique, permettant de se donner un véritable programme sportif. Le mouvement sportif pourrait y avoir sa place, rien que sa place, mais toute sa place.

S'agissant des jeux de Sotchi, le boycott ne pénalise que les athlètes. Tous ceux qui ont été contraints de participer à un boycott ont été privés d'une sélection qui ne se produit qu'une ou deux fois dans leur vie. Je ne vais donc pas demander aux athlètes de se punir eux-mêmes. Cette question s'était également posée pour les jeux de Pékin.

D'ailleurs, le CIO prend souvent la décision d'attribuer des jeux à un pays en pensant que l'ouverture est préférable à la fermeture. Pour les jeux de Sotchi, il y a eu des difficultés sur le plan environnemental, au regard du droit du travail, de la liberté de la presse et de la loi discriminatoire que vous évoquez. Le CIO a pris le problème à bras-le-corps et obtenu par écrit les garanties nécessaires de la part du gouvernement russe pour qu'il n'y ait aucune discrimination à l'égard de la population olympique, c'est-à-dire les participants, les officiels, les spectateurs, les médias et tous ceux qui viendront sur place pour cet événement. Mais je ne pense pas qu'on puisse demander aux participants de faire pression pour que les lois soient modifiées : la Russie est un État souverain.

Quant aux stades de football, ils ont été financés avec un prélèvement complémentaire : on ne peut donc dire qu'ils pèsent indûment sur le CNDS. Sur le coût initial de 150 millions d'euros, seuls 30 devaient être financés sur le fonds de réserve du CNDS. Le problème est qu'aujourd'hui, ce différentiel atteint 46 millions, ce qui pèse incontestablement sur cet organisme.

Cela dit, il faut aussi tenir compte de ce que le championnat d'Europe de football de 2016 va apporter à la nation, au travers de la construction des stades – avec tout ce que cela peut générer en termes d'emplois et de profit – et les retombées touristiques – dont le montant sera sans doute nettement supérieur à 150 millions d'euros. Si l'engagement de l'État sera donc largement compensé, on peut se demander dans quelle mesure l'effort demandé pourrait se poursuivre afin de développer l'équipement de proximité ou l'encadrement. Cela permettrait de porter la part du secteur sportif à 2 % du PIB.

Le Comité français du sport international a en effet été mis sur pied pour fédérer les différentes entités existantes, sachant qu'on a souvent péché par le fait que chacun ne s'adressait pas toujours à son interlocuteur naturel. Les interlocuteurs du mouvement sportif international doivent être les représentants du mouvement sportif français – même si, pour organiser des jeux olympiques, on a évidemment besoin d'un engagement de l'État –, de même que ceux du monde diplomatique sont les diplomates français et ceux du monde économique les représentants de l'économie nationale. Il faut avoir un langage commun tout en permettant à chacun de rester dans son champ de compétences.

Je rappelle que la voix du mouvement sportif a toujours été présente dans les derniers comités de candidature qui ont eu lieu. Il était donc inconcevable que le président d'un tel comité ait pu être nommé par une ministre sans qu'elle prenne l'avis ni du président du CNOSF ni du maire de la ville candidate, lesquels sont les deux signataires auprès du CIO ! Un tel comportement ternit notre image à l'international et il n'est pas simple de le faire oublier.

S'agissant du Conseil national du sport, j'ai rappelé les motifs qui avaient suscité notre mauvaise humeur. On ne peut pas faire une opération de communication lorsqu'on est en désaccord sur un certain nombre de points. Nous nous sommes expliqués avec la ministre et son cabinet et nous participerons avec énergie et enthousiasme aux travaux de cette instance qui, je le rappelle, est destinée à la concertation et non à la gouvernance. Il faut qu'on puisse vérifier que ces travaux débouchent sur une véritable évolution du modèle sportif français.

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