Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 11 juillet 2012 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

C'est un grand plaisir pour moi d'être aujourd'hui parmi vous. Je salue mes anciens collègues et les nouveaux parlementaires, et j'adresse à chacune et à chacun mes félicitations pour la confiance que leur ont témoignée les électeurs.

J'ai été sensible, monsieur le président, à l'invitation que vous m'avez faite de venir m'exprimer devant votre Commission, et j'ai voulu y répondre le plus rapidement possible, même si, tous les arbitrages budgétaires n'étant pas encore rendus, je ne pourrai apporter de réponses définitives à certaines questions.

J'ai apprécié la qualité des travaux de la Commission des affaires culturelles au cours de la précédente législature. Je souhaite pleinement associer votre Commission et l'Assemblée nationale à l'action que nous allons mener, et développer avec vous une relation de confiance, plus indispensable que jamais en cette période de crise.

Le rapport de la Cour des comptes a confirmé le constat d'une situation budgétaire extrêmement dégradée, qui laisse au ministère de faibles marges de manoeuvre en matière financière. La gestion du ministère de la culture et de la communication par le précédent gouvernement a été quelque peu erratique, puisque de nombreux projets ont été engagés sans que les financements en soient assurés. La stabilisation des crédits de la culture et de la communication, tant de fois annoncée, était malheureusement un mythe. Il faut prendre la mesure de cette situation, mais également donner à notre politique la plus grande vitalité possible. Les difficultés n'affaibliront pas notre détermination, et nous sommes prêts à agir avec passion au service de la culture. Je souhaite que tous se mobilisent pour la réalisation de ce projet commun : les élus, le ministère, les établissements publics, et aussi les collectivités locales, nos partenaires privilégiés en matière culturelle.

Pour important qu'il soit, l'aspect budgétaire ne résume pas à lui seul la dimension économique de la culture. Il est ainsi indispensable de rappeler l'effet de levier que représentent les investissements de l'État en matière culturelle. La culture n'est pas une marchandise comme une autre et elle ne saurait être réduite aux seules logiques du marché. Nous devons donc continuer à défendre l'exception culturelle au niveau européen, ce qui sera une manière de redonner un sens à une Union européenne mal en point. Je reviendrai si vous le souhaitez sur les entretiens que j'ai eus à ce sujet, lundi, avec les commissaires européens.

Mon objectif est de redonner sens et ambition à l'action du ministère. Au cours des dernières années, l'État a été affaibli dans notre pays, et singulièrement sa politique en matière culturelle et de communication. Or, l'accès égal de tous à la culture, à la création, à notre patrimoine, est un élément de la citoyenneté française, car la culture crée le lien social et renforce le « vivre ensemble ». En conformité avec l'action du Président de la République, je souhaite donc que le ministère considère comme sa première mission la recherche de l'égal accès de tous à la culture, vecteur de citoyenneté.

La question de l'accès à la culture ne saurait être disjointe de celle de la production des oeuvres artistiques et je m'attacherai également à mener une politique en faveur de toutes les créations. Défendre la diversité culturelle en France, en Europe et dans le monde est un devoir aussi impérieux que celui de garantir la liberté de la presse et de l'audiovisuel – en particulier public –, diversité et liberté étant intimement liées. Même si la France s'insère dans des ensembles politiques et culturels plus vastes, le ministère de la culture et de la communication se doit de prendre soin du territoire national – les Outre-mer inclus, bien sûr –, qu'il entend revitaliser par ses politiques d'aide au spectacle vivant, à la création, à la valorisation du patrimoine, mais aussi en renforçant les liens avec les collectivités locales dans le cadre de la décentralisation culturelle. Défendre la politique culturelle en France, c'est aussi défendre une vision ouverte de la culture en France, et notamment l'accueil des artistes et des créateurs étrangers sur notre territoire, mission importante trop longtemps oubliée. Cette revitalisation va de pair avec la volonté de redonner du sens aux politiques publiques, à l'ère du numérique, et aussi de redonner une force à la diplomatie culturelle pour contribuer au rayonnement culturel de la France à l'étranger.

Vous ayant présenté les lignes directrices de mon action, j'évoquerai trois grands chantiers, et pour commencer l'éducation artistique et culturelle, l'un des plans majeurs définis par le Président de la République et acte citoyen essentiel qui permet de renouer le lien historique entre art et culture d'une part, éducation populaire de l'autre. Il faut permettre à tous les jeunes gens de notre pays cette rencontre intime avec les oeuvres, les artistes, les processus de création et les pratiques culturelles. Il y a aujourd'hui, sur notre territoire, beaucoup d'initiatives stimulantes – un élève sur cinq participerait ainsi, chaque année, à un parcours artistique et culturel –, qui doivent être généralisées. On ne doit plus se contenter d'expérimentations, mais viser l'universalisation de l'éducation artistique et culturelle, qui est un droit pour tous les élèves, de la maternelle à l'université.

Parce que la formation culturelle doit persister après la formation initiale, la démocratisation culturelle est un principe majeur de mon action. Je ne peux me satisfaire que la création, le patrimoine et le réseau culturel que notre pays a mis tant d'énergie à défendre au cours des décennies passées soient inaccessibles, en raison de barrières psychologiques ou sociologiques, à certaines catégories de la population qui ne sont pas spontanément portées vers l'art et la culture. Nous devons définir des politiques volontaristes pour créer un lien avec ces populations éloignées de la pratique culturelle, avec le concours des collectivités territoriales et dans un souci de justice sociale.

En matière d'éducation artistique à l'école, je travaillerai en concertation avec M. Vincent Peillon, ministre de l'éducation nationale, dans le cadre de l'élaboration de la loi d'orientation à l'école, avec Mme Geneviève Fioraso pour ce qui concerne l'enseignement supérieur et avec Mme Valérie Fourneyron s'agissant de l'éducation populaire. Les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) seront en première ligne pour animer les stratégies régionales de l'éducation artistique et culturelle, auxquelles les collectivités locales seront associées par le biais du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, dont je souhaite que les comités régionaux se réunissent régulièrement pour participer à la mise en oeuvre de la politique culturelle. Cela se fera en liaison avec le ministère de l'éducation nationale et celui de la décentralisation, dans le cadre de la nouvelle relation que je souhaite nouer avec les collectivités territoriales, caractérisée par des partenariats renforcés.

Le deuxième chantier consiste à recréer les fondements d'une action publique en matière culturelle à l'ère du numérique. Jusqu'à présent, la révolution numérique n'a suscité qu'une logique défensive ; il est temps d'aborder l'évolution technologique avec confiance et lucidité pour permettre l'émergence de nouveaux modèles de financement de la création. Le Président de la République m'ayant confié la tâche de mener la réflexion tendant à définir « l'Acte II de l'exception culturelle française », c'est sous l'égide du ministère de la culture et de la communication que se tiendra la mission d'évaluation confiée à M. Pierre Lescure, qui englobe l'analyse du financement de la création à l'ère numérique. J'ai déjà engagé des discussions avec la Commission européenne, en particulier avec les commissaires Neelie Kroes, chargée de la société numérique, et Joaquin Almunia, chargé de la concurrence, sur la TVA sur le livre numérique, le prix unique du livre numérique dont nous avons adopté le principe à l'unanimité l'an passé, l'évolution des droits d'auteur à l'ère numérique, les sociétés de gestion de droit. La défense de la diversité culturelle implique de pouvoir consolider les sources de financement du secteur et des industries culturelles ; à ce sujet aussi, des discussions sont en cours au niveau européen sur le financement du secteur culturel par la taxe sur les services de télévision (TST) due par les distributeurs et j'ai défendu les positions françaises en cette matière.

Le troisième axe, qui sous-tend tous les autres, c'est le soutien à la création et à la valorisation du patrimoine, deux faces d'une même médaille. Comme l'a rappelé le président de votre Commission, j'ai le plaisir d'avoir obtenu la reconstitution des crédits pour le spectacle vivant, une mesure très attendue par l'ensemble des professionnels ; ces 23,5 millions d'euros permettront d'assurer les programmations prévues jusqu'à la fin de l'année 2012. Pour la suite, conformément aux engagements du Président de la République, la loi d'orientation sur le spectacle vivant et sur la création s'inscrira dans la perspective d'un double soutien aux artistes et à leurs publics. Notre mission est en effet d'assurer l'accès de tous à la culture, d'accompagner les collectivités locales dans la revitalisation de leurs territoires et de garantir la diversité des démarches artistiques. Le Parlement sera bien entendu associé à cette démarche dès la rentrée parlementaire, afin que nous établissions ensemble les bases d'un cadre large et stable en matière de création pour les années à venir. L'identification de nouveaux viviers d'emploi y contribuera, et aussi le plan d'éducation artistique et culturelle : il nous permettra d'accompagner les écoles d'art et d'architecture dépendant du ministère, qui sont en grande difficulté. Je serai particulièrement vigilante quant à la situation des élèves de ces écoles, auxquels l'État ne consacre que la moitié de ce qu'il réserve à ceux des filières universitaires traditionnelles, et qui étudient souvent dans des bâtiments délabrés. Nous avons conscience des contraintes budgétaires, mais nous ne pouvons négliger les conditions de travail de nos étudiants et de leurs enseignants.

En matière patrimoniale, je m'attacherai, en partenariat avec les régions, à la mise en valeur du patrimoine industriel. Je salue le classement du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais au patrimoine mondial de l'Unesco. Cette formidable victoire que l'on doit à la mobilisation d'une association et de tous les élus du bassin minier nous permet de nous engager dans un programme ambitieux de valorisation de notre patrimoine industriel sur l'ensemble du territoire. On ne peut en effet parler de « valeur travail » et vouloir orienter les jeunes vers les métiers de l'industrie sans honorer la mémoire de ceux qui y ont travaillé dans le passé et sans valoriser l'architecture qui a accompagné ce développement industriel.

La politique du livre et de la lecture est tout aussi essentielle. Le président Patrick Bloche a cité le retour à la TVA à 5,5 % pour le livre – un des engagements du Président de la République – dès l'adoption du collectif budgétaire en discussion. J'ai également engagé une concertation générale avec les acteurs de la filière livre pour chercher à stabiliser notre modèle, qui a permis la diversité de l'édition et de la diffusion, ce formidable réseau de librairies indépendantes et de proximité aujourd'hui menacé par l'arrivée d'un puissant acteur de la vente en ligne. La mobilisation s'impose à ce sujet vis-à-vis de la Commission européenne et des solutions devront être trouvées en France même, avec les libraires et tous les acteurs de la chaîne du livre, pour sauvegarder notre diversité culturelle en matière de lecture. Trente ans après la loi Lang sur le prix unique du livre, nous devons continuer à faire vivre ce très bel héritage à l'ère du numérique.

Un projet de loi, à l'automne, portera sur le processus de nomination des présidents de l'audiovisuel public – autre engagement de campagne du Président de la République ; il contiendra un volet concernant l'Audiovisuel extérieur de la France et s'accompagnera d'une réforme du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) visant à garantir l'indépendance du mode de nomination de ses membres. Dans le même esprit de protection des libertés, un projet de loi verra le jour, élaboré en coopération avec le ministère de la justice, concernant la protection des sources des journalistes.

Dans un autre domaine, j'ai réuni ce matin une grande partie des acteurs de la filière musicale pour traiter du projet de Centre national de la musique. Nous voulons accompagner la filière dans sa transition économique vers le numérique, dans un souci de responsabilité budgétaire alors que des engagements ont été pris sans être financés, et avec la volonté de permettre le maintien d'une diversité musicale qui fait la spécificité et la fierté de notre pays.

Lors des Journées nationales de l'archéologie, j'ai annoncé des mesures d'urgence tendant à défendre l'archéologie préventive, et la création d'une commission appelée à rédiger un livre blanc évaluant le bilan de la loi sur l'archéologie préventive dix ans après sa promulgation, ce qui me permettra de prendre les mesures nécessaires. L'expertise de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) est indiscutable mais l'émergence de nouveaux acteurs – des collectivités locales, mais aussi des opérateurs privés – rend une nouvelle analyse indispensable. Dans l'intervalle, le financement de l'Inrap devra être assuré au niveau prévu lors de la discussion parlementaire initiale.

J'évoquerai encore la conservation de notre mémoire collective, un sujet qui m'est cher. Si les Archives nationales, dont j'aurai le plaisir, à la rentrée, d'inaugurer le nouveau bâtiment à Pierrefitte-sur-Seine, sont une priorité, je souhaite aussi renforcer le partenariat avec l'État pour ce qui concerne les archives départementales. Il faudra également, à l'occasion d'un support législatif que nous étudierons ensemble, revenir sur certaines dispositions de la loi sur les archives de 2008, qui sont de nature à entraver la recherche archivistique. J'entends redonner aux chercheurs la liberté dont ils ont besoin et l'accès à cette ressource constituée collectivement.

Je conclurai en mentionnant deux événements particuliers. En premier lieu, la donation à l'État, par M. Yvon Lambert, de sa collection d'art contemporain ; c'est la plus importante donation faite à l'État depuis celle d'Etienne Moreau-Nélaton en 1906. Nous nous réjouissons de la démarche citoyenne de M. Yvon Lambert, et les services du ministère de la culture et de la communication sont mobilisés pour que cette transmission se fasse dans les meilleures conditions. D'autre part, nous célébrerons le 4 août le cinquantième anniversaire de la loi Malraux sur les plans de sauvegarde et de mise en valeur des quartiers historiques, qui s'insère également dans une perspective patrimoniale.

Je compte sur une collaboration fructueuse entre nous au cours des mois à venir, car je sais que nous partageons tous, quelles que soient nos appartenances politiques, la conviction que la culture et l'art participent de la citoyenneté française, et qu'ils constituent notre fierté mais aussi notre richesse économique et historique.

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