Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 11 juillet 2012 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

Vous m'avez interrogée, monsieur Rogemont, sur la teneur de mes discussions avec les commissaires européens. Comme vous le savez, la France a reçu de la Commission européenne une mise en demeure parce qu'elle a décidé d'appliquer le taux réduit de TVA sur le livre numérique. J'ai plaidé la neutralité fiscale, un principe admis par la Commission, en soulignant que rien ne justifie un taux de TVA distinct selon que le livre est édité sur papier ou en format numérique. Nous maintiendrons cette position, d'autant plus nécessaire qu'un taux de TVA différencié entraverait le développement du livre numérique.

Vous avez évoqué une certaine entreprise, qui contrevient aux dispositions de la loi sur le livre numérique que nous avons adoptée à l'unanimité l'an dernier, soit en vendant à prix réduit des livres présentés comme étant d'occasion, soit en offrant à ses clients les frais de port. Amazon, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, pratique ce faisant une concurrence déloyale envers les libraires. J'ai redit aux commissaires européens le très fort attachement de la France à la loi sur le prix unique du livre – physique et numérique - dont l'esprit doit être respecté.

Toujours à propos du livre, j'ai omis de vous signaler que j'ai demandé à l'inspection générale des affaires culturelles d'évaluer l'ensemble des dispositifs de soutien à la librairie et au livre pour renforcer ceux qui fonctionnent et combler les lacunes éventuelles.

D'autre part, la Commission européenne a saisi la Cour européenne de justice au sujet de la taxe à laquelle les fournisseurs d'accès à internet ont été assujettis pour compenser la suppression de la publicité sur France Télévisions décidée unilatéralement en 2008. Le Gouvernement est attentif à ce que sera la décision de la Cour, qui pourrait avoir un impact considérable sur le financement de France Télévisions et sur le budget de l'État – et nous n'avons pas besoin de cela.

L'expertise de l'Inrap est reconnue, et son action remarquable. Je souhaite que l'on en revienne, lors de la prochaine discussion budgétaire, au niveau de financement que l'inspection générale des finances avait défini pour l'Institut, soit 122 millions d'euros ; avoir abaissé ces crédits à 105 millions d'euros à l'automne dernier est dommageable. Je sais que nous partageons cet objectif.

Je me suis intéressée de près, vous le savez, à la question de la Maison de l'histoire de France et, tout en poursuivant les discussions avec les historiens membres du comité d'orientation scientifique, j'ai demandé que toute décision fasse l'objet d'un moratoire. Que l'enseignement de l'histoire ait été rétabli en classe de terminale scientifique à la rentrée prochaine montre l'attachement de la majorité à cette discipline. À propos, toujours, de la Maison de l'histoire de France, outre que le contexte budgétaire dans lequel nous nous trouvons n'est pas propice à la poursuite de travaux de prestige, le déséquilibre a été très marqué, au cours des dernières années, entre les investissements faits en Ile-de-France d'une part, dans les autres territoires d'autre part ; je suis favorable à un rééquilibrage. Des décisions à ce sujet seront annoncées dans un avenir proche.

Monsieur Riester, nous avons eu de multiples occasions, au cours de la campagne électorale, de dire nos désaccords sur l'évolution réelle du budget du ministère de la culture au cours du quinquennat écoulé. Je continue de penser que l'augmentation budgétaire que vous mettez en avant est factice puisque vous l'échafaudez en englobant dans le budget du ministère une multitude de postes qui sortent de son périmètre. Vous y incluez ainsi 2,2 milliards d'euros correspondant à la rémunération de tous les enseignants en art plastique et en éducation musicale du secondaire, la compensation de la suppression de la publicité à la télévision publique, 700 millions d'euros qui relèvent du ministère de la recherche, et même le plan d'aide à la presse. Les chiffres que vous avancez ne sont donc, malheureusement, pas vrais. Quant à la somme de 30 millions d'euros allouée à l'éducation artistique, elle est beaucoup trop faible, comme l'est le budget, identique, octroyé à l'action culturelle.

L'ancienne majorité a d'autre part diminué de 5,2 % les effectifs des fonctionnaires ; la réduction a été de 8 % pour l'administration centrale du ministère et de 11 % pour les DRAC ; nous sommes donc à l'étiage. Quant au budget d'intervention du programme Création, compte tenu de l'inflation, il a baissé de quelque 7 % en cinq ans.

Vous avez évoqué la Hadopi, dont l'une des caractéristiques, indépendamment de toutes les autres, est qu'elle coûte cher - son collège m'a demandé la reconduction de son budget en 2013, soit 12 millions d'euros. Une mission d'étude a été confiée à M. Pierre Lescure ; ses travaux commenceront le 1erseptembre, et la réflexion portera sur un champ plus large que la seule Hadopi. La création de cette Haute Autorité a-t-elle, comme vous le dites, fait chuter les téléchargements ? Certes, les comportements ont évolué, et c'est heureux pour le secteur musical, mais cette évolution a également été perceptible aux États-Unis, qui n'ont pas une telle instance : là comme en France on a constaté l'accroissement des achats de musique en ligne. D'autre part, la fermeture du site Megaupload, un an après la création de la Hadopi, a montré que bon nombre de gens continuaient de contourner les prescriptions de la Haute Autorité par le biais de la diffusion en flux – ce que les Anglo-Saxons appellent le streaming. La réflexion de M. Pierre Lescure portera sur tous ces sujets.

Je doute qu'il faille se féliciter de la décision de créer six nouvelles chaînes de télévision numérique terrestre (TNT). Elles suscitent bien des inquiétudes, car leur apparition entraînera une dilution supplémentaire des ressources issues d'un marché publicitaire déjà mal en point. De plus, les obligations de financement de la création faites à ces chaînes sont faibles, si bien que leur multiplication risque de ne favoriser ni l'amélioration de la qualité du paysage audiovisuel ni la création – ce qui est pourtant mon objectif. Il n'y a donc pas lieu, à mon sens, de se réjouir de l'expansion de la TNT. D'ailleurs, certains acteurs qui se sont engagés dans ce secteur parce qu'ils ne voulaient pas ne pas en être traînent les pieds.

Vous m'avez interrogée sur les effectifs. L'audit de la Cour des comptes est sans appel, nous héritons d'une situation budgétaire très difficile. Des règles ont, pour cette raison, été édictées par le Premier ministre, qui trouvent leur traduction dans sa lettre de cadrage. Malgré cela, la reconstitution des crédits du spectacle vivant signe l'attachement du président de la République et du Premier ministre à l'importance de la culture. Je ferai valoir les spécificités du ministère pour obtenir la sanctuarisation de ses crédits.

Vous vous êtes inquiétée, madame Marie-George Buffet, de la pérennité du financement de l'audiovisuel public. La question est liée à la taxe sur les FAI, à laquelle la commissaire européenne Neelie Kroes est opposée ; je défendrai le point de vue que canaux de diffusion et contenus sont liés. Le financement du service public de l'audiovisuel a été gravement affaibli par la décision prise à l'emporte-pièce par M. Sarkozy de supprimer la publicité. Cette mesure brutale, qui a déstabilisé le secteur sans même servir les acteurs privés de l'audiovisuel, a eu des effets très négatifs. Il nous faudra creuser ensemble les pistes de réflexion qui nous permettront de consolider le financement du service public de l'audiovisuel pour le renforcer.

Vous m'avez interrogée sur le rapprochement, qui a été évoqué, des rédactions de France 2 et de France 3. Que France 3 ait une mission de proximité ne signifie pas qu'elle doive perdre sa dimension nationale – je l'ai dit au président de France Télévisions Rémy Pflimlin. Je sais l'inquiétude des personnels. Les programmes de France 3 doivent maintenir leur identité propre pour répondre aux attentes des téléspectateurs régionaux ; pour autant, il n'est pas illogique de débattre de la mise en commun de certains moyens pour couvrir divers événements en évitant des doublons.

Mme Buffet m'a aussi interrogée sur l'avenir de l'Audiovisuel extérieur de la France ; vous conviendrez, monsieur Riester, que nous ne pouvons nous réjouir de la situation dans laquelle il nous a été laissé, avec des personnels complètement déstabilisés. RFI fait un travail remarquable, singulièrement pour l'Afrique, où elle offre véritablement un service d'intérêt général. Votre question relative à l'audience de France 24 trouvera sa réponse dans le rapport de M. Jean-Paul Cluzel. Un conseil d'administration de l'Audiovisuel extérieur de la France aura lieu demain, jeudi 12 juillet ; auparavant, je recevrai les organisations syndicales de RFI et de France 24. Je souhaite réserver au conseil d'administration et aux représentants du personnel la primeur des annonces du Gouvernement mais je rappelle que le président de la République et le Gouvernement se sont prononcés contre la fusion des rédactions de RFI et de France 24, une mauvaise chose qui n'est pas envisageable.

La presse connaît en effet des concentrations et des destructions d'emplois, et le dossier du groupe Hersant Média (GHM) appelle des commentaires spécifiques. La presse quotidienne dans son ensemble doit faire face à la transition numérique, qui induit une diminution annuelle de ses ventes de quelque 6 % ; les ressources baissant, on coupe dans les effectifs et on réduit les investissements. À cela s'ajoutent, pour GHM, des problèmes de gestion, des achats déraisonnables ayant lourdement endetté le groupe de la famille Hersant. Il en résulte que plusieurs titres sont menacés, en Champagne-Ardenne et dans d'autres régions. Mon collègue Arnaud Montebourg et moi-même sommes extrêmement attentifs à ce dossier. Nous espérons que des solutions viables seront définies, qui permettront la restructuration du groupe et la sauvegarde de la diversité de l'offre de presse.

La mission qui avait été confiée à M. Gérard Rameix sur le redressement de la société de messageries de presse Presstalis, dont nous souhaitons absolument éviter le dépôt de bilan, se poursuit. Des discussions devront avoir lieu entre les éditeurs, Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse, et chacun devra faire des efforts. J'attache une importance extrême au maintien des 28 000 points de vente de la presse en France, qui assurent un rôle social essentiel, trop souvent passé sous silence.

Madame Isabelle Attard, M. Pierre Lescure remettra donc au Gouvernement, d'ici le premier semestre 2013, des préconisations relatives à la Hadopi ; à cette réflexion seront associés consommateurs et internautes.

Par ailleurs, en cette période de contrainte budgétaire, je juge indispensable le mécénat, source de financement complémentaire importante pour le patrimoine et pour la création, et qui devrait s'étendre à d'autres domaines du spectacle vivant, le théâtre par exemple. Au ministère, la mission du mécénat travaille à élargir cette forme de partenariat aux PME, mais aussi à élaborer une charte de déontologie. Le pilotage du mécénat par l'État, par le biais de règles précises, permettra des échanges justes, au bénéfice de tous.

J'ai souligné, Madame Marie-Odile Bouillé, l'importance que le ministre de l'éducation nationale et moi-même attachons à l'éducation artistique, et je souhaite y associer l'éducation populaire, négligée. Les collectivités territoriales ont pris de nombreuses initiatives en matière culturelle, et les chiffres dont disposent les DRAC devraient permettre d'établir le panorama général du nombre de jeunes ainsi touchés.

Madame Annie Genevard, je suis très attachée à l'accès à la culture en zone rurale. L'égalité de traitement doit valoir pour tous les citoyens et tous les territoires, et il est vrai que l'accès à la culture est parfois plus difficile pour les enfants des zones rurales que pour ceux des zones périurbaines qui ont une tradition communale d'investissement culturel. Le ministre de l'éducation nationale et moi-même portons une attention particulière à cette question ; la numérisation en cours dans de nombreux établissements favorisera cet accès.

Le président de votre Commission a indiqué qu'une mission parlementaire abordant la question de l'intermittence serait créée. Mon collègue Michel Sapin et moi-même nous appuierons sur les conclusions des travaux parlementaires, qui devront dépasser le cadre traditionnel de l'intermittence pour prendre en compte tous les aspects - économique, social, territorial – de l'emploi culturel et éviter ainsi qu'en agitant des feuilles de chiffres comme autant de chiffons rouges on ne stigmatise certaines catégories de la population. La convention expirant le 31 décembre 2013, le Gouvernement traitera cette question l'an prochain, en s'appuyant sur vos travaux.

Monsieur Guénhaël Huet, une nouvelle étape de la décentralisation est annoncée et je m'entretiendrai avec ma collègue ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique du réseau des DRAC. Je suis très attachée à ce réseau que nous devons maintenir pour assurer les missions qui ne peuvent l'être que par l'État. Le bilan, en matière culturelle, de la loi relative aux libertés et responsabilités locales de 2004 n'est pas uniquement positif et l'État doit définir avec les collectivités territoriales un nouveau partenariat plus efficace et plus confiant. Comme il y a eu désengagement de l'État, les collectivités et les établissements publics autonomes ont occupé l'espace laissé vacant et les collectivités locales financent désormais les trois quarts des activités culturelles. Elles jouent donc un rôle majeur dans la politique culturelle, qui participe de la citoyenneté française, et un nouveau partenariat est nécessaire entre elles et l'État, dont la présence en régions doit être forte.

Je suis sensible à la défense de la langue française, ce qui n'est pas toujours facile en matière technologique ; un travail en ce sens sera conduit. La ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires soulève, vous le savez, des difficultés constitutionnelles, et nous procèderons à une analyse juridique. Quoiqu'il en soit, la reconnaissance et la valorisation des langues régionales ne contredisent en rien l'importance donnée à la défense et illustration de la langue française, pour reprendre une expression fameuse.

J'ai visité le chantier du superbe bâtiment du Louvre-Lens, dont vous avez rappelé, monsieur Gérald Darmanin, l'ouverture prochaine dans une ville à forte tradition minière. Il faut se féliciter de ce projet porté par les collectivités territoriales avec le savoir-faire de l'Établissement public du Louvre, au service de la démocratisation culturelle, comme l'est le Centre Pompidou mobile. Ce sont deux très belles initiatives.

Mme Annie Genevard m'a interrogée sur la « culture pour chacun ». Au-delà des slogans, je souhaite redonner au ministère de la culture et de la communication une ambition politique dont j'ai défini les grandes lignes en soulignant le lien entre la culture, la création artistique et la citoyenneté. L'accès à l'art et à la culture doit permettre d'élever les individus, personnellement et collectivement, en dépassant les seules valeurs marchandes.

Il est exact, monsieur Ary Chalus, que les journaux télévisés nationaux ne parlent pas suffisamment des Outre-mer alors qu'ils devraient nous en entretenir quotidiennement, comme des autres territoires de la République, et pas seulement en 2011, qui fut l'année des Outre-mer sur France Télévisions. Cette obligation est de celles que le CSA doit faire respecter aux chaînes nationales ; j'évoquerai cette question avec la présidence du groupe public. Plus généralement, je porterai une attention particulière aux projets culturels dans les Outre-mer, et à ce qu'il y ait des échanges nombreux sur tout le territoire de la République.

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