Intervention de Julie Sommaruga

Réunion du 30 octobre 2013 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulie Sommaruga, rapporteure pour avis :

Ma collègue Carole Delga ayant déjà présenté le rapport spécial de la commission des finances la semaine dernière, en présence du ministre, je ne développerai que les principaux aspects budgétaires, avant de vous présenter la partie thématique de mon rapport pour avis.

Le projet de loi de finances pour 2014 donne à l'école les moyens de sa refondation. L'éducation se trouve ainsi élevée au rang de priorité de la nation. C'était un engagement fort du Président de la République, qui se traduit par un effort budgétaire sans précédent.

Le statut et le métier d'enseignant sont reconnus. Outre la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) dès la rentrée 2013 pour assurer la formation initiale et continue, le gouvernement a accordé une prime immédiate de 400 euros aux professeurs du premier degré. En outre, 8 804 nouveaux postes sont créés, principalement dans l'enseignement primaire, ce qui permettra également la scolarisation des moins de trois ans.

Je citerai aussi le recrutement de 6 000 « emplois d'avenir professeur » supplémentaires pour offrir à ceux qui se destinent à l'enseignement la possibilité d'appréhender progressivement leur métier en acquérant une première expérience professionnelle, et la création de 350 nouveaux postes d'auxiliaires de vie scolaire (AVS) pour l'accompagnement individuel des élèves en situation de handicap – ce qui devrait réjouir mon collègue Michel Ménard, qui avait consacré son rapport pour avis à ce sujet l'an dernier.

De plus, 30 000 contrats aidés supplémentaires ont été créés à la rentrée pour soutenir la scolarisation des élèves en situation de handicap et répondre à d'autres besoins – l'assistance aux directeurs d'école dans le premier degré et le renforcement de la présence d'adultes au profit de l'amélioration du climat scolaire dans le second degré.

Cette année encore, l'enseignement agricole n'est pas oublié, avec la création de 150 postes.

Compte tenu du caractère prioritaire de la mission, les moyens budgétaires de celle-ci progressent. Le ministère de l'éducation nationale contribuera néanmoins à l'effort de maîtrise des dépenses publiques en stabilisant ses dépenses hors personnel, hors contrats aidés et hors emplois d'avenir professeur.

La priorité accordée à l'enseignement scolaire est parfaitement retranscrite dans le projet de loi de finances : 63,4 milliards d'euros sont demandés, en crédits de paiement, pour l'année 2014. Ce budget intègre donc les moyens nécessaires pour réussir la refondation de l'école de la République.

J'en viens au thème de mon rapport pour avis : l'enseignement des sciences au primaire et au collège.

La loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République conforte cet enseignement : elle inclut l'acquisition d'une culture scientifique et technique, et le rapport annexé préconise une évolution de la pédagogie pour renforcer l'attractivité des sciences.

Ces orientations doivent être saluées, car l'enseignement scientifique est en crise. Crise des résultats d'abord, qui baissent ou stagnent. En France, le phénomène d'inculture mathématique s'étend. Les difficultés liées aux mathématiques sont désormais aussi graves que l'illettrisme. Les performances des élèves du primaire en calcul baissent ou stagnent. Le nombre d'élèves en difficulté au collège s'accroît donc mécaniquement, plus sensiblement encore en zone d'éducation prioritaire (ZEP). En primaire comme au collège, on note la persistance d'un « noyau dur » d'élèves en grande difficulté dans les sciences expérimentales : en fin d'école élémentaire, 15 % des élèves – 17 % en ZEP – ne savent répondre qu'à des questions en lien avec leur expérience quotidienne.

Il existe aussi un problème de formation. Issus à 75 % des disciplines littéraires ou sociales, les professeurs des écoles ne sont pas toujours armés pour conduire une démarche scientifique, d'autant que les formations initiales et continues ont été sacrifiées ces dernières années.

Crise des contenus ensuite. Lors des auditions, le caractère inaccessible des programmes, qui accumulent les notions sans construction des savoirs a été unanimement dénoncé. Les sciences paraissent dès lors inaccessibles et réduites à leur fonction sélective.

Les moyens en termes de crédits pédagogiques sont un autre enjeu.

Enfin, l'enseignement scientifique souffre de la « rupture » liée au passage en sixième, du monde de la polyvalence à celui des disciplines. Les classes surchargées, la quasi-disparition des personnels de laboratoire et du fléchage des heures de travaux pratiques conduisent aussi à sacrifier la partie expérimentale des apprentissages au collège.

Ces difficultés concourent à expliquer le faible intérêt des élèves pour ces matières au moment où tout se joue, c'est à dire en primaire et au collège.

Comment donner le goût des sciences aux élèves et améliorer cet enseignement ? L'objectif est non pas d'imposer de manière homogène la démarche scientifique sur tout le territoire, mais de créer des conditions adaptées pour que l'engagement et la bonne volonté des enseignants – et celle-ci est forte – trouvent enfin à s'exprimer. Mon rapport formule donc plusieurs suggestions.

La première est la refonte des programmes. La refondation ne pourra se faire sans leur donner, à tous les niveaux, plus de cohérence et de continuité. Je salue à ce titre la mise en place du Conseil supérieur des programmes, qui proposera de nouveaux programmes selon son propre calendrier.

Permettez-moi cependant une remarque. La démarche d'investigation, préconisée par les programmes actuels du primaire et du collège, et qui complète intelligemment l'acquisition des fondamentaux, a été sacrifiée. Suite aux auditions, il semble indispensable de sanctuariser cette démarche et les travaux pratiques, en trouvant le bon équilibre avec les fondamentaux. La démarche expérimentale permet aux enfants issus de milieux très éloignés de la culture scolaire d'aimer l'école et d'acquérir le goût des sciences. Lorsque l'on manipule, on s'éloigne du sentiment d'échec. Il faut donc donner la possibilité aux enseignants de mettre cette démarche en place, dès la maternelle, afin de lutter également contre les stéréotypes fillegarçon – je sais ma collègue Maud Olivier très attachée à ce sujet.

Ma deuxième suggestion consiste à rompre l'isolement des enseignants face aux sciences, dont le caractère abstrait et élitiste insécurise les professeurs des écoles, qui n'osent pas se lancer dans des expérimentations pour lesquelles ils n'ont pas été formés. Donnons-leur les outils nécessaires pour susciter chez les élèves de la curiosité et du goût pour l'investigation et le raisonnement.

Concernant la formation initiale, je ferai trois propositions. Sachant que les futurs enseignants ne pourront être formés pendant les seules années de master préparant les concours de recrutement, il faut renforcer l'accompagnement des professeurs pendant les deux premières années d'exercice du métier. Cet accompagnement devrait s'appuyer sur une large palette d'instruments : formation à distance, tutorat, recours à des partenaires institutionnels. Enfin, le réseau des inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) « sciences » devrait être mobilisé à cet effet, une fois son pilotage renforcé.

Ainsi que le montre l'expérimentation « projet pour l'acquisition de compétences par les élèves en mathématiques » (PACEM), la qualité de l'enseignement scientifique pourrait être rapidement améliorée par des actions de formation continue. Il faudrait agir sur trois leviers : renforcer le budget et la politique de la formation continue ; développer la dimension partenariale et la formation en ligne – pour information, le service public du numérique éducatif créé par la loi du 8 juillet 2013 doit proposer des ressources pédagogiques et des contenus contribuant à la formation des enseignants ; créer de nouvelles certifications professionnelles et les valoriser, en développant par exemple la position de « formateur ». Cela permettrait de renforcer « sur place » la culture scientifique des professeurs, sans leur donner le sentiment que leurs difficultés ne peuvent être comblées que par des apports extérieurs.

Ma troisième suggestion vise à faciliter la transition école-collège et l'interdisciplinarité. L'enseignement scientifique se prête par essence à la jonction des disciplines. L'expérimentation de l'enseignement intégré de science et de technologie (EIST) met en oeuvre cette interdisciplinarité ; elle permet de donner une vision cohérente de la science aux élèves et leur donne l'occasion de manipuler. Sa généralisation n'est matériellement pas envisageable, et les enseignants du second degré ne souhaitent pas rentrer dans la polyvalence – ce qui est justifié. En revanche, elle pourrait être un point d'appui pour mettre en oeuvre une réelle interdisciplinarité, recherchée par le plus grand nombre, afin de décloisonner les apprentissages par l'étude d'objets scientifiques. La pédagogie de projet pourrait ainsi être développée, ce qui impliquerait de créer – cette évolution étant aussi délicate qu'indispensable – des temps interdisciplinaires dans les emplois du temps des élèves et des professeurs.

Ma quatrième suggestion concerne la sanctuarisation des crédits pédagogiques. Les écoles et collèges doivent disposer des crédits nécessaires pour acheter le matériel indispensable à la démarche d'investigation, a fortiori dans les ZEP. Il faut également conforter la généralisation des mallettes « sciences » qui permettent aux professeurs et aux élèves de manipuler et d'expérimenter.

Ma cinquième et dernière suggestion consiste à soutenir la mise en place d'activités périscolaires scientifiques. J'avais amendé le rapport annexé de la loi portant refondation de l'école de la République pour souligner leur intérêt. Le ministre nous a indiqué en commission élargie que moins de 10 % des activités périscolaires étaient aujourd'hui consacrés à des activités scientifiques. Nous avons donc une marge de progrès. Il faut mobiliser les compétences, les réseaux, les associations ; tous ceux qui sont chargés de cette question doivent être informés des ressources existantes. Il est par ailleurs primordial que ces activités périscolaires soient élaborées en étroite collaboration avec les équipes enseignantes.

Encore une fois, pour donner le goût des sciences et améliorer le niveau des élèves, il faut donner toute sa place à la démarche expérimentale. L'objectif est de trouver le bon équilibre avec l'acquisition des fondamentaux qui seront confortés par la manipulation. Atteindre cet objectif suppose de donner du temps aux enfants pour apprendre ; la demi-journée de classe rétablie dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires y participera.

En conclusion, la refondation de l'école ne saurait donc se faire sans un renforcement de la culture scientifique. C'est un enjeu non seulement pour notre compétitivité, mais aussi pour la République : pour exercer leur liberté et « faire Nation », nos enfants doivent acquérir et développer un rapport à l'erreur, au questionnement et au doute.

Par ailleurs, tous les moyens sont donnés à l'école pour réussir sa refondation. Dans ce contexte de crise économique, le gouvernement fait le choix de donner la priorité à l'avenir de nos enfants. C'est pourquoi je vous invite à donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

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