Intervention de Marie-George Buffet

Réunion du 29 octobre 2013 à 17h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet, rapporteure pour avis des crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » :

Lors de la commission élargie du 22 octobre, consacrée à la mission « Sport, jeunesse et vie associative », Mme la ministre Valérie Fourneyron a développé ses objectifs avec beaucoup de rigueur et de dynamisme, et a répondu avec précision à toutes nos questions ; son apport au débat fut déterminant.

La mission affiche une hausse de plus de 19,6 % en autorisations d'engagement et de 19,3 % en crédits de paiement. On pourrait s'en féliciter ; mais cette augmentation est liée à l'inscription, en 2014, sur cette mission, d'un pécule de 100 millions d'euros au titre du plan des investissements d'avenir (PIA), utilisable par appel à projets de 2014 à 2017, et qui intéresse également l'éducation nationale. L'audition de Mme la ministre comme celle de M. le ministre de l'éducation ont témoigné de la complexité de gestion et d'utilisation de ce nouveau programme 411, intitulé « Projets innovants en faveur de la jeunesse ». Notre commission devra, à moyen terme, faire un point d'étape quant à la maîtrise de ces crédits par le ministère des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative. En effet, les exigences qui y sont associées – caractère innovant des projets, ampleur des territoires et des réseaux concernés – peuvent exclure de ce financement les réponses à des besoins bien réels, tels que le fonctionnement des centres de loisirs, bouleversé par la réforme des rythmes scolaires.

Si l'on ne tient pas compte de ce programme 411, à périmètre constant, les deux programmes « Sport » et « Jeunesse et vie associative » régressent de 2,9 % et de 1,1 % respectivement. Au-delà du budget pour 2014, la lente érosion des moyens du ministère contribue depuis des années à élargir le fossé entre son champ de compétences et les moyens qui lui sont attribués : 460 millions d'euros. À terme, cette érosion posera la question de l'existence même d'un ministère de plein exercice. En 2012, lors de la commission élargie consacrée au budget pour 2013, le rapporteur de la commission des finances s'était d'ailleurs demandé, avec ironie, si le montant examiné justifiait encore l'existence d'une mission.

Nous sommes tous attachés au ministère des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, et à ses missions : l'accès de toutes et de tous à la pratique sportive, sur tout le territoire et à tous les niveaux ; la protection des valeurs du sport et de l'intégrité physique et psychique des sportives et des sportifs ; le soutien du mouvement sportif ; le développement de la vie associative dans le respect de ses objectifs propres d'éducation populaire ; l'impulsion d'une politique de jeunesse ; la formation et les métiers correspondant à ces missions. Avec des moyens aussi réduits, le ministère peut-il garder la capacité de les remplir ? Pense-t-on encore que l'intervention publique dans ces champs de compétence reste nécessaire ? Si notre réponse est positive – et je n'en doute pas –, il faut permettre à ce ministère de relever trois défis et d'ouvrir un chantier.

Avant tout, le ministre doit recouvrer la maîtrise de ses personnels. Ce ministère atypique doit gérer un personnel quasiment militant qui connaît bien le sujet et le terrain, régir des métiers spécifiques – conseiller technique, conseiller d'éducation populaire et de jeunesse – et travailler en partenariat étroit avec le monde associatif et les collectivités territoriales. La révision générale des politiques publiques (RGPP) et, surtout, la disparition des directions déconcentrées ont eu pour conséquence de compliquer la mobilisation, par le ministre, de ses personnels et de dégrader, au niveau départemental, le partenariat avec le mouvement sportif et les associations, pourtant vivace à l'échelle nationale. La méconnaissance des métiers du sport et de l'éducation populaire de la part de l'administration préfectorale crée des frustrations lourdes au sein du personnel. Il faut donc travailler à recréer une véritable direction des ressources humaines propre à ce ministère, à rouvrir un portail « Jeunesse et sport » au niveau des départements, à donner une nouvelle visibilité aux métiers du sport et à continuer à contrôler les écoles nationales dépendant du ministère et les contenus des formations dispensées dans les centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (CREPS), aujourd'hui régionalisés.

Le deuxième défi revient à attribuer au ministère un socle de moyens lui permettant d'assurer ses missions premières, ce qui implique de retrouver une capacité de financement public d'État, aujourd'hui marginal – bien inférieur à celui des familles et des collectivités territoriales – et fragilisé par sa dépendance à l'égard de celui du Centre national pour le développement du sport (CNDS), fondé sur les paris en ligne, les jeux et les droits télévisuels. Même si ma proposition doit vous paraître hors du temps, je pense qu'il faut travailler, sur les trois ans à venir, à une progression du budget du ministère, qui lui permettrait de retrouver une marge d'initiative et d'action. Ce défi implique également d'en finir avec le recours systématique aux appels à projets concernant des publics ou des objectifs ciblés. Le financement du sport se justifie, car celui-ci concourt à la santé de la population, à la cohésion et à l'insertion sociales, mais également à la création d'emplois. Le ministère ne peut pas reprendre à son compte tous les objectifs normalement dévolus à ses homologues. C'est en développant les clubs, en augmentant le nombre de licenciés, en renforçant la formation des bénévoles, en préservant l'éthique et les valeurs du sport, en encadrant le sport de haut niveau par des spécialistes, en construisant les infrastructures nécessaires, que l'on arrivera à développer l'emploi, à aménager le territoire, à contribuer à la cohésion sociale, au développement économique et bien entendu à la santé.

Enfin, il faut redonner cohérence et visibilité à l'action du ministère en faveur de la vie associative, de la jeunesse et de l'éducation populaire. La mise en place, par le Gouvernement, du Comité interministériel de la jeunesse, doté d'un délégué interministériel et d'un secrétariat permanent, constitue une avancée considérable. La politique en direction des jeunes – priorité du Président de la République – nécessite une mobilisation de l'ensemble des ministères : emploi, santé, éducation, culture. Cette avancée redonne au ministère des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative le rôle de coordinateur et de pilote, et on ne peut que s'en féliciter. Cela démultipliera sa force d'action et d'initiative, amoindrie par la prolifération des dispositifs en direction de la jeunesse.

Le développement de la vie associative des jeunes et de l'éducation populaire demeure pourtant une responsabilité propre au ministère. L'engagement de la jeunesse se lit dans le succès du service civique qui absorbe les deux tiers de la ligne jeunesse de ce budget et doit, à terme, accueillir 100 000 jeunes. Mais il ne s'y résume pas, s'exprimant également dans les grandes associations de jeunesse. Nous avons ainsi auditionné la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) qui fait un remarquable travail de proximité, notamment auprès des travailleurs saisonniers. Des associations comme celle-ci jouissent aujourd'hui de peu de visibilité, et demandent à être confortées par un financement pérenne.

Le rapport sur la vie lycéenne avait également abordé la question de la démocratie dans les établissements ; il nous faut soutenir les organisations que se donnent les lycéens ou les étudiants pour mener leur action. Nous devons également conforter les grands réseaux d'éducation populaire. Cela implique de travailler avec eux à une nouvelle évaluation de leur mission – la dernière datant de plus de dix ans – et à une redéfinition de leurs objectifs, et de développer l'aide directe aux associations, notamment à travers le Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (FONJEP) et les subventions.

Le chantier à ouvrir – qui, comme nous l'avons constaté lors de l'audition du président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), M. Denis Masseglia, est en réalité déjà commencé – est celui du modèle sportif français. Celui-ci repose sur une idée simple : le sport est un droit, et appelle à ce titre des politiques publiques. Ces politiques ont commencé, sous le Front populaire, par la création du brevet sportif populaire et les premières aides publiques de l'État à l'équipement communal sportif. Au fil des décennies, on a construit un véritable partage des missions de service public entre l'État et le mouvement sportif : l'État finance les fédérations sportives, qui gardent le monopole de l'organisation de leurs disciplines respectives, y compris des compétitions ; en contrepartie, l'État exerce sur elles une tutelle – qui passe par les agréments, les conventions, l'encadrement des diplômes et des techniques, et les règlements intérieurs –, les droits et les devoirs des fédérations étant inscrits dans la loi. Ce modèle a permis de favoriser l'égalité d'accès au sport, de promouvoir ses valeurs et de conférer à la France la sixième place au niveau international pour le sport de haut niveau. Mais il est aujourd'hui fragilisé par plusieurs évolutions : l'affaiblissement du financement de l'État, le rôle de plus en plus important des collectivités territoriales, le développement du sport professionnel. Rappelons que l'existence d'une ligue professionnelle du rugby ne date que des années 2000 ; le mouvement s'est donc fortement accéléré durant la dernière décennie. Du statut de société anonyme à objet sportif, les clubs passent à celui de société anonyme de droit commun ; on ne sait plus, dès lors – on le constate dans le débat sur la taxation des hauts revenus à 75 % –, si l'on a affaire à des clubs sportifs ou à des entreprises. Certains ont même revendiqué une rupture de la filiation avec l'association sportive, ou évoqué la volonté de créer des ligues fermées.

L'unité même du sport à travers la vie fédérale devient moins évidente. Dans beaucoup de disciplines, la professionnalisation du haut niveau est très avancée ; il est impossible, si l'on veut jouer un rôle de premier plan dans les compétitions internationales, de mener en parallèle une carrière professionnelle. Le développement du sport de loisir se poursuit également. Les disciplines sont de plus en plus nombreuses – elles se sont par exemple multipliées dans le domaine des arts martiaux –, mais de moins en moins à bénéficier d'une véritable visibilité médiatique. Le rôle des structures – notamment des fédérations – internationales s'est accru ; le rugby, par exemple, cherche en ce moment à se doter d'une structure européenne équivalant à celle du football.

Face à ces réalités, nombreux sont ceux qui estiment – dans tous les courants partisans – que l'État devrait limiter son action au soutien au sport pour tous, que le sport de haut niveau devrait relever du mouvement sportif – et notamment du CNOSF et des fédérations –, et le sport professionnel vivre sa vie indépendante des missions de service public. Pour ma part, je m'y oppose ; le sport étant un droit, l'égalité d'accès de tous et de toutes à la pratique sportive, à tous les niveaux et sur tout le territoire, tout comme le soutien aux valeurs et à l'éthique du sport, exigent une impulsion de l'État, une régulation et un contrôle. La capacité d'autorégulation du mouvement sportif n'est pas avérée : on a pu le constater dans le cas de la lutte contre le dopage où il a fallu que les États européens interviennent au niveau international pour que le Code mondial antidopage voie le jour. De même, il est nécessaire d'établir des outils de contrôle et de gestion pour réguler l'argent qui circule dans le sport.

Seul le financement public peut assurer la pérennité de toutes les disciplines, dont certaines seraient condamnées en cas de passage au financement privé. Dans le domaine sportif, l'engagement public est tout aussi nécessaire qu'il l'est dans celui de l'éducation. Mais il faut modifier les conditions du partenariat, clarifier les compétences et redonner à la puissance publique – aux collectivités, mais également au ministère – les moyens d'assurer sa mission. Il faut également développer la vie démocratique des fédérations, car faire débattre les orientations et les objectifs du mouvement sportif par l'ensemble des licenciés en rehausserait la force et la portée. Le projet de loi de programmation et d'orientation qui nous sera présenté par Mme la ministre en 2014 devrait répondre à toutes ces interrogations.

Le ministère des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative représente un très bel outil de l'action de l'État, et il est temps de lui redonner les moyens indispensables à son ambition. C'est ainsi qu'il faut comprendre mon appel à l'abstention sur ce budget : au lieu de se plaindre, année après année, de sa petitesse, il faut donner un signe fort en faveur de son augmentation, pour qu'il continue à alimenter un véritable ministère capable de prendre les initiatives nécessaires.

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