Intervention de Hervé Féron

Réunion du 30 octobre 2013 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Féron, rapporteur pour avis :

Avant d'aborder le thème de mon avis budgétaire de cette année, le « 1 % artistique », je vous présenterai très brièvement une analyse des crédits des programmes 131 « Création » et 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », dont les dotations s'élèvent respectivement à 746 millions et à 1,08 milliard d'euros, soit environ 70,5 % des crédits de la mission « Culture ». La contribution de cette dernière à l'effort de redressement des comptes publics est principalement portée par une diminution des crédits d'investissement liés à la fin des grands projets arrivant à leur terme et par un effort d'économie sur les opérateurs qui verront leurs subventions baisser par rapport à 2013.

Néanmoins, dans un contexte budgétaire difficile, les crédits en faveur de la création, de la transmission des savoirs et de la démocratisation de la culture bénéficient des priorités établies par le ministère. La jeunesse est la première de ces priorités : le ministère souhaite ainsi développer un plan national en faveur de l'éducation artistique et culturelle, doté de 5 millions d'euros de crédits, mais aussi conforter les moyens de l'enseignement supérieur culturel, qui forme 35 000 étudiants chaque année. Les crédits alloués à l'enseignement supérieur augmentent ainsi de 7 %. En outre, le budget préserve les crédits en faveur de la création dans le spectacle vivant et les arts plastiques en région. Les crédits d'intervention augmentent de 7,6 millions d'euros, un effort particulier étant consenti dans le domaine des arts plastiques, dont les crédits augmentent de 7 %. Cette hausse doit permettre de soutenir un secteur fragile souffrant parfois du sentiment d'être le « parent pauvre » des politiques de soutien à la création.

J'en viens à présent à la partie thématique de mon avis budgétaire, que j'ai consacrée au « 1 % artistique », c'est-à-dire à l'obligation de dédier 1 % du coût des constructions publiques à la réalisation d'une oeuvre d'art dans leur enceinte ou à leurs abords. Je me suis attaché à identifier les moyens d'améliorer un dispositif dont l'existence est très appréciée mais dont la mise en application est très critiquée. Ainsi conviendrait-il notamment de mieux mettre en valeur les réalisations issues du « 1 % » dans le cadre du grand chantier de l'éducation artistique et culturelle.

Initialement réservée aux constructions du ministère de l'Éducation nationale, cette procédure spécifique de commande d'oeuvres d'art créée en 1951 a vu son champ d'application s'élargir progressivement à la plupart des constructions de l'État et des collectivités territoriales. Instrument de soutien à la création artistique, tout autant que de mise en contact du public avec l'art contemporain en dehors des institutions spécialisées, ce mécanisme a permis en soixante ans la constitution d'un patrimoine exceptionnel de quelque 12 300 oeuvres réparties sur l'ensemble du territoire national et signées par 4 000 artistes. La procédure permettant la sélection de l'oeuvre réalisée dans le cadre du « 1 % » a, à plusieurs reprises, été qualifiée d'exemplaire, tant par la Direction générale de la création artistique que par les représentants des artistes. Exemplaire tout d'abord en ce que son inscription dans le code des marchés publics offre d'importantes garanties de publicité, de transparence et d'égalité d'accès des artistes à la commande publique. La procédure de sélection repose aussi sur un comité artistique, instance incluant notamment des représentants d'artistes, et au sein de laquelle s'exerce la concertation permettant aux maîtres d'ouvrage de choisir, au titre du « 1 % », une ou plusieurs oeuvres d'artistes vivants. Il s'agit donc d'une procédure formalisée obéissant à des règles précises, permettant une sélection des candidats dans des conditions de transparence et d'objectivité.

Toutefois, le « 1 % artistique » a souvent fait l'objet de critiques, à commencer par le fait que le non respect fréquent de cette obligation ne donne lieu à aucune sanction. En effet, certaines collectivités n'appliquent jamais ce principe, soit qu'elles ignorent leurs obligations, soit qu'elles soient réfractaires à s'y conformer. Qui plus est, de nombreux maîtres d'ouvrage demeurent réservés sur son utilité. Pour autant, il ne me semble pas opportun de prévoir des sanctions qui pourraient être perçues comme punitives alors même que les voies de la pédagogie et de la sensibilisation n'ont pas encore toutes été épuisées. Plutôt que de sanctionner, il convient donc d'informer et de valoriser les actions menées.

Il a par ailleurs souvent été reproché au dispositif d'être capté par des artistes non déclarés à qui l'on ne demande pas de preuve d'affiliation à la Sécurité sociale des artistes auteurs, ou encore de ne profiter qu'à un petit nombre d'artistes officiels.

Au-delà de ce phénomène « d'abonnement », il est nécessaire de restaurer les oeuvres vieillissantes ; or les collectivités ignorent bien souvent que les obligations relatives aux constructions publiques concernent également les opérations de réhabilitation. Et parfois, lorsque les oeuvres n'ont pas été recensées, les collectivités oublient qu'elles relèvent du « 1 % artistique ». De même, il arrive que des oeuvres soient délaissées voire disparaissent. La restauration des oeuvres reste donc insuffisamment anticipée. Enfin, pour les projets les plus importants, les sommes consacrées à la réalisation de l'oeuvre peuvent exercer un effet repoussoir sur le public.

À l'issue des nombreuses auditions d'artistes et de collectivités que nous avons menées, s'esquissent plusieurs pistes d'amélioration du dispositif, qui devraient nous permettre d'en faire un outil indispensable dans le cadre d'une éducation artistique et culturelle ambitieuse. Certains syndicats d'artistes ont ainsi réclamé une extension du champ d'application du « 1 % » aux collectivités autres que celles issues de la décentralisation, telles que les intercommunalités. En effet, n'entrent actuellement dans le champ d'application de la loi que les constructions relevant de l'État avant les lois de décentralisation, c'est-à-dire pour l'essentiel les établissements scolaires, les bibliothèques et les archives départementales. Cette préconisation me semble importante et positive : allant dans le sens d'une promotion de notre culture, elle offre des débouchés et permet aux territoires ruraux de ne plus être les parents pauvres de la politique culturelle.

L'extension pourrait d'autre part porter sur les hôpitaux et le logement social : je soutiendrais avec enthousiasme une telle proposition si la période était au faste budgétaire. Mais il est plus honnête d'affirmer qu'à court terme, ces préconisations semblent irréalisables. Il y a néanmoins certainement matière ici à informer et à sensibiliser les maîtres d'ouvrage sur la possibilité d'appliquer le « 1 % », même lorsque la procédure n'est pas obligatoire.

Ce sont à mon sens essentiellement les efforts de communication qu'il nous faut renforcer. Le ministère envisage par exemple de créer une journée du « 1 % » dans les établissements scolaires. Si le soixantième anniversaire du « 1 % artistique » a pu constituer pour le ministère de la culture l'occasion de mettre en valeur les réalisations les plus remarquables, notamment à travers l'ouvrage « Cent 1 % », on relève une lacune importante dans le recensement de l'ensemble des projets achevés à ce jour et de ceux dont la conception est à venir. La réalisation d'un inventaire général des oeuvres créées au titre du « 1 % » pourrait elle aussi contribuer à ces efforts de communication et de valorisation non seulement des oeuvres mais surtout du dispositif même. Le ministère pourrait ainsi consacrer une page aux oeuvres issues du « 1 % » sur Wikicommons – outil qui présente l'avantage d'être collaboratif. Il serait aussi souhaitable que les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) informent et sensibilisent plus efficacement les maîtres d'ouvrage. Mais il semblerait, à en croire certains artistes, que les conseillers artistiques de ces directions manquent parfois de moyens.

Il nous paraît par ailleurs indispensable que les maîtres d'ouvrage se conforment à leur obligation de s'assurer que les artistes sélectionnés bénéficient d'une couverture sociale.

Il pourrait en outre être suggéré aux conseils généraux et régionaux de subordonner l'attribution de leurs aides à la construction à l'application effective du « 1 % », dès lors que les projets aidés entrent dans le champ de l'obligation prévue par la loi.

Autre proposition : les services chargés du patrimoine au sein des conseils généraux et régionaux pourraient recenser toutes les oeuvres issues du « 1 % », créer une signalétique et fournir à destination du public un descriptif de ces oeuvres ainsi qu'une biographie des artistes qui les ont réalisées, en utilisant par exemple un système de code QR. Ces services pourraient définir un plan pluriannuel d'entretien des oeuvres et le communiquer au public sur des plaques informatives. En lien avec les services pédagogiques, ils pourraient enfin sensibiliser les collégiens et les lycéens à ces oeuvres.

De telles initiatives sont indispensables à la valorisation du « 1 % », véritable musée à ciel ouvert reflétant à sa façon les tendances artistiques des soixante dernières années. L'État, les DRAC et les collectivités locales pourraient relancer le dispositif en améliorant l'information, en incitant les maîtres d'ouvrage à l'utiliser et en valorisant les oeuvres existantes. Ainsi le public pourrait-il se réapproprier cette démarche artistique.

Par ailleurs, les oeuvres issues du « 1 % » constituent un support particulièrement précieux dans le cadre de l'éducation artistique et culturelle. Car, comme le rappelle le projet annuel de performance pour 2014, « la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école fait désormais de l'éducation artistique et culturelle une composante fondamentale de la formation de tous les élèves. Elle instaure en outre un parcours d'éducation artistique et culturelle pour tous, que le ministère de la culture et de la communication souhaitent développer sur l'ensemble des temps de vie. Le parcours d'éducation artistique et culturelle doit venir concrétiser la conjonction de ces deux dynamiques afin de réduire les inégalités territoriales. Il s'inscrit dans une politique éducative et culturelle globale et partagée et doit se concevoir comme une construction d'apprentissage sur un territoire à destination des jeunes – à l'école et hors de l'école. Il entend favoriser la concertation entre les différents opérateurs d'un territoire afin de construire une offre éducative et culturelle cohérente en rapprochant l'éducation formelle et non formelle, en s'appuyant sur une dynamique territoriale partant des pratiques, des expériences et des ressources des territoires, dans un partenariat renouvelé avec les collectivités territoriales où il s'agit d'élaborer conjointement des réponses à des enjeux partagés à partir de territoires de projet. » Voilà un programme ambitieux, qui pourrait permettre de valoriser les oeuvres réalisées dans le cadre du « 1 % ».

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