Intervention de Pierre Vimont

Réunion du 28 novembre 2012 à 9h30
Commission des affaires européennes

Pierre Vimont, secrétaire général exécutif du Service européen pour l'action extérieure, SEAE :

C'est un grand honneur pour moi d'être accueilli ce matin devant vos deux commissions. C'est également un grand plaisir de pouvoir revenir dans mon pays d'origine, alors même que je suis devenu fonctionnaire européen.

Je planterai tout d'abord le décor, afin de vous décrire le cadre dans lequel travaille le Service européen pour l'action extérieure.

Ce service, créé par le traité de Lisbonne, a été installé un an après la mise en oeuvre de celui-ci, le temps de prendre les décisions nécessaires. En effet, après les référendums français et néerlandais de 2005, les institutions européennes étaient devenues très prudentes et avaient préféré attendre que les vingt-sept États membres aient tous ratifié le traité de Lisbonne avant de rien engager en la matière.

La première caractéristique de ce service, qui n'est pas une institution mais une administration de l'Union européenne, est de n'appartenir ni à la Commission ni au Conseil des ministres. Il se situe entre les deux, dans un effort de synthèse et d'innovation institutionnelle, qui n'a pas peu contribué à augmenter les difficultés de sa mise en place. Nous avons essuyé les plâtres, aux côtés de nos collègues de la Commission et du Conseil.

Sa seconde caractéristique est de répondre à la notion d'« approche globale » ou d'« approche intégrée » contenue dans le traité de Lisbonne, qui vise à assurer une meilleure coordination des différentes institutions dédiées à l'action extérieure de l'Union européenne. Cette action sollicite à la fois les instruments traditionnels de la Commission – l'action commerciale, humanitaire, énergétique, de développement et de coopération ou de transport –, et les instruments des États membres et du secrétariat du Conseil – l'action diplomatique, politique, de sécurité et de défense. L'objectif du SEAE est de donner un cadre général à tous ces instruments afin de leur donner une efficacité maximale, notamment en période de crise. Vous avez évoqué la Syrie, le Mali et plus généralement le Sahel : j'y ajouterai la Corne de l'Afrique, le Soudan ou les pays du printemps arabe, où nous développons notre action extérieure – la Libye, la Tunisie et l'Égypte. Le SEAE, en coordonnant l'action des différents instruments de l'Union européenne, met donc en oeuvre une approche intégrée.

Celle-ci n'allait pas de soi dans l'Europe d'avant Lisbonne, où chacun agissait de son côté, qu'il s'agisse du commissaire chargé des relations extérieures, du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) – M. Javier Solana – ou encore de la présidence tournante qui, tous les six mois, présentait un programme différent et des priorités nouvelles.

Le traité de Lisbonne a retiré à la présidence tournante tout rôle propre en matière de politique étrangère et de sécurité et une seule personne, le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, actuellement Lady Ashton, a remplacé le commissaire chargé des relations extérieures et le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune. Lady Ashton est à ce titre présidente du Conseil des ministres des affaires étrangères, du Conseil des ministres de la défense et du Conseil des ministres chargés du développement.

Le service préside par ailleurs des groupes de travail du Conseil ainsi que le Comité de politique et de sécurité (COPS). Il gère également le réseau des délégations européennes, qui ont remplacé les délégations de la Commission européenne. Ces délégations, au nombre de 140 dans le monde, remplissent la fonction de véritables ambassades de l'Union européenne même si elles n'en portent pas le nom de peur de froisser certains États membres. Elles ont à leur tête pour un grand nombre d'entre elles des diplomates issus des États membres. Le SEAE a en effet la spécificité d'accueillir, en son sein, à la fois des fonctionnaires issus de la Commission, d'autres issus du secrétariat du Conseil et des diplomates issus des États membres. L'objectif est de voir ces derniers représenter à terme un tiers des effectifs – ils en représentent à l'heure actuelle environ 28 %. Ils apportent au SEAE la culture diplomatique des États membres.

Le SEAE a accueilli en son sein les différentes entités qui constituaient le secteur de la politique de défense et de sécurité : le comité militaire, l'état-major, avec notamment la Direction de la planification et de la gestion de crises – CMPD pour Crisis Management and Planning Directorate – et la Capacité civile de planification et de conduite – CPCC pour Civilian Planning and Conduct Capability. La France en particulier s'était demandé si ces différents services devaient être intégrés dans le SEAE, tout en reconnaissant qu'on ne pouvait pas plaider pour une approche globale et en écarter la dimension militaire. C'est pourquoi ces services ont été finalement intégrés comme éléments d'un ministère de la défense à l'intérieur d'un service qui se conçoit comme un ministère des affaires étrangères, ce qui est assez novateur. De ce fait, le SEAE a désormais la capacité d'intégrer immédiatement la dimension militaire dans les efforts consentis pour développer la gestion de crise. Ainsi, le chef de l'état-major européen et le président du comité militaire assistent à nos réunions sur le Mali, aux côtés des différents planificateurs en matière de défense et de sécurité, ce qui nous permet de gagner en efficacité grâce à un travail plus rapide et coordonné qu'auparavant.

De nombreux observateurs ont remarqué que les deux premières années de la mise en oeuvre du traité de Lisbonne se sont accompagnées d'un creux dans le domaine de la sécurité et de la défense européennes. C'est exact. Durant ces deux années, aucune nouvelle opération n'a été lancée, alors que dans la période précédente, sous Javier Solana, jusqu'à deux opérations étaient lancées chaque année, pour atteindre un total de vingt-trois depuis 1999. Il faut noter qu'à la mise en place de la nouvelle organisation se sont ajoutés les effets d'une crise financière et économique très forte, qui a paralysé l'action des États membres. Faisant le point des opérations existantes, notamment en Géorgie, au Kosovo ou en Afghanistan, nous avons observé que les contributions annoncées ne s'étaient pas entièrement concrétisées. Ainsi, sur les 150 observateurs prévus en Géorgie, seule une petite centaine est encore en place. Au Kosovo, quatre grandes unités de police avaient été annoncées dans le cadre de l'opération Eulex : elle n'en comprend à l'heure actuelle qu'une seule, essentiellement assurée par la Pologne, les autres pays ayant rapatrié leurs renforts pour des raisons de politique intérieure. Il a donc fallu dans un premier temps se réorganiser. Toutefois, le mouvement est reparti dans le bon sens depuis quelques mois. Il en est ainsi, dans la Corne de l'Afrique, du soutien financier apporté par l'Europe à la Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM) – l'Europe en est le premier donateur – et de la Mission européenne de formation des soldats des forces somaliennes (EUTM Somalia). De plus, nous mettons en place une troisième opération, Eucap Nestor, qui vise à renforcer les capacités maritimes notamment de Djibouti et du Kenya, et à aider ces États à se doter de l'appareil sécuritaire et juridique leur permettant de lutter contre la piraterie et, au-delà, de renforcer la sécurité maritime le long de leurs côtes. L'opération, qui en est au stade du concept opérationnel, est conduite par l'amiral français Launay.

Nous avons par ailleurs installé au Niger une mission civile et militaire, qui sera renforcée dans les mois à venir en cas d'opération au Mali. Nous projetons également une opération dans la République du Soudan du Sud, autour de l'aéroport de Djouba, la capitale, et réfléchissons avec nos partenaires libyens à une opération visant à renforcer les contrôles frontaliers et plus généralement la formation de la police et des forces de gendarmerie. Les autorités libyennes, qui se mettent lentement en place, sont demandeurs en la matière. L'Europe a donc de nouveau la volonté politique d'aller de l'avant. Les États membres devront évidemment y contribuer sur les plans humain et financier – nous dépendons d'eux pour monter de telles opérations – : ce sera le moment de vérité des efforts menés par le Conseil européen en la matière. S'agissant du Niger, les éléments précurseurs mis en place à Niamey sont encourageants.

Nos réflexions portent également sur les capacités de l'industrie d'armement européenne et sur la volonté de mutualiser les efforts pour combler les manques et pallier les carences observées dans l'appareil militaire européen, carences que l'intervention militaire en Libye a révélées, qu'il s'agisse des avions ravitailleurs, qui ont fait largement défaut, de la formation et de l'entraînement des pilotes d'hélicoptères ou des hôpitaux de campagne. Il convient de travailler de manière conjointe – le pooling and sharing en langue bruxelloise – pour concevoir dès l'origine les programmes que nous pourrions lancer comme des programmes européens, complémentaires de ceux que l'OTAN mène dans le cadre de l'initiative de Smart Defence, lancée lors du sommet de Chicago. Nous travaillons à cette fin très étroitement avec l'OTAN.

Cette volonté d'avancer dans le domaine des capacités sera discutée lors du Conseil européen du mois de décembre prochain. Les chefs d'État et de gouvernement devraient y définir la mission qu'ils confieront pour 2013 au SEAE, à la Commission et à l'Agence européenne de défense, sans oublier les autres entités du secteur de la sécurité et de la défense. Un rapport sera remis à la fin de l'année prochaine aux chefs d'État et de gouvernement qui valideront, ou non, les orientations qui auront été définies dans le cadre de cette mission.

De plus, Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services, a monté une task force sur la fluidification des relations entre le monde industriel et la Commission européenne, en vue d'utiliser au mieux toutes les ressources européennes en la matière. Il s'agira, notamment, de faire tomber les obstacles subsistant au sein du marché intérieur pour permettre aux industries de la défense de mieux travailler entre elles, d'améliorer l'efficacité des programmes de recherche et technologie ou de mettre les programmes spatiaux européens à la disposition du secteur de la défense.

S'agissant de la Syrie, le SEAE travaille actuellement, comme les Nations unies et la Ligue arabe, sur le « jour d'après », c'est-à-dire après le départ de Bachar el-Assad. Deux hypothèses doivent être prises en compte. La première est celle d'une transition se déroulant dans une relative stabilité, dans l'hypothèse où l'actuel émissaire de l'ONU, M. Lakhdar Brahimi, aurait réussi à mener à bien une initiative diplomatique de planification de la transition. La seconde, consécutive à l'échec des efforts diplomatiques, est celle de la disparition du régime actuel, laissant le pays dans une situation très instable. Ces deux hypothèses impliqueront évidemment des modes opératoires très différents. Dans le premier cas, on peut envisager l'installation d'une force de maintien de la paix sous l'égide des Nations unies, le déclenchement d'opérations de développement économique et de reconstruction ainsi que la mise en place d'un nouvel ordre institutionnel, débouchant, comme en Libye, sur un processus constitutionnel et électoral. Dans le second cas, il conviendra tout d'abord de trouver les moyens de ramener la stabilité, avec l'aide des Nations unies. Toutefois, compte tenu des divergences existant entre les membres permanents du Conseil de sécurité sur la Syrie, il sera alors difficile de définir avec précision les étapes d'une telle transition.

Le Mali a, quant à lui, déjà fait l'objet d'une résolution adoptée à l'unanimité par le Conseil de sécurité de l'ONU. Sur le plan militaire et sur celui de la sécurité, l'Union européenne monte, pour le début de l'année prochaine, une opération de formation et d'entraînement des troupes maliennes. Une force africaine d'intervention, qui pourrait s'installer à la limite séparant le nord et le sud du pays, est par ailleurs prévue. Un tel schéma rappellerait celui qui a présidé à la sortie de crise en Somalie, où une force africaine, l'AMISOM, est épaulée par une force européenne de formation et d'entraînement, l'EUTM, la complémentarité de ces deux initiatives ayant permis de ramener progressivement un début de stabilité en Somalie, laquelle a retrouvé ses institutions – un président désigné par le Parlement et un gouvernement –, la situation demeurant, il est vrai, fragile du fait de la présence persistante des rebelles à la frontière avec le Kenya. Au Mali, il est nécessaire d'aider à la réconciliation nationale entre les différents partis politiques et de relancer le processus électoral interrompu, sans oublier le développement économique et social. Si l'Union européenne a suspendu son aide, celle-ci est prête à redémarrer en parallèle avec le processus de réconciliation nationale. L'aide humanitaire, quant à elle, n'a jamais cessé et continue de se développer. Nous essayons de conduire au Mali un exemple frappant d'approche intégrée.

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