Intervention de Arnaud Richard

Réunion du 4 février 2014 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Richard, co-rapporteur :

Fin juin 2013, le Conseil de l'Union européenne, la Commission européenne et le Parlement européen ont conclu des accords provisoires relatifs aux « paquet marchés publics », qui devraient être définitivement adoptés dans les semaines qui viennent.

Cette réforme était composée de trois propositions de directives européennes : la première directive est d'ordre général et concerne en particulier les procédures de passation des marchés ; la deuxième devrait couvrir les services liés à l'énergie, aux transports et aux services postaux ; la troisième, objet du présent rapport, devrait régir les concessions de travaux et de services, sujet complexe.

Ces trois directives devraient permettre aux autorités de se baser sur de nouveaux critères, notamment de nature environnementale ou financière, dans le but d'accepter l'offre la moins chère, mais aussi la plus innovante.

Afin d'éviter la pratique du « dumping » et la concurrence déloyale, les nouvelles directives devraient mettre en place des règles plus rigoureuses concernant la pratique des « offres anormalement basses ».

S'ils partageaient ces objectifs généraux s'agissant des marchés publics, les pouvoirs publics français - Gouvernement, Assemblée Nationale et Sénat - ont dès le départ fait part de leur hostilité à une réforme de la législation relative aux concessions, estimant que ce texte n'était pas nécessaire, contrevenait au principe de subsidiarité et ne prenait pas assez en compte la spécificité française du contrat de concession.

Votre Commission des affaires européenne avait considéré en 2012 que l'harmonisation souhaitée pouvait s'effectuer sous la forme de lignes directrices, mais non sous la forme d'une législation. Cette position a conduit les autorités françaises à aborder en reculant un projet, qui n'était pas satisfaisant, et a probablement affaibli la position de notre pays dans la négociation qui vient d'aboutir.

En effet, l'accord provisoire obtenu en trilogue avec le Conseil et la Commission européenne, en juin a été validé en juillet par le COREPER et adopté par le Parlement européen le 14 janvier dernier.

La publication de ce texte devrait donc intervenir très rapidement. La directive entrera en vigueur 20 jours après la publication au Journal officiel de l'Union Européenne, après cette date, les États membres disposeront de 24 mois pour la transposer.

Quelles étaient les ambitions de la Commission européenne ? Elle a entendu rationaliser et favoriser le recours aux concessions de services publics, par le biais d'une proposition, publiée le 20 décembre 2011.

En l'absence de normes européennes, les contentieux pouvant survenir conduisaient les autorités européennes à traiter les concessions à l'aide des réglementations applicables aux marchés publics ou aux services d'intérêts généraux, ces deux cadres ne prenant pas en compte la spécificité des concessions.

La directive a pour ambition de pallier aux principales failles mises en lumière par la Commission européenne dans son analyse d'impact relative aux concessions : l'insécurité juridique liée à l'absence de régime juridique applicable à la concession, ainsi que l'existence de barrières à l'entrée sur le marché.

Le projet élaboré par la Commission a beaucoup évolué. Initialement, il lui était reproché de trop s'inspirer des directives relatives aux marchés publics. Grâce, en particulier, aux travaux du rapporteur devant le Parlement européen, M. Philippe Juvin, le texte a été profondément amendé.

Dans sa dernière mouture, il s'accorde mieux avec les spécificités du contrat de concession. Les nouvelles règles s'appliqueraient aux contrats publics d'une valeur de 5 millions d'euros ou plus ; elles permettront aux autorités de choisir l'offre la plus intéressante du point de vue financier, environnemental ou social.

Mais, mes chers collègues, sous la pression allemande, les nouvelles règles relatives aux contrats de concession ne devraient finalement pas concerner le secteur de l'eau, qui est extrêmement important. Il faut relever que les coopérations entre entités publiques (régies) ; entre une entreprise liée et une entité publique ; ou entre organismes de droit public qui, de par la loi nationale, ont une partie minoritaire de capitaux privés, sont exclues également du champ d'application de la directive.

Je vais exprimer maintenant les réticences du gouvernement français vis-à-vis de la démarche. Le précédent gouvernement considérait que toute modification de législation applicable aux marchés publics ne pourrait être envisagée qu'au terme d'une évaluation juridique et économique précise, qui n'a pas, à mes yeux, été véritablement réalisée par la Commission européenne.

Enfin, pour le Gouvernement toute initiative visant à la modernisation de ces règles devra être se faire en conformité avec les règles sectorielles existantes notamment en matière de transports, d'énergie et de services en réseaux. Nous verrons que la directive sur les concessions ne respecte que très partiellement cette exigence spécifique française.

Dans sa proposition initiale la Commission européenne a proposé une architecture semblable à celle des directives marchés publics.

Elle vise un objectif de sécurité juridique en précisant les concepts et les modifications possibles de concessions en cours d'exécution. Elle souhaite également garantir l'accès effectif du marché des concessions à toutes les entreprises, et particulièrement les PME, des obligations de publication dans le Journal Officiel de l'Union européenne au-delà d'un seuil de 5 millions d'euros sont ainsi imposées. Les critères d'attribution sont précisés, un délai de soumission de 52 jours est imposé pour éviter les discriminations et les risques de fraude observés, en cas d'absence de règles nationales sur les concessions. Aucune procédure d'attribution spécifique n'est proscrite, ou privilégiée, mais l'accent est mis sur la définition de garanties générales pour assurer la transparence et l'égalité de traitement avec un encadrement de la phase de négociation.

La Commission précise, c'est très important, qu'elle n'entend pas favoriser la libéralisation de certains secteurs relevant des services d'intérêt économique général (énergie, transports…) ou imposer un mode de gestion, elle laisse ce choix aux États membres, qui, s'ils décident d'en externaliser certains, doivent alors se soumettre aux règles des concessions.

Les personnes que nous avons auditionnées ont souligné les incertitudes et les conséquences du projet initial, eu égard à la remise en cause du régime français des concessions, en particulier dans le secteur de la distribution de l'énergie.

En effet, la situation de monopole, en particulier dans le gaz, qui est fondée sur l'octroi de droits exclusifs conformes aux traités européens, permet en France une péréquation tarifaire sur l'ensemble du territoire.

Cette dernière qui est nécessaire à l'accomplissement de missions de service public, ne serait plus garantie en cas de remise en cause des législations sectorielles, ce qui était le cas de la proposition initiale de la Commission européenne.

Les inquiétudes que soulevait le premier projet ont pu être levées. En particulier pour le secteur de l'énergie qui en est exclu.

Nous devons regretter toutefois la multiplication des exclusions prévues dans le texte définitif - dérogations « entreprises liées » et « in house » - pour des secteurs qui, à l'inverse de la distribution de gaz, ne sont pas couverts par d'autres directives spécifiques.

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