Intervention de Mathieu Gallet

Réunion du 18 juin 2014 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Mathieu Gallet, président de Radio France :

Je suis accompagné de Mme Catherine Sueur, directrice générale déléguée, M. Frédéric Schlesinger, directeur délégué aux antennes et aux programmes et Mme Monique Denoix, directrice déléguée à la communication.

Je suis très heureux de vous présenter ce rapport d'orientation qui reprend les grandes lignes du projet stratégique que j'avais présenté en début d'année devant le CSA et que je compte bien mettre en place dans les mois à venir. Je sais votre attachement à l'audiovisuel public et je mesure la haute responsabilité que le CSA m'a confiée en retenant ce projet qui porte une ambition collective en faveur d'un service public de qualité. J'ai présenté ce projet dès mon arrivée aux 430 cadres de la maison car ils sont à mes yeux la force motrice de cette dernière. Dans une entreprise aux activités si nombreuses et si diverses, il est pour moi illusoire de penser que le management d'en haut peut être efficace et pertinent sans un relais efficace auprès des équipes opérationnelles. Ma conception est de privilégier la responsabilité du pilotage au plus près des réalités du terrain et du personnel.

Deux questions principales sont aujourd'hui posées à Radio France : comment consolider et élargir les audiences dans un univers concurrentiel et multiforme, du fait notamment du développement numérique, et comment revisiter et dynamiser une mission de service public qui doit s'adapter aux nouveaux usages et aux nouvelles attentes du public ? Face à ces deux questions, il me paraît nécessaire de pouvoir agir sur différents leviers.

En ce qui concerne le mode de management, je crois à la réactivité et à l'engagement. Je souhaite privilégier les circuits courts de décision et les délégations de pouvoir à l'ensemble des managers. L'organigramme de direction va être simplifié autour d'une direction resserrée. Je présiderai un comité exécutif de moins de dix personnes qui aura pour mission de piloter collectivement la maison avec moi. J'ai créé une direction déléguée à l'antenne et aux programmes que j'ai confiée à Frédéric Schlesinger, qui veillera à la coordination de l'ensemble des programmes de la maison. Je présiderai, aux côtés de Frédéric, un comité éditorial qui réunira l'ensemble des directeurs et directrices des sept chaînes du groupe.

L'essentiel demeure dans le management intermédiaire. Radio France n'est pas un modèle de mixité et nous ne sommes pas les seuls dans ce cas. La mixité, c'est à la fois la diversité et la parité. Sur le premier point, qu'il s'agisse des dirigeants, des animateurs producteurs ou des journalistes, il faut bien reconnaître que nous ne reflétons pas complètement la diversité des origines, des cultures ou des conditions qui font pourtant la richesse de notre pays. En ce qui concerne la parité, j'avais pris devant le CSA l'engagement clair de nommer au moins deux femmes pour diriger les chaînes de Radio France. J'ai pu aller plus loin en nommant trois femmes à la tête respectivement de France Inter, de France Musique et de FIP. Et je serai très attentif à la question de la diversité et de l'égalité professionnelles, que ce soit sur nos antennes ou dans le fonctionnement de l'entreprise. Aussi chaque trimestre, je demanderai aux responsables de chaînes de me faire un rapport sur la diversité et la parité au sein de nos antennes, notamment en ce qui concerne les invités.

S'agissant du dialogue social, dans mes précédentes responsabilités à la tête de l'INA, j'ai connu des secousses et des turbulences, ce qui est normal dans une entreprise de mille personnes qui devait négocier un nouvel accord d'entreprise faisant suite à une convention collective qui avait trente ans d'ancienneté. Arrivant à Radio France, je retrouve la même convention collective qui doit arriver à échéance à la fin de l'année. Des négociations sont en cours pour parvenir à cet accord collectif. J'ai rencontré les organisations syndicales le 23 mai dernier pour faire connaissance et faire le point sur le calendrier des négociations. S'agissant plus précisément de cet accord d'entreprise, que nous appelons tous de nos voeux au sein de la maison, je veux fixer un objectif clair, qui s'inscrive pleinement dans la continuité de ce qui a déjà été discuté par les interlocuteurs de la direction des ressources humaines. Il nous faut sortir de la logique des excès du paritarisme et de celle des automatismes. Il nous faut entrer dans celle du management et de la responsabilisation. Je ne doute pas que les managers auront à coeur de jouer pleinement ce rôle dans le respect des spécificités d'une entreprise de service public.

Je souhaite mettre en oeuvre une stratégie de l'offre. Pour relever les défis de l'audience et du service public, l'objectif est de faire de Radio France une entreprise d'excellence sur son métier, l'offre de contenus, et sur sa mission, l'accès à tous les publics, en commençant par se donner la complémentarité comme ligne de conduite. Je vous propose de raisonner par analogie et de considérer que l'offre radiophonique de Radio France équivaut à une gamme de marques et de services. Nous avons trois chaînes généralistes dont une de proximité et une autour des savoir-faire (France Inter, France Bleu et France Culture) et quatre spécialisées (France Info, France Musique, FIP et le Mouv'). Cette gamme est le produit d'une longue histoire et de la recherche au fil du temps d'une rencontre avec des publics différents ayant des usages différents de la radio. Aujourd'hui le problème de Radio France est triple : la moyenne d'âge est trop élevée, le profil socioculturel n'est pas assez populaire et les audiences stagnent globalement. Ma conviction est forte sur ce sujet et se résume très simplement : des chaînes généralistes encore plus éclectiques et des chaînes thématiques encore plus spécialisées.

France Info dispose d'une marque puissante mais subit une érosion de son audience face à la concurrence multiforme des chaînes d'information en continue et du numérique. Il est temps d'y remédier en revenant à l'ADN de France Info, à savoir une plate-forme publique d'information en continue, la plus rapide, la plus pédagogique et la plus proche des auditeurs. Je suis convaincu que France Info retrouvera et développera son audience en renouant avec la logique de l'actualité chaude, la logique de « breaking news ». Ceci implique de consacrer les moyens journalistiques au direct et, à l'heure des réseaux sociaux, au décryptage, à l'investigation, à l'éclairage de l'actualité. Ceci suppose aussi pour un média de mobilité comme la radio des applications et des systèmes d'alerte de dernière génération sur tous les supports mobiles comme les smartphones et les tablettes. Au fond, il faut redonner le réflexe France Info quand il s'agit de s'informer à n'importe quel moment de la journée. France Info doit être une référence pour tous les publics. Cela vaut pour l'information généraliste mais cela vaut aussi dans le domaine très important de l'information sportive notamment le week-end et lors des grands événements sportifs internationaux comme la coupe du monde de football. Nous devons avoir des objectifs ambitieux pour rivaliser dans l'avenir avec les sites leaders en la matière et pour faire en sorte que Radio France, dépositaire de la mission de service public, soit un référent en matière d'information en continu.

La deuxième priorité concerne le Mouv'. Le public jeune a des exigences spécifiques en matière d'écoute de radio : le style de musique, le ton de l'antenne, le rythme de la programmation ou encore l'incarnation de l'animation. Ce public est divers, autant issu des centres-villes que des périphéries. Il a un point commun : son centre de gravité est au niveau des cultures urbaines, artistiques et musicales. Vouloir toucher ces publics, c'est l'honneur pour moi du service public. Mais il faut le dire clairement, le Mouv' n'a jusqu'à présent pas rencontré son public. Je souhaite revenir à une organisation de la chaîne autour de la radio, séparée de la direction des nouveaux médias, et proposer pour début 2015 une nouvelle chaîne. L'objectif est de faire émerger une marque forte auprès du public jeune. Cette marque doit ressembler à son public, se positionner fortement sur la musique, être présente dans des lieux de concert et d'animation. Bref, elle doit être le symbole d'une chaîne des cultures urbaines.

France Musique est une institution au regard de la qualité de ses contenus. Mais la concurrence la menace depuis de nombreuses années. Radio Classique a notamment pénétré, avec succès, le marché des amateurs de musique classique. Les chiffres d'audience ne sont pas à l'avantage de France Musique, nous en avons conscience. Il faut avoir pour France Musique l'ambition que les différentes directions ont eue pour France Culture depuis la fin des années 1990, en n'opposant plus la qualité des programmes à la recherche de l'audience.

Je crois que cette chaîne peut conquérir de nouveaux auditeurs, à condition de quitter le registre trop étroit de la musicologie, pour se consacrer plus manifestement à la musique elle-même, en développant une approche ouverte, pédagogique et éducative. C'est un effort d'accès aux oeuvres musicales qui s'impose, en ayant pour objectif de séduire de nouveaux publics.

En matière de stratégie d'offre, je suis particulièrement attaché à la mission publique musicale de Radio France, dont les deux orchestres, le choeur et la maîtrise, constituent un outil particulièrement précieux, l'une des raisons qui m'ont d'ailleurs donné envie de rejoindre cette maison.

La situation actuelle de nos formations musicales n'est plus tenable. Les deux orchestres ont une taille similaire et défendent des programmes souvent proches, mettant leurs directeurs musicaux en concurrence. Redéfinir les missions respectives des deux orchestres est un préalable. Une harmonisation des programmes, et donc de l'offre, est tout à fait indispensable.

Trois pistes de travail me semblent essentielles à suivre. La première consiste en une profonde réforme de l'organisation de la direction de la musique. C'est la mission essentielle que j'ai confiée à Jean-Pierre Rousseau, qui connaît bien cette maison et qui était à la tête de l'orchestre philharmonique de Liège depuis une dizaine d'années. La seconde vise à distinguer les rôles de chacune des formations. L'orchestre national de France doit être conforté dans son rôle d'orchestre de grand répertoire, à rayonnement national et international. Quant à l'orchestre philharmonique de Radio France, il doit mettre l'accent sur sa mission d'orchestre dédié à la création, à la pédagogie, aux festivals et aux ouvrages lyriques. La troisième concerne l'offre des concerts elle-même. Sans abandonner les programmes de concert traditionnels, il nous faut imaginer et proposer une programmation nouvelle, diversifiée, avec de nouveaux formats, plus courts à des horaires décalés ou à des périodes de l'année inhabituelles. C'est ainsi que nous pourrons donner accès à la musique classique et contemporaine à un public différent, élargi et renouvelé.

Je souhaite également mettre en avant la question de la performance. Complémentarité, simplification, mais également innovation sont les ferments de la performance pour Radio France. Innover ne consiste pas seulement à travailler sur l'offre de contenus, bien que cela soit indispensable, mais aussi et surtout à rendre accessible ces contenus à tous les publics dans le nouveau paysage numérique, qui modifie en profondeur les usages. Quel est l'enjeu ? En un mot, il convient de réfléchir aux conditions mêmes de l'offre à l'heure du numérique.

C'est pourquoi je lancerai très rapidement un audit pour faire évoluer les modes de production radiophoniques et audiovisuels de Radio France. Comment faire évoluer, optimiser nos modes de production dans les chaînes, dans les directions transversales, pour faire de la radio chaque jour, pour monter des opérations exceptionnelles, pour faire de la radio un média enrichi par de la vidéo ? Comment concilier l'excellence radiophonique, qui caractérise Radio France et l'agilité de la production, tellement indispensable à l'heure du numérique ?

L'innovation passe par la transformation numérique du groupe à tous les étages. Il n'est plus temps de nommer seulement des éclaireurs, des avant-gardes. Le numérique n'est ni une option ni un choix, c'est une réalité, une nécessité pour que notre maison demeure toujours aussi présente dans la vie de nos concitoyens dans dix, quinze ou vingt ans.

La politique de développement constitue un axe important de mon projet. Elle permettra d'élargir l'audience et d'assumer notre mission. Dans le contexte des finances publiques que nous connaissons, il est impératif de mobiliser les énergies du groupe pour assurer un développement naturel de ses ressources propres. C'est pourquoi j'entends mettre en mouvement les trois composantes qui font l'identité de Radio France : ses marques, ses services et son public. La radio est un média de proximité. On le dit souvent. J'ai pu le constater récemment, en effectuant ma première visite d'une station de France Bleu à Bordeaux. Ce constat est particulièrement vrai pour les 44 stations de France Bleu.

La radio est aussi un média de l'intimité. La relation particulière que nous avons tous en tant qu'auditeurs, avec une voix, celle d'un journaliste ou d'un animateur producteur, est souvent à l'origine d'une fidélité qui se construit, se sédimente et qui fait notre audience. Cette relation est une sorte de marque de fabrique, que j'entends valoriser dans toutes les formes de communication du groupe. J'entends ainsi remettre à plat la stratégie marketing de la maison, et ce de deux manières. D'abord par la constitution d'une direction du marketing stratégique et du développement, qui est pour moi nécessaire pour accompagner l'ensemble des chaînes dans leur réflexion sur leurs programmes et leur déploiement. J'entends parallèlement mettre en avant la direction de la communication, qui sera renforcée et intégrée, avec notamment la responsabilité, en liaison avec les chaînes, de piloter les relations avec la presse, les relations publiques, les campagnes publicitaires, les partenariats, et ainsi contribuer pleinement à renforcer ce lien précieux que nous avons avec nos publics.

Les marques et le groupe sont aussi potentiellement porteurs d'opérations événementielles, de services innovants, ou même de spectacles, qui constituent un gisement de croissance et de ressources propres. La question est donc simple : comment mieux valoriser la richesse des contenus de Radio France ? La nouvelle politique de partenariats, lancée voilà quelques mois, est un premier pas dans ce sens. Mais je souhaite que nous avancions plus encore dans cette politique de coordination et de sélection des partenariats, dont l'objectif prioritaire est la valorisation de notre groupe.

On sait par ailleurs que l'encadrement de la publicité sur les antennes, compte tenu des secteurs autorisés, ne peut conduire qu'à des recettes tendanciellement stagnantes, voire à la baisse, en raison de la chute des investissements publics dans les médias. Pour redonner de l'élan à la régie, il convient donc d'imaginer de nouveaux formats, de nouvelles pistes de partenariat avec les secteurs autorisés. En matière de diversification des ressources, j'entends poser une question simple : est-il normal que tous les podcasts de Radio France soient accessibles librement et gratuitement pendant trois ans, alors que partout dans les médias, privés comme publics, les modèles dits premium d'accès aux contenus, qui comportent une partie gratuite et une partie payante, prennent le dessus ?

À cet égard, je tiens à lever une ambiguïté, née probablement d'une mauvaise interprétation de mes déclarations devant les membres du CSA. Pour moi, en soulevant cette question, il ne s'agit nullement de rendre tous les podcasts payants, mais je considère que si la gratuité doit demeurer le socle de la mission de service public, la valorisation des services additionnels, que constitue par exemple le stockage durable des contenus d'archives, mérite d'être soulevée. Opérations spéciales, valorisation des contenus : il convient de trouver des relais de croissance dans la Maison de la radio elle-même, avec l'ouverture prochaine de notre grand auditorium, du Studio 104, de l'Agora, de la rue intérieure, de nos halls, qui seront rénovés dans le cadre de cette grande opération de réhabilitation que nous vivons et qui se terminera en 2017.

Je souhaite faire de cette maison un carrefour de manifestations musicales, culturelles et événementielles, qui rapprocheront un peu plus le groupe et le public. Les publics de France Culture doivent pouvoir être à la fois leurs auditeurs fidèles, mais également les internautes des plateformes ou des sites de nos productions, de nos programmes musicaux, ou encore les spectateurs, qui viendront tout simplement assister à nos concerts, à nos émissions, aux événements de programmation culturelle que je souhaite pour la maison ronde.

J'ai évoqué les marques et les services comme levier de développement, et je veux terminer, en revenant à l'enjeu principal, qui est celui du public. La question n'est d'ailleurs pas seulement celle de l'audience, mais aussi celle de la mission de service public. Quel est le rôle de la radio publique à l'heure de l'information en continu, d'internet, des réseaux sociaux, de la mobilité et du partage ? Mon objectif est de rapprocher plus encore Radio France de ses publics (auditeurs, internautes, spectateurs) et de remettre le public au centre de la scène. Alors même que l'on peut écouter de la télévision et regarder de la radio, on attend encore plus de ce média intime qu'est la radio. À ce propos, s'agissant particulièrement de l'information, il appartient au service public de se montrer à la fois le plus performant, le plus inventif, le plus rigoureux aussi, en matière d'accomplissement d'un exercice fondamental pour l'espace démocratique. Ce rôle de référent du service public radiophonique est le mieux incarné par France Inter. Un service public exigeant, mais accessible, éclectique et perfectionniste, populaire et de qualité. France Inter est au fond la dernière radio réellement généraliste, celle qui doit s'adresser au plus grand nombre tout en sachant satisfaire le public le plus soucieux d'excellence.

Je veux enfin vous faire partager mon enthousiasme en prenant mes fonctions. Cet enthousiasme rime avec ma confiance dans l'ensemble des talents qui font la maison Radio France. J'entends bien leur faire partager cet enthousiasme. Je sais que je peux compter en retour sur leur engagement, leur imagination et sur la confiance en la réussite mise en oeuvre pour cette aventure commune qui commence.

C'est mon ambition pour Radio France, pour ces cinq ans à venir. J'espère pouvoir porter cette ambition avec toutes les équipes et j'en rendrai compte devant votre assemblée. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

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