Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 2 juillet 2014 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur de la mission d'information :

Mes chers collègues, je me fais le porte-parole des membres de la mission en associant, plus particulièrement, s'ils me le permettent, les deux vice-présidents de la mission ici présents, Mme Dominique Nachury et M. Pierre Léautey, très investis dans les travaux de la mission, comme notre collègue Mme Sophie Dessus, qui nous a apporté également son vécu corrézien. Ce rapport et ses propositions nous sont communs.

La mission dont nous avons ensemble décidé la création, en décembre dernier, a commencé ses travaux au mois de janvier, il y a six mois, et a procédé à plus de 50 heures d'auditions et de tables rondes ; elle a aussi effectué 3 déplacements, tout aussi passionnants les uns que les autres, en Loire-Atlantique – à Nantes et Saint-Nazaire – où nous avons eu la joie d'être accompagnés par notre collègue Mme Marie-Odile Bouillé, à Lyon, sur le site de Confluence et à Rotterdam, aux Pays-Bas. Ces travaux nous ont permis de rencontrer l'ensemble des acteurs de l'architecture : des architectes, bien sûr – nous avons rencontré et auditionné 61 architectes : 55 Français et 6 d'autres nationalités – mais aussi des représentants de leur ordre, de leurs syndicats, de leurs associations ; des juristes également, des représentants des différentes administrations compétentes, des maîtres d'ouvrage, des ingénieurs, des constructeurs. Cette mission s'est révélée particulièrement riche d'enseignements et aussi passionnante que l'ont été nos interlocuteurs. Je crois traduire là notre sentiment collectif. D'ailleurs, le rapport que je vous présente et qui a été adopté hier, à l'unanimité, par notre mission, rend largement compte des échanges que nous avons eus avec eux. Nous avons voulu restituer dans ce document beaucoup de ce qui nous a été dit, y compris des apports pouvant être contradictoires, mais il nous appartient, comme représentants de la Nation, d'arrêter notre position et d'en tirer des propositions.

Aussi, à l'issue de ces six mois de travaux, je souhaiterais vous présenter maintenant les principales conclusions du rapport, dont, je l'espère, vous accepterez la publication.

Nous tirons de nos travaux plusieurs constats :

D'abord, il semble nécessaire de faire naître, au sein de la population, chez nos concitoyennes et concitoyens, un véritable désir d'architecture.

L'intervention des architectes sur le cadre bâti est aujourd'hui très limitée, et la majorité des constructions – 66 %, chiffre conséquent – sont réalisées sans leur concours. De fait, la création architecturale semble aujourd'hui centrée sur la commande publique des grandes villes, les grands équipements culturels et le logement social ; les constructions privées, en particulier individuelles, échappent très largement aux architectes ou ne leur permettent pas d'exercer leur art dans des conditions propices à la création. Et cette situation a des conséquences, que nous pouvons tous constater dans nos circonscriptions, sur la qualité globale du bâti français, comme en témoignent les zones pavillonnaires, les entrées de villes, les zones d'activités, etc.

Une première série de propositions vise donc à susciter un désir d'architecture au sein du grand public. En effet, il est apparu que le véritable problème résidait, non pas dans l'existence d'un seuil au-delà duquel le recours à l'architecte est obligatoire, mais bien plus dans le manque d'appétence du public pour l'architecture. De ce fait, nous avons souhaité faire un certain nombre de propositions visant à développer la culture architecturale du grand public, afin de l'inciter à recourir plus souvent à un architecte.

Il faut, tout d'abord, commencer par susciter un désir d'architecture dès l'enfance, préoccupation en accord avec les compétences de notre commission des affaires culturelles et de l'éducation, en développant les activités périscolaires sur ce thème et l'intervention des professionnels de l'architecture au sein des écoles. Il convient également de sensibiliser le grand public, en confortant l'action des maisons de l'architecture – par exemple en développant les résidences d'architecte, comme il existe des résidences d'artistes – et des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE). Enfin, il faut faciliter les démarches des particuliers qui recourent à un architecte par la mise en place d'un permis simplifié et de prêts bonifiés. De telles mesures, incitatives, permettraient d'encourager le recours à l'architecte en-dessous du seuil réglementaire, dont nous souhaitons simplifier le calcul en le ramenant à 150 mètres carrés de surface de plancher.

Nous nous sommes également aperçus que la formation des architectes, bien qu'elle se soit largement améliorée ces dernières années, comporte encore quelques lacunes auxquelles il conviendra de remédier. Notamment, pour faciliter l'exercice professionnel du métier, y compris à l'étranger, il est absolument nécessaire d'allonger la durée de l'habilitation à la maîtrise d'oeuvre en son nom propre pour permettre aux jeunes architectes d'acquérir davantage de connaissances en matière de gestion d'agences et de projets ; il importe également que les jeunes architectes maîtrisent au moins une langue étrangère à l'issue de leurs études pour pouvoir mieux s'insérer sur le marché de l'emploi, national et international. Par ailleurs, il faut également assurer le développement de la formation continue qui, comme dans toutes les professions libérales, fait ici défaut. Enfin, la profession doit absolument adapter sa structuration aux nouveaux enjeux de l'architecture ; c'est pourquoi nous proposons de favoriser le regroupement des architectes au sein de collectifs. Toutes ces mesures visent à ce que les professionnels soient en mesure de répondre au désir d'architecture que nous entendons susciter. Nous appelons de nos voeux une mobilisation et une prise de responsabilité des architectes.

Il nous est en outre apparu que l'architecte avait quelque peu perdu la maîtrise du projet architectural. Si la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée (n° 85-704 du 12 juillet 1985), dite loi « MOP », lui assure, dans le cadre de la commande publique, des missions complètes, tel n'est pas le cas de la commande privée, ou de la commande publique dérogatoire qui s'est développée au cours des dernières décennies.

Aujourd'hui, les architectes se sentent marginalisés. Et cela commence dès la phase du concours qui, étant intégralement anonyme, ne permet pas à l'architecte de défendre son projet. Si le concours d'architecture est unanimement reconnu comme étant le meilleur moyen de sélectionner un projet, il est aujourd'hui trop complexe et peu ouvert aux jeunes talents.

C'est pourquoi plusieurs de nos propositions visent à récréer un dialogue entre l'architecte et le maître d'ouvrage. Le concours doit être réformé : plus simple, plus ouvert aux jeunes architectes, il doit aussi être le lieu du dialogue autour du projet. Pour cela, il importe d'aménager la règle de l'anonymat issue du droit européen, comme le font d'ailleurs d'autres pays ; appliquée de façon trop rigide, elle donne lieu à de nombreuses incompréhensions et déceptions entre l'architecte et le maître d'ouvrage.

C'est la même volonté qui a animé nos propositions sur les partenariats public-privé et les autres formes de dérogations à la loi MOP. Il importe de limiter ces exceptions au strict nécessaire et, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, de faire en sorte que l'architecte reprenne sa place dans le triumvirat constitué par le maître d'ouvrage, le maître d'oeuvre et le constructeur. Concrètement, l'architecte doit se voir confier des missions complètes, allant de la conception à la réalisation.

C'est aussi au maître d'ouvrage de favoriser la création architecturale. En particulier, les maîtres d'ouvrage publics doivent être formés et conseillés, ce qui suppose le renforcement des dispositifs existants, notamment des CAUE. Mais il importe également d'associer étroitement les usagers – la maîtrise d'usage – le plus en amont possible du projet, comme le prévoient d'ailleurs les textes récents. Dans ce contexte, il conviendra de s'inspirer des bonnes pratiques que notre rapport a souhaité mettre en lumière.

Enfin, nous avons acquis la conviction que les nombreuses normes qui entourent la construction étouffent véritablement la création architecturale. Pléthoriques, complexes et parfois contradictoires, les normes sont, en pratique, difficilement applicables dans leur totalité. Or nous sommes pour une application totale et égalitaire du droit… Elles sont aussi en partie responsables de la standardisation croissante du bâti français : on construit ainsi le même appartement T3 d'un bout à l'autre de la France.

C'est pourquoi nous formulons plusieurs propositions pour créer un cadre juridique plus favorable à l'innovation et à la création architecturales. Il importe, de façon générale, de changer radicalement de logique et de faire le « pari de l'intelligence » : au lieu d'imposer des moyens techniques, il faut donner aux constructeurs des objectifs à atteindre, pour redonner du sens au travail de l'architecte. En matière d'urbanisme, il faut rendre possibles les dérogations, soit dans une zone limitée, par la création de zones franches architecturales, soit pour une construction particulièrement audacieuse du point de vue architectural. En matière de handicap, c'est la recherche de la plus grande valeur d'usage possible pour tous qui doit guider l'élaboration des normes. La création architecturale suppose également que la recherche et l'expérimentation soient largement encouragées dans ce domaine.

Enfin, l'architecte doit se saisir des défis de la ville de demain, numérique et intelligente, et de l'aménagement durable du territoire en respectant l'égalité des territoires à laquelle nous sommes attachés : la création architecturale vaut partout en France, où que l'on se trouve. Les architectes doivent ainsi prendre une part plus grande à la réhabilitation et à la transformation du bâti existant ainsi qu'à la rénovation énergétique. Ils doivent, aux côtés des maîtres d'ouvrage, oeuvrer à la reconstruction de la ville sur elle-même. Les architectes doivent se dire qu'aujourd'hui réaliser ou exprimer leur talent ne passe pas uniquement par des constructions neuves, mais aussi dans la réhabilitation de l'existant, l'attachement à notre patrimoine étant un élément fondateur de notre identité collective.

Ces réflexions, chers collègues, se traduisent bien sûr par un certain nombre de propositions concrètes, 36 exactement, qui résument ce que nous avons voulu porter à travers ce rapport, à mettre en oeuvre par la loi ou non, pour aller au-delà de la simple déclaration d'intention. Voilà résumé le travail passionnant et utile, je l'espère, que nous avons collectivement accompli au sein de notre mission.

Je souhaite, avec votre accord, dédier plus particulièrement ce rapport à notre collègue Pierre Léautey, dont le mandat de député prend fin aujourd'hui.

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