Intervention de Véronique Cayla

Réunion du 14 novembre 2012 à 11h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Véronique Cayla, présidente d'ARTE France :

Merci à tous de l'intérêt que vous portez à notre chaîne. Vos remarques et questions illustrent parfaitement, si besoin était, l'utilité de nos échanges.

Pour ce qui concerne les aspects relatifs à la relation franco-allemande, je précise à titre liminaire que je n'avais pas jugé opportun de présenter ma candidature à mon poste car je ne parle pas l'allemand. J'ai donc abordé, une fois nommée, cette relation constitutive d'ARTE avec beaucoup de modestie et de curiosité. À l'usage, je me suis aperçue que si le fait de ne pas parler l'allemand pouvait s'avérait problématique dans les cocktails, il n'en était rien dans les relations professionnelles.

De fait, j'ai désormais la conviction qu'on ne peut construire l'Europe sans une relation franco-allemande solide. Et de ce point de vue, les Français et les Allemands éprouvent beaucoup de curiosité réciproque les uns à l'égard des autres. Certes, les Allemands qui regardent ARTE sont certainement les plus francophones et francophiles mais, dans l'ensemble, il existe un réel désir de rapprochement et une forte curiosité à l'endroit des Français. Cela vaut tout autant pour les Français à l'égard de l'Allemagne, nos concitoyens éprouvant un mélange de curiosité et d'inquiétude à l'égard de ce grand voisin.

Ce contexte impacte nécessairement le travail de la rédaction franco-allemande, composée à parité de journalistes allemands et de journalistes français, qui élabore quotidiennement à Strasbourg les titres du journal. Faut-il mettre plutôt en évidence nos différences ou nos similitudes, et dans quelles proportions ? Ce travail nécessite donc du temps. Ceux qui le réalisent sont animés par une grande passion et un réel désir de contribuer à rapprocher nos deux peuples, même si l'écho de la chaîne reste limité – en Allemagne, ARTE a plus de mal à percer du fait de la présence, lors de sa création, de quelque cinquante chaînes de télévision, ce qui explique que sa part d'audience avoisine seulement les 1 % contre un peu moins de 2 % en France.

À Strasbourg, la rédaction franco-allemande doit donc creuser les dossiers pour voir et comprendre pourquoi l'on est d'accord ou pas sur le fond. Une fois cette étape préliminaire franchie, les choses avancent plus vite car la confiance s'est créée. À cet égard, le processus diffère des pratiques ayant généralement cours en France, où la prise de décision est certes plus rapide mais où des difficultés de mise en oeuvre peuvent parfois éclore. Là, le travail est plus long en amont et plus rapide en aval. C'est, me semble-t-il, l'une des expériences les plus passionnantes qu'il m'ait été donné de vivre dans mes nouvelles fonctions.

Tout ceci m'a convaincu davantage encore que par le passé que la construction européenne passe par la relation franco-allemande et que les rapprochements doivent reposer sur la culture et les avancées politiques, la dimension économique ne pouvant à elle seule suffire. D'ailleurs, dans la conjoncture actuelle, envisager aujourd'hui la relation franco-allemande à travers le seul prisme de la crise serait à mon sens réducteur et dangereux. L'aspect culturel compte énormément car, sans la culture, il n'y aurait pas de véritable Europe, et il justifie la tenue d'événements comme le forum organisé avec le quotidien Libération en avril prochain à Strasbourg.

La culture est le ciment des équipes françaises et allemandes d'ARTE. Jean Monnet ne disait-il pas : « Si c'était à refaire, je commencerais par la culture » ? Il est évident que sans la culture, on ne peut parler d'une véritable Europe.

S'agissant du journal d'ARTE, il importe de souligner que celui-ci a mis beaucoup de temps à s'installer dans le paysage audiovisuel. Du temps s'est avéré nécessaire pour décaler d'une demi-heure son horaire de diffusion dans l'un des pays par rapport à l'autre, de manière à prendre en considération les spécificités liées aux prime times. Il reste que depuis lors, l'audience a été multipliée par deux en France et qu'elle progresse en Allemagne. Ces résultats sont réjouissants et démontrent qu'il nous faut nous adapter aux pays tels qu'ils sont pour pouvoir atteindre nos publics ; dès lors que les Français et les Allemands rentrent du travail à des horaires décalés, il est évident que la chaîne doit prendre ce paramètre en compte.

Une réflexion est en cours avec TV5 pour permettre la diffusion de notre journal sur son antenne. Maintenant qu'il est bien structuré et défini, ce journal doit avoir une diffusion bien plus large qu'aujourd'hui. Il s'agirait là d'un des premiers actes fondateurs de la culture franco-allemande que nous voulons construire.

Pour ce qui a trait au développement des langues, il me semble que le meilleur support réside dans la diffusion en version originale accompagnée de sous-titrages : les Français y sont ouverts, tandis que les Allemands sont plus habitués au doublage. La langue est la colonne vertébrale de toute culture et cet aspect doit donc faire l'objet d'une attention particulière. À cet égard, nous caressons l'idée de nous appuyer, dans les émissions d'ARTE junior, sur des programmes jeunesse en version originale sous-titrée. Les Allemands demeurent toutefois réticents, se montrant plus sensibles à la musique qu'à leur propre langue, il faut le reconnaître. Nous ne désespérons pas, néanmoins, de parvenir à avancer sur ce sujet.

Sur la régionalisation, ou plus exactement sur l'européanisation d'ARTE, il s'agit effectivement d'un axe sur lequel nous devons faire porter nos efforts. Je regarderai de près ce que vous m'avez signalé au sujet d'éventuelles difficultés de réception en Suisse alémanique, lesquelles m'étonnent. Personnellement, je n'avais pas d'écho similaire, ARTE étant à ma connaissance bien reçue en Allemagne, en France mais aussi en Belgique, en Autriche, aux Pays-Bas et… en Suisse. Cela représente au passage une partie importante de l'Europe, mais il y a des pays dans lesquels nous aimerions étendre l'écho de la chaîne.

À cet égard, la mise en place de « bébés ARTE » en Espagne et en Italie sera envisageable grâce au numérique. Elle ne peut néanmoins se concrétiser qu'une fois que les services publics audiovisuels de ces pays se seront consolidés.

D'ores et déjà, grâce à internet et à nos plates-formes thématiques, nous pourrions nous associer à la RAI pour produire ensemble des programmes alimentant une ARTE Italia qui serait différente d'ARTE tout en prenant en compte les spécificités de l'Italie. Ce procédé, reproductible dans d'autres pays, permettrait de respecter la richesse et la diversité culturelles européennes. Ce faisant, plusieurs « bébés ARTE » pourraient voir le jour dans les principaux pays européens grâce au support d'internet. Nous avons l'espoir de débuter avec la RAI.

Ces développements nous semblent plus prioritaires que l'idée, caressée en son temps, d'ouvrir la gouvernance d'ARTE à d'autres nations. Je ne vous cache pas qu'il est déjà compliqué de travailler à cheval sur deux pays, de faire fonctionner des structures de gouvernance binationales ; en outre, l'axe franco-allemand étant essentiel, il me semble inenvisageable de remettre en cause l'organisation actuelle. En revanche, dans le cadre de la gouvernance actuelle, mettre sur pied des « bébés ARTE » représentant la diversité culturelle européenne, est un rêve que j'espère pouvoir mettre en oeuvre rapidement, à commencer par l'Italie.

Pour ce qui concerne France Télévisions, je laisserai à Anne Durupty le soin de vous répondre. Je vous indique cependant que j'ai adressé un courrier, il y a plus d'un an, à Rémy Pfimlin afin de voir ce que nous pourrions mettre en place ensemble, car je suis convaincue que des passerelles doivent exister au sein du service public audiovisuel. D'ores et déjà, ARTE nourrit une excellente coopération avec Radio France, qui nous conduit à couvrir en commun – avec l'équivalent allemand de Radio France – des événements tels que les interviews du Président de la République française et de la Chancelière fédérale. Cette excellente coopération est appelée à s'intensifier dans le cadre de l'année franco-allemande en 2013.

Le président de France Télévisions est membre du conseil de surveillance d'ARTE France et vice-président de l'assemblée générale du GEIE franco-allemand à Strasbourg. Nous entretenons donc, par essence, des relations structurées et fortes, non seulement amicales mais également professionnelles.

Ceci étant, dans ses programmes, ARTE présente des spécificités éditoriales importantes par rapport à France Télévisions ; c'est d'ailleurs un atout que notre chaîne ait sa propre ligne éditoriale et sa liberté, qui lui permettent de produire des programmes différents, comme « Ainsi soient-ils », dont nos chaînes nationales ne sont pas coutumières. Nous diffusons 40 % de programmes allemands et 20 % de programmes élaborés à Strasbourg, par définition difficiles à rediffuser sur des chaînes généralistes. Nous avons malgré tout noué des coopérations dans certains domaines, comme le développement d'internet ou les documentaires, même si des améliorations sont sans doute possibles. Pour le reste, si ARTE se singularise par la diffusion de la musique et d'opéras, nous ne pouvons envisager de diffuser du théâtre en langue française, ce qui est davantage la mission de France Télévisions. Quant aux fictions et séries, très identifiantes pour les chaînes, il apparaît difficile de prévoir leur diffusion d'une chaîne à l'autre.

J'en viens, pour conclure, à ce qui constitue la principale faiblesse d'ARTE, à savoir les programmes de journée. La situation s'explique par des raisons historiques, ARTE n'ayant disposé que d'un canal en soirée pendant quinze ans, le basculement sur la télévision numérique terrestre a conduit à privilégier dans un premier temps la rediffusion en journée des programmes du soir. Vous conviendrez que cet héritage a conduit à une situation non optimale. Il faut naturellement diminuer progressivement la part de ces rediffusions. Nous avons commencé à le faire en 2012 – en atteste, à cet égard, le programme « 28 minutes » – ; toutefois, en raison du contexte budgétaire que je vous ai décrit, la poursuite du mouvement sera sans doute difficile en 2013.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion