Intervention de Pascal Deguilhem

Réunion du 10 décembre 2014 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Deguilhem, rapporteur :

En préambule, je souhaiterais rassurer les parlementaires ici présents puisque, à l'issue de l'examen de mon rapport par notre Commission, le Gouvernement nous laissera consulter son projet d'ordonnance.

La France a toujours été l'un des pays les plus volontaristes en matière de lutte contre le dopage. Plusieurs étapes législatives se sont succédé à cet égard. Dès 1965 fut adoptée la loi Herzog, du nom du ministre des sports de l'époque, qui réprimait l'usage des produits stimulants dans le cadre de compétitions sportives. Puis le ministre Bambuck, en faisant adopter la loi de 1989, a permis de franchir un pas décisif dans la politique antidopage. Enfin, en 1999, sous la responsabilité de notre collègue Marie-George Buffet, fut votée une grande loi, dans le prolongement d'une affaire qui avait profondément marqué le sport français : l'affaire Festina qui éclata lors du Tour de France de 1998. La loi de 1999 a permis la création du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage qui se transformera plus tard en Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). La ratification par la France, sous l'égide de l'Unesco, de la Convention internationale de lutte contre le dopage en janvier 2007 a traduit la nécessité de mener ce combat éthique de façon harmonisée au niveau international.

Aujourd'hui, notre pays, qui dispose de plusieurs représentants au sein de l'Agence mondiale antidopage (AMA) – parmi lesquels notre collègue Valérie Fourneyron, qui en préside le comité Santé, Médecine et Recherche –, doit saisir l'occasion que constitue l'adoption du nouveau code mondial antidopage pour faire évoluer sa politique de lutte contre le dopage. Ainsi que vient de le rappeler le président Bloche, nous avons auditionné à l'Assemblée nationale Sir Craig Reedie, le président de l'AMA, qui nous a rappelé la place de la France en la matière.

Bien sûr, le Gouvernement n'a pas attendu la révision du code mondial pour prendre des mesures importantes, puisqu'il a notamment instauré en 2012 le passeport biologique. Si l'application progressive de ce dispositif a posé des difficultés, et si l'on mesure encore mal aujourd'hui le nombre d'athlètes concernés, il n'en constitue pas moins un outil important pour suivre les variables biologiques des sportifs et repérer ceux d'entre eux qui pourraient éventuellement se doper.

Cela étant, le code mondial antidopage, qui a été récemment révisé, comporte des dispositions susceptibles de rendre la lutte contre le dopage – essentiellement fondée sur les contrôles sanguins et urinaires – plus intelligente et plus ciblée encore. Outre le fait que la France se soit engagée politiquement à l'égard des autres États à transposer ce texte en droit interne, et outre l'entrée en vigueur de ce nouveau code dès le 1er janvier 2015, c'est la pertinence de ses dispositions qui justifie leur transposition rapide, par voie d'ordonnance, dans le code du sport. Sans cela, nous mettrions en difficulté notre Agence française de lutte contre le dopage. Or la France ne saurait être en retrait sur la scène internationale en matière de lutte contre le dopage. Ce serait un mauvais signal envoyé à des pays moins avancés en ce domaine.

Le code mondial antidopage comporte plusieurs dispositions nouvelles tendant à renforcer l'efficacité de la prévention et de la répression du dopage.

Tout d'abord, les compétences des organisations nationales antidopage, telles que l'AFLD, se trouvent étendues : l'AFLD pourra désormais effectuer des contrôles au cours des manifestations sportives internationales, mais en dehors du site sur lequel elles se déroulent. Si une telle mesure peut prêter à discussion, elle semble néanmoins nécessaire tant il est difficile d'obtenir une harmonisation complète des règles applicables entre les différentes fédérations internationales, les fédérations nationales et notre agence. Une telle disposition permettra donc de remédier à la mauvaise volonté dont peuvent faire preuve certaines fédérations internationales lorsqu'il s'agit de laisser des organisations antidopage diligenter des contrôles supplémentaires dans le cadre des compétitions qu'elles organisent.

Ensuite, le nouveau code mondial antidopage met l'accent sur le renseignement, la réalisation d'enquêtes, le partage d'informations et la mise en réseau des différents acteurs de la lutte antidopage. Nous sommes aujourd'hui à un tournant dans la lutte contre le dopage : au contrôle direct, fondé sur des analyses biologiques – 11 000 environ ont été réalisées en 2013 – mettant en évidence la présence d'un produit dopant, va succéder un contrôle indirect, fondé sur des moyens de preuve différents, parmi lesquels le renseignement tient une place fondamentale. Du reste, l'AFLD vient de recruter un enquêteur issu de la police nationale.

Enfin, la répression du dopage évolue pour mieux protéger le sportif, dès son plus jeune âge, de lui-même et de son entourage. Une nouvelle infraction est créée, qui interdit au sportif de s'associer à des personnes ayant enfreint les règles antidopage. Les vrais tricheurs, ceux qui violent intentionnellement ces règles, se verront appliquer des sanctions disciplinaires plus lourdes. À l'inverse, les sportifs qui auront apporté une aide substantielle à la découverte d'une infraction pourront voir leurs sanctions réduites. Pour adapter la répression à la nature même du dopage, qui évolue sans cesse, mais aussi pour tenir compte du temps que peut prendre une enquête, le délai de prescription passe de huit à dix ans.

Le code mondial antidopage, qui a été élaboré avec l'aide d'un cabinet d'avocats américains, est commun à 177 pays. Il doit donc nécessairement être adapté à la diversité des droits des États. Aussi, dans le cadre de la transposition qui fait l'objet du présent projet de loi, nous avons, dans une certaine mesure, la faculté d'adapter ces dispositions à notre tradition juridique et à nos principes, notamment constitutionnels.

Un point particulier de la transcription fait d'ailleurs encore débat : la possibilité, prévue par ce nouveau code, d'effectuer des contrôles, c'est-à-dire des prélèvements sanguins et urinaires, « à tout moment et en tout lieu ». Au regard du droit en vigueur, l'adoption d'une telle disposition aurait pour effet de permettre aux autorités antidopage de diligenter des contrôles nocturnes, entre 21 heures et 6 heures du matin, au domicile d'un sportif. Une telle possibilité est contraire au principe constitutionnel d'inviolabilité du domicile. D'ailleurs, même en droit pénal, les perquisitions nocturnes ne sont possibles que pour des infractions particulièrement graves, telles que des actes de terrorisme ou relevant de la criminalité organisée. Cette disposition contrevient également au principe de respect de la vie privée et familiale, garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CEDH), de sorte que la France, si elle appliquait une telle mesure, pourrait se voir condamnée par la Cour européenne de Strasbourg. C'est pourquoi le Conseil d'État, dans son avis du 26 juin 2014, a considéré que la transposition de cette disposition n'était possible que si le contrôle en cause s'effectuait avec le consentement du sportif concerné. D'après les informations dont je dispose, le Gouvernement souhaite conditionner ces contrôles nocturnes à l'accord du sportif mais aussi à l'existence d'une forte suspicion à son égard : il ne s'agirait donc pas de contrôler l'ensemble des sportifs de cette façon. Non seulement le dispositif envisagé semble proportionné mais en outre, il pallie l'une des lacunes du droit actuel, qui laisse les sportifs libres de prendre des produits dopants pendant la nuit, indétectables le lendemain matin. C'est notamment le cas de l'hormone de croissance ou de faibles doses d'EPO.

Globalement, la transposition du code mondial antidopage devrait contribuer à renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage, à condition toutefois que l'AFDL dispose de moyens financiers et humains suffisants pour être en mesure d'appliquer ces nouveaux dispositifs.

Les produits ou méthodes de dopage progressant chaque jour et conservant toujours une avance sur la recherche en matière de détection, nous ne pouvons nous permettre de prendre du retard en la matière. Toutes les personnes que nous avons auditionnées – qu'elles appartiennent au milieu sportif, au monde scientifique ou au champ universitaire – considèrent ce texte comme allant dans la bonne direction. Elles nous ont d'ailleurs adressé des propositions visant à consolider le projet d'ordonnance sur le plan juridique et à améliorer l'efficacité de la lutte contre le dopage.

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