Intervention de Jean-Paul Ortiz

Réunion du 17 décembre 2014 à 10h00
Délégation aux outre-mer

Jean-Paul Ortiz :

C'est l'ARS, avec l'URPS, qui est un bon interlocuteur en la matière. L'ARS doit faire l'inventaire de ce qui se fait, le consolider sur le terrain, l'accompagner, parfois aider à une structuration, mais en aucun cas piloter le projet.

Vous m'avez interrogé sur les relations de la médecine libérale avec le service public hospitalier ; je n'ai pas parlé de l'exclusion des cliniques privées du service public hospitalier. C'est aujourd'hui un problème, car les patients vont aussi bien à l'hôpital public que dans le privé. L'hospitalisation privée a aujourd'hui une activité de type mission de service public, qu'il faut prendre en compte dans la loi au lieu d'exclure les établissements.

Je n'ai pas vu la cartographie des services d'urgence dans l'hospitalisation privée. Il y en a beaucoup en métropole – 120 ou 130. Je ne sais pas s'il y en a dans les DOM. À ma connaissance, il n'y en a pas à La Réunion. Il n'y a aucune raison d'exclure les établissements de soins privés d'un certain nombre de missions de service public hospitalier, en particulier la prise en charge des urgences, ainsi que l'accueil des internes dans le cadre de leur formation. Cet article sur le service public hospitalier hérisse fortement les médecins spécialistes libéraux.

Vous me demandez ce que je pense de l'article 18 concernant le tiers payant pour les consultations médicales en ville : je n'en pense que du mal ! Les médecins n'en veulent pas.

La CSMF a toujours été favorable à un tiers payant social. Celui-ci existe réglementairement, et c'est nous qui l'avons fait inscrire dans la convention pour la CMU, la CMU-c et l'aide médicale d'État (AME). En 2015, il va s'étendre à l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS). Je l'ai dit à la ministre : il n'y aura aucune opposition de la part des médecins. Pas un médecin n'a élevé une moindre protestation concernant l'extension du tiers payant généralisé à l'ACS. Nous y sommes favorables pour des raisons sociales. Il n'y a aucune ambiguïté sur ce point, qui relève de l'éthique médicale. C'est ce que nous faisons déjà tous les jours dans nos cabinets pour les patients qui ne sont pas bien couverts et qui nous demandent d'encaisser leur chèque quinze jours ou un mois plus tard. Par ailleurs, les actes coûteux, au-delà de 90 euros, comme un scanner ou une IRM, sont déjà pris en charge en tiers payant, de même qu'une hospitalisation dans un établissement de soins privé ou à l'hôpital.

Ne sont donc concernées que les consultations d'une valeur relativement faible, de 23 à 90 euros. On me fera valoir qu'il peut s'agit de populations intermédiaires en situation momentanément un peu difficile ; les médecins connaissent ce genre de situations, car ce sont eux les derniers remparts sociaux dans notre pays. Ils prennent, au sens propre et au sens figuré, la température de la crise que vivent les Français. Quand un patient se retrouve au chômage, ou confronté à des difficultés professionnelles énormes, il dort mal, il souffre d'épigastralgie ou d'une colopathie, et il va voir son médecin. Voilà ce qui se passe dans nos cabinets. Si l'exercice médical est de plus en plus difficile aujourd'hui, c'est également à cause de cette crise sociale qui alimente nos consultations médicales.

Pourquoi ne voulons-nous pas du tiers payant généralisé ? Premièrement, parce que cela sera extrêmement difficile à mettre en oeuvre sur le plan technique. C'est déjà ce qui se passe avec la CMU et la CMU-c, où l'on relève des erreurs et des retards de paiement très importants. Une équipe de Lille, qui vient de mettre en place un observatoire des retards de tiers payant, estime à 10 % environ la proportion d'erreurs ou de non-paiement des actes en tiers payant pour la CMU et la CMU-c. Cela fait beaucoup…

Deuxièmement, le système va être coûteux et techniquement difficile à mettre en oeuvre. Les centres de santé ont évalué la gestion de la feuille de soins à 3,50 euros. Les pharmaciens font déjà du tiers payant pour tout, ce qui est normal car ils ont de grosses factures. L'une de vos collègues, pharmacienne et députée de la majorité, m'a confié que la gestion du tiers payant dans sa pharmacie lui coûtait quelque 800 euros par mois. Qui va payer une telle somme ? Croyez-vous que ce soit le moment de dépenser autant ? Pour les médecins, avec une consultation à 23 euros, il est hors de question de s'occuper de la gestion. Qui va le faire ? L'assurance maladie ? Les assureurs complémentaires ? Un économiste m'a fait part d'une estimation oscillant entre 800 millions et 1 milliard d'euros. Croyez-vous que ce soit le moment de consacrer autant d'argent à une mesure qui n'a aucun intérêt social réel ?

Une troisième raison, plus professionnelle, est avancée par les médecins, qui voient dans cette mesure une atteinte à leur indépendance. Celui qui paie commande, et la demande est faite par celui qui paie. Si ce sont les caisses qui paient directement les médecins, cela induit une dépendance accrue et insupportable vis-à-vis du payeur, en l'occurrence de l'assurance maladie. Que surviennent des retards de paiement ou des modifications tarifaires unilatérales, les médecins ne pourront rien faire : ils seront livrés pieds et poings liés au payeur. Aujourd'hui, le payeur, c'est le patient : c'est le patient qui demande, c'est le patient qui exige, c'est le patient qui choisit. Ce n'est pas pareil, la relation n'est pas la même. Si, demain, c'est la caisse d'assurance maladie ou un équivalent qui devient le payeur, cela modifiera considérablement la façon dont le métier est vécu.

Pour toutes ces raisons, la très grande majorité des médecins ne veut pas du tiers payant généralisé. Encore une fois, je l'ai dit à la ministre, je le redis et je le réaffirme, ce n'est pas un problème social.

J'en viens au guichet unique pour les remboursements des mutuelles aux praticiens. La ministre l'a dit elle-même : à supposer que l'on mène une étude de faisabilité du tiers payant généralisé, cela passe obligatoirement par l'instauration d'un circuit unique pour le médecin. Je ne vais pas, pour récupérer 6,90 euros sur ma consultation, envoyer une facture à 400 assureurs complémentaires différents ! Il faut passer par un guichet unique, mais ce sera très difficile à mettre en place, ne serait-ce que parce que les assureurs complémentaires ne sont pas d'accord avec l'assureur obligatoire. Du reste, les assureurs complémentaires ne sont pas intéressés du tout par cette idée de tiers payant généralisé, et pour une raison que je peux comprendre : comme ils travaillent dans le cadre d'un marché concurrentiel, ils tiennent à garder un lien direct avec les assurés qui les ont choisis. Les mutuelles sont plus favorables à ce dispositif, mais surtout pour des raisons idéologiques. Les autres assureurs, eux, veulent garder le contact avec leurs clients. Ils veulent apparaître sur les prises en charge et refusent l'anonymat d'un flux collectif.

Pour nous, médecins, il faudrait un flux unique, mais en face, ils n'en veulent pas. Cherchez l'erreur !

Quant à l'institution de la CMU-c à Mayotte, vous pourriez peut-être m'éclairer, madame la présidente. Pourquoi n'y a-t-il pas de CMU-c à Mayotte ? Est-ce une exception territoriale ?

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