Intervention de Jean-Yves le Drian

Séance en hémicycle du 13 janvier 2015 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces françaises en irak débat et vote sur cette déclaration

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je tiens d’abord à remercier les présidentes de la commission des affaires étrangères et de la commission de la défense de leurs propos. Le ministre de la défense que je suis sera toujours prêt à se rendre devant vos commissions, mesdames, pour faire le point sur les opérations en cours, que ce soient l’opération Chammal ou les autres.

Aux différents orateurs qui se sont exprimés, je tiens à dire à quel point j’ai apprécié l’hommage qu’ils ont rendu aux forces armées. Celles-ci sont aujourd’hui engagées sur quatre théâtres d’opérations, puisqu’aux opérations Chammal, Sangaris et Barkhane, il faut désormais ajouter un théâtre intérieur. Nos forces armées sont engagées sur trois théâtres extérieurs et un théâtre intérieur, sans compter notre présence au Liban et, dans une moindre mesure, dans d’autres lieux.

À menace globale, réponse globale. De plus en plus action de sécurité intérieure et action de sécurité extérieure interfèrent l’une avec l’autre. Les forces armées sont à la hauteur de leurs responsabilités et remplissent leur tâche avec courage et professionnalisme. Vous avez bien voulu, les uns et les autres, le rappeler et je suis très heureux de ces encouragements.

Je veux d’abord souligner l’importance de diagnostiquer ce qu’est Daech. Vous avez été nombreux à y faire référence, M. Moignard en particulier. Nous affrontons une menace tout à fait inédite. La nouvelle génération du terrorisme post Ben Laden que constitue Daech est d’un niveau sans précédent.

De par sa nature et sa dimension, Daech change complètement la donne, que ce soit par le nombre de ses combattants – 40 000 –, ses capacités militaires – chars, blindés, armements lourds, missiles – sa capacité d’intervention – Daech mène à la fois des opérations conventionnelles, des opérations de type terroriste ou de guérilla urbaine – ou encore par sa dimension internationale : Daech est une force capable de recruter très largement à l’étranger. Outre les recrutements français dont il a beaucoup été question, cette organisation recrute en Arabie saoudite, au Maroc, etc, soit près de 10 000 étrangers sur 40 000 combattants. Ce chiffre impressionnant montre que nous sommes face à un type radicalement nouveau de terrorisme. C’est la raison pour laquelle il m’arrive souvent de parler d’armée terroriste ou de terrorisme militarisé. C’est là une raison supplémentaire d’intervenir.

En outre, Daech a une très grande maîtrise de la communication et dispose d’importants moyens financiers. Cette organisation est capable de recruter non seulement des jeunes vulnérables, mais également des ingénieurs, des techniciens, des informaticiens, des universitaires. Telle est la force du califat, qui fusionne le pouvoir politique et religieux, le calife étant le successeur de Mahomet. Il convient de prendre toute la mesure de ce terrorisme d’un type nouveau qui appelle de notre part un combat vigilant, ferme, radical et déterminé, celui que nous menons.

Monsieur Candelier, même si je respecte les raisons que vous avez évoquées à l’appui de votre choix de l’abstention, elles ne me semblent pas tout à fait justes. Jamais, monsieur Candelier, l’OTAN n’a été présente dans l’opération contre Daech. La coalition s’est réunie à Paris le 15 septembre dernier à l’initiative du Président de la République. C’est à partir de la conférence de Paris et de la résolution 2170 des Nations unies que la coalition s’est engagée. Il ne s’agit pas d’une initiative de l’OTAN ; il n’y en a jamais eu et il n’y en aura pas.

Le groupe aéronaval évoqué par le Premier ministre a appareillé aujourd’hui pour une mission programmée de longue date. Si le Président de la République se rend demain sur le porte-avions, c’est parce que c’est là que la cérémonie des voeux aux armées doit avoir lieu, puisque c’était au tour de la marine de recevoir le Président de la République.

Le porte-avions, il est vrai, se rendra dans le golfe arabo-persique et en Inde, conformément à sa mission initiale, et il sera à la disposition du Président de la République si d’aventure cela se révélait nécessaire.

Les cinq objectifs que vous avez rappelés, monsieur Le Roux, restent les axes de notre stratégie. Plus précisément, le volet militaire comporte six objectifs. Il s’agissait d’abord de bloquer l’avance de Daech : l’objectif a été atteint. Le deuxième objectif est d’affaiblir son organisation : c’est en cours, même si Daech fait preuve d’une grande capacité à innover et à s’adapter à la nouvelle donne militaire dans les zones sur lesquelles il exerçait jusqu’ici sa pression.

Notre troisième objectif est d’apporter notre soutien à ceux qui se battent au sol : c’est ce que nous faisons, une centaine de nos officiers formant les peshmergas ou les forces de sécurité irakiennes. Quatrièmement, avec les Britanniques et les Américains, nous exportons de l’armement et aidons les militaires à les utiliser et nous apportons notre soutien aux combattants non-djihadistes en Syrie. La cinquième étape sera la reconquête par les Irakiens et les peshmergas de l’intégralité du territoire irakien et nous appuierons les forces au sol le moment venu.

Oui, monsieur Lellouche, ce sera long. Nous l’avons toujours dit et nous continuons à le dire. Oui, les interrogations sur l’estimation des risques dans cette région sont légitimes. Oui, il est nécessaire de mener une guerre globale.

Oui, il est nécessaire de se préoccuper du Liban et de la Jordanie, et c’est ce que nous faisons. Le renforcement de l’armée libanaise a été acté par un dispositif initié par l’Arabie Saoudite et la France. Nous avons installé une base en Jordanie pour attaquer Daech.

Il est un point sur lequel j’ai une divergence d’appréciation avec vous, monsieur Lellouche, ainsi qu’avec la présidente de la commission de la défense et M. Folliot, qui ont aussi évoqué le sujet. Si nous intervenons aujourd’hui sur quatre théâtres différents – trois extérieurs et le théâtre intérieur –, c’est dans le strict respect de la loi de programmation militaire : c’est elle qui nous permet de le faire. Aujourd’hui, 10 000 hommes sont mobilisés pour l’opération intérieure et environ 10 000 pour les opérations extérieures, sans compter les 8 000 hommes prépositionnés, en particulier en Afrique.

Cela, c’est la loi de programmation militaire qui le rend possible, même si je reconnais avec vous que c’est difficile. Comme toute loi de programmation militaire, la PLM actuellement en vigueur est adaptée à l’évaluation des nouvelles capacités et des nouvelles menaces. C’est ce cadre en effet qui nous a permis de renforcer la cybersécurité, les forces spéciales, les capacités de renseignement, ou encore le ravitaillement en vol : c’est la prise en compte de la nécessité de ces évolutions qui la distingue de la PLM précédente.

Ainsi que vous le soulignez, madame la présidente de la commission de la défense, il importe désormais, en application de l’article 6 de la loi de programmation militaire, que nous examinions à mi-parcours les nouvelles menaces et capacités pour adapter la loi à la situation nouvelle. Je l’avais indiqué avant les attentats et je maintiens ma position.

Monsieur Folliot, les questions que vous avez posées seront évoquées lors de la réunion des ministres de la défense de l’Union européenne qui doit se tenir dans quelques jours. S’agissant du financement des opérations, le Premier ministre a tenu des propos extrêmement clairs.

J’ai en partie répondu à vos observations, monsieur de Rugy.

Je me réjouis par ailleurs de vous entendre soulever la question de Boko Haram. Il me semble en effet qu’il y un risque de voir se constituer dans les semaines, voire les jours qui viennent, un nouveau califat, en Afrique cette fois, contre lequel il faudra trouver les moyens de se défendre et constituer les coalitions nécessaires à cet effet.

L’engagement du Qatar et de l’Arabie saoudite dans la coalition est clair, monsieur de Rugy : je vous rappelle que l’état-major de celle-ci est établi au Qatar.

Au sein de cette coalition, monsieur Candelier et monsieur Lellouche, la France conserve son droit de parole et son autonomie. Loin de faire preuve du suivisme vis-à-vis des États-Unis que vous lui reprochez tous deux, quoiqu’en des termes différents, la France joue sa propre partition. Deuxième puissance engagée en termes de capacité de frappe, en nombre et en force, elle possède en effet des capacités de renseignement et d’action qui lui assurent cette autonomie au sein de la coalition à laquelle elle participe aux côtés des États-Unis.

Voilà pourquoi, mesdames et messieurs les députés, je souhaite, comme le Premier ministre et la quasi-totalité des orateurs qui se sont exprimés, que vous donniez à nos forces les moyens de poursuivre leur action pour assurer notre sécurité face à une menace globale, celle du terrorisme, qui a frappé ces jours derniers Paris. C’est ainsi que nous pourrons l’attaquer à la racine, autrement dit l’éradiquer.

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