Intervention de Bernard Heger

Réunion du 21 novembre 2012 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Bernard Heger, délégué général du Syndicat des industries de matériels audiovisuels électroniques, SIMAVELEC :

Je précise que, globalement, c'est quasiment l'ensemble des parties prenantes représentant les industriels qui a quitté la Commission de la copie privée.

Un chiffre pour commencer : selon l'Observatoire du numérique, les industriels ayant quitté la Commission de la copie privée représentent quelque 650 000 emplois, sans compter le secteur de la distribution des produits, physique ou via internet. Nous participons au bien-être de tous, nos produits irriguant l'éducation, la santé, entre autres. Nous contribuons aux gains de compétitivité, à l'innovation et au développement du monde du contenu. Si donc la copie privée est une préoccupation importante à nos yeux, notre univers est bien plus vaste.

Entrons dans le vif du sujet : si ce n'était pas mieux avant, c'était au moins plus simple ! Au temps de l'analogique, il suffisait d'acheter une cassette vidéo de quatre-vingt-dix minutes pour copier un film et, au bout de trois copies, la qualité était très dégradée. Au temps de l'analogique, il y avait peu de chaînes de télévision et peu de contenus. Au temps de l'analogique, on ne pouvait regarder un film chez soi que sur un téléviseur. Au temps de l'analogique, il n'y avait pas de piratage, pas d'usage professionnel. On pouvait bloquer les magnétoscopes à Poitiers. C'était en 1985, c'était le temps du Minitel.

Aujourd'hui, c'est le règne de l'abondance et de la diversité. L'abondance des produits, d'abord, puisqu'on peut dorénavant regarder aussi la télévision sur une tablette, sur un smartphone, sur un ordinateur. L'abondance des contenus, ensuite : la seule télévision numérique terrestre (TNT) va offrir très bientôt vingt-quatre chaînes à Paris, et l'offre légale est facilement accessible à tous. En outre, les comportements de nos concitoyens ont changé : les jeunes regardent ainsi souvent deux écrans en même temps, et on peut être en lien direct, en streaming, avec tous les contenus. De ce fait, il y a moins de copies privées. Selon certaines études, leur nombre aurait diminué de 37 % entre 2008 et 2011.

Toutes ces évolutions ont conduit à des ajustements dans la vision et la caractérisation de ce qu'est la copie privée, notamment à travers les textes européens. Et les faits sont têtus. Certes, la copie privée impose une compensation équitable. Mais celle-ci n'est pas un salaire ; nous ne sommes pas dans une négociation salariale. Elle n'est pas en relation avec un niveau d'exception culturelle ; nous ne sommes pas dans le cadre d'un débat sur l'exception culturelle. Elle n'est pas en relation avec une politique de l'emploi. La compensation équitable couvre un préjudice, et seulement un préjudice : les textes européens sont très clairs à cet égard. On peut réfuter ces faits mais telle est bien la réalité et, à un moment ou à un autre, la France, qui est un État de droit, devra bien suivre le droit européen.

Un préjudice, c'est du rationnel, c'est du mesurable, c'est de l'objectif. Avouez qu'il est curieux que ce soit ceux qui bénéficient des sommes dues en raison du préjudice, qui déterminent ce préjudice ! Si vous subissez un préjudice sur votre voiture, ce n'est pas vous qui le fixez : il n'y a pas de négociation, l'appréciation relève d'un expert indépendant des parties. Certes, les représentants des ayants droit vous jureront, la main sur le coeur, qu'ils sont très objectifs et qu'ils vont jusqu'à financer des études pour définir le préjudice. Promis, juré, ce n'est que du rationnel !

Voici quelques éléments de réflexion. Les décisions n°s 7, 8, 9, 10 et 11 de la Commission de la copie privée ont été cassées par le Conseil d'État – et il en ira certainement de même, prochainement, de la décision n° 13 – pour deux raisons. La première tient au fait que les copies réalisées à partir d'un contenu piraté étaient considérées par les ayants droit comme un acte licite, et donc intégrées dans les calculs, ce qui revenait à rendre légal le recel de contrefaçons. Dès lors, il a fallu soustraire du calcul des barèmes tout ce qui relevait du piratage. Or nous parvenons aux mêmes sommes, au centime près. Cela montre bien que nous ne sommes pas dans la réparation d'un préjudice.

La deuxième raison tient au fait que les achats professionnels ne doivent pas entrer dans les calculs de la rémunération pour copie privée. Il en est ainsi, par exemple, des DVD achetés par un radiologiste pour stocker les données de ses patients.

Nos demandes ont d'ailleurs été relayées par votre Assemblée avec quelques commentaires. J'en citerai quelques-uns. M. Christian Kert déclarait, il y a un an : « Deux problèmes principaux se posent. En premier lieu, celui de la gouvernance de la Commission de la copie privée et celui de la méthodologie de la rémunération. Il nous faudra donc réinscrire l'ouvrage parmi les chantiers de notre Commission. » Or rien n'a avancé. M. Patrick Bloche disait, quant à lui : « On peut s'interroger sur la manière dont les barèmes sont établis à partir d'études payées par certains des membres de la Commission de la copie privée. Bref, ces mécanismes ont vécu et plus de transparence s'impose. » Je dirai exactement la même chose, aujourd'hui. En tout état de cause, le niveau de collecte aurait dû diminuer puisque les achats professionnels n'étaient plus pris en compte. Mais les professionnels n'arrivent pas à se faire rembourser. Notons au passage que si le droit européen avait prévu que les professionnels ne devaient pas être assujettis à la rémunération, le droit français, quant à lui, stipule qu'ils doivent être remboursés, ce qui est très différent.

À la suite des décisions du Conseil d'État, de nouveaux barèmes ont été proposés et alors qu'on pouvait s'attendre à un statu quo, la « taxe » a augmenté de 50 % en moyenne, avec des pics à plus 225 %, ce qui est particulièrement indécent en cette période de crise.

Ayant considéré que cette situation était inadmissible, et ne relevait pas de la réparation d'un préjudice, nous avons décidé de démissionner de la Commission de la copie privée pour ne plus cautionner ce fonctionnement.

Dernière observation, enfin : s'il est véritablement question de préjudice, celui-ci doit être à peu près le même dans tous les pays européens. Or, en Espagne, la taxe pour copie privée est de l'ordre de 5 millions, contre 250 millions, TVA comprise, en France. Cela montre qu'il faut changer le système. Nous demandons que la directive européenne soit respectée : le préjudice, rien que le préjudice. Au terme des études auxquelles nous avons fait procéder par des bureaux indépendants – ceux qu'utilisent les autorités judiciaires – nous estimons que le préjudice dû à la copie privée est de l'ordre de 50 à 60 millions en France. Nous demandons donc que le préjudice soit défini par une autorité indépendante de toutes les parties – consommateurs, ayants droit, industriels – qui s'appuie sur les travaux d'experts auprès des tribunaux.

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