Intervention de Fleur Pellerin

Réunion du 10 mars 2015 à 17h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication :

Je vous remercie pour votre invitation qui me permet de vous présenter les travaux menés avec M. Marc Schwartz depuis plusieurs mois.

Dès ma prise de fonction, j'ai estimé qu'il était indispensable que l'État, actionnaire de France Télévisions, trace les grandes orientations de la feuille de route qui sera assignée au futur président du groupe. Il semble en effet logique qu'il fixe ses priorités à l'audiovisuel public, largement financé par des fonds publics. Il est même étonnant que cela n'ait pas été le cas plus tôt. Le grand nombre d'indicateurs de gestion et de performance – près de soixante-dix – au caractère parfois contradictoire, qui m'a été fourni à mon arrivée au ministère, témoignait d'un problème de gouvernance et de relation entre l'entreprise publique et la tutelle, qu'il était nécessaire de régler dans l'intérêt de l'ensemble de nos concitoyens.

La détermination des enjeux et des missions de France Télévisions est un exercice de prospective qui se veut également opérationnel. Il n'a en aucun cas vocation à se substituer aux pouvoirs qui ont été réattribués au CSA pour la nomination du président de France Télévisions. Pour reprendre votre expression, monsieur le président, la représentation nationale et l'État actionnaire ont bien le droit et le devoir de fixer ces priorités.

Les terribles événements du mois de janvier nous l'ont tristement rappelé : nous avons besoin d'un espace commun d'échange et de partage, un espace où la parole publique soit libre et où l'information de qualité rende compte du pluralisme des idées, un espace dans lequel chacun puisse se reconnaître et partager des valeurs communes. Qui mieux que l'audiovisuel public peut assumer ces missions ?

Aujourd'hui, France Télévisions doit réaffirmer sa singularité et ses valeurs de service public. Elles font de France Télévisions, bien plus qu'une entreprise, un acteur déterminant de la politique culturelle de notre pays et de son rayonnement, un outil au service de la citoyenneté et du vivre ensemble.

Nous avons retenu quelques grands axes majeurs qui pourront inspirer les candidats qui se soumettront à la procédure désormais entre les mains du collège du CSA.

Le premier axe est celui de l'ambition renouvelée.

Le rapport remis par M. Marc Schwartz dresse un constat qui me paraît exhaustif des défis auxquels sont confrontées toutes les sociétés de l'audiovisuel public, que ce soit en France ou à l'étranger. Le groupe de travail a effectué un travail passionnant de comparaisons internationales et établi la liste des bouleversements technologiques, économiques, sociétaux, créatifs ou concurrentiels, qui ont transformé le paysage audiovisuel et notre société. Il en ressort que le triptyque traditionnel « éduquer, informer, distraire », sur lequel s'appuie l'audiovisuel public depuis l'ORTF, a besoin d'un nouveau souffle. Il apparaît essentiel de conjuguer désormais trois nouveaux verbes : comprendre, rayonner, participer.

« Comprendre », tout d'abord, parce qu'aujourd'hui, être citoyen, c'est pouvoir décrypter un environnement complexe et comprendre le monde qui nous entoure, alors que les canaux d'information ont été démultipliés et que nous sommes entrés dans l'ère de la profusion.

Toutes les sources n'ont toutefois pas le même statut et les mêmes modalités de production. Le rôle de France Télévisions est précisément d'apporter une information riche et indépendante qui permette l'expression du pluralisme, l'épanouissement du débat d'idées, et qui favorise la mise en perspective. Cette mission me paraît fondamentale dès lors que l'on s'adresse aux plus jeunes dont il faut former l'esprit critique devant la masse de données disponibles sur internet ou sur divers réseaux. La situation n'a plus rien à voir avec l'époque où nous n'étions informés que par quelques chaînes de télévision.

L'information doit permettre le décryptage de la réalité et contribuer à la formation de l'esprit critique du téléspectateur. Cette mission doit être au coeur des préoccupations du service public : il s'agit de mettre à la portée du plus grand nombre les débats et les pensées qui agitent le monde contemporain, que cela concerne les sciences humaines et sociales, la géopolitique ou l'économie. Nous attendons du prochain dirigeant de France Télévisions des propositions pour renforcer l'offre publique d'information en poursuivant la modernisation des rédactions déjà engagée, en étroite coopération avec les autres entreprises du service public de l'audiovisuel également productrices d'information. Je souhaite aussi que les salariés de France Télévisions, qui sont fiers de leur entreprise et de leur mission de service public, soient mobilisés pour participer à des actions d'éducation aux médias ou de décryptage de l'information et que cet engagement citoyen soit reconnu et valorisé.

« Rayonner », ensuite, parce France Télévisions est un acteur du rayonnement de la création et de la créativité française, et qu'il doit être, beaucoup plus encore qu'il ne l'est déjà, un aiguillon de l'innovation.

Le principal risque, aujourd'hui, c'est de ne pas en prendre. France Télévisions doit faire preuve d'audace créative, proposer des formats innovants et des écritures nouvelles, mais aussi accompagner les artistes et les créateurs pour leur permettre de révéler tout leur talent. Soutenir la création française, la langue française, est un enjeu essentiel de la diversité culturelle, de la différenciation de l'offre du service public par rapport, notamment, à celle des géants de l'internet. Avec la francophonie, les oeuvres françaises ont vocation à toucher un public mondial en plein développement – je pense notamment aux populations francophones d'Afrique subsaharienne et du Maghreb.

Le service public doit jouer son rôle d'incubateur et faire émerger une nouvelle génération de créateurs pour faciliter le renouvellement de la création et des talents. Pour France Télévisions, cela concerne notamment la production de fictions et de séries. La France exporte encore relativement peu de séries alors qu'il s'agit d'un genre très créatif en pleine expansion, désormais exploré par de grands noms du cinéma, qui parle à tous les publics, y compris aux plus jeunes. Un renouveau créatif a été amorcé dans notre pays avec Les revenants, Braquo, No limit, mais tous les talents sont réunis pour faire beaucoup mieux et pour exporter davantage. Nous avons les auteurs, les créateurs, une filière de production très dynamique et une filière de distribution. France Télévisions, qui a su proposer Un village français ou Fais pas ci, fais pas ça, doit aussi pouvoir inventer des formats plus innovants, les Borgen, les Real Humans, les House of Cards de demain. J'ajoute que la réussite de tels projets ne doit pas uniquement se jauger en termes d'audience. L'État actionnaire, qui incite à la prise de risques et à l'audace créative, est prêt à accepter que des critères de qualité soient pris en compte au-delà des seules audiences : des indicateurs pourront être mis en place en ce sens. Évidemment, il ne peut pas y avoir de télévision publique sans public. Mais la créativité, l'ambition artistique, la générosité de l'intelligence sont des critères dont France Télévisions doit davantage tenir compte. Le soutien des tutelles lui est désormais acquis en la matière.

« Participer », enfin, parce que les médias doivent aujourd'hui repenser leur rapport au public. Dans cet exercice, l'information locale et les médias de proximité doivent jouer un rôle essentiel. Il appartient à France Télévisions de fédérer les initiatives afin, par exemple, que se nouent des coopérations plus fortes entre les différentes composantes de l'audiovisuel public. C'est un sujet que le Président de la République a déjà évoqué. Une nouvelle fois, l'État prendra toutes ses responsabilités, en instituant un comité de pilotage stratégique rassemblant toutes les entreprises de l'audiovisuel public pour leur permettre d'échanger, notamment sur leur développement et leur politique d'investissement, et éventuellement d'élaborer des projets communs.

Le deuxième axe traduit notre souhait de faire une télévision qui ressemble aux Français. Pour que ces derniers parlent positivement de France Télévisions, France Télévisions doit parler d'eux, avec eux. Deux priorités doivent animer cette volonté de faire de la télévision publique la télévision de tous les Français : attirer la jeunesse et promouvoir la diversité.

La question de la jeunesse nous préoccupe d'autant plus que les chiffres révèlent un vieillissement du public de France Télévisions. L'une des missions centrales du service public doit être de favoriser l'entrée de la jeunesse dans le monde. France Télévisions doit recréer un lien fort avec la jeunesse de notre pays et proposer une offre adaptée à ce public, sur tous les supports.

Cela passe par l'exploitation des genres qui sont les siens – la musique, la culture urbaine, la fiction et l'animation –, mais aussi par l'appropriation de leurs codes, notamment l'humour et le décalage. Des émissions comme le Daily Show aux États-Unis ou, aujourd'hui, Silex and the city en France, ont montré la voie pour parler de sujets de société à un public d'adolescents ou de très jeunes adultes.

Cela implique aussi, à travers l'offre en ligne, de faire d'internet un espace où l'offre publique, lisible et attractive pour les jeunes, vienne concurrencer les messages antirépublicains qui fleurissent parfois sur les réseaux sociaux.

Une autre mission du service public consiste à s'adresser à tous les Français et à être représentatif de notre société dans toute la richesse de sa diversité. France Télévisions doit être le reflet de cette richesse et non le miroir des blocages de la société française. Cela passe par la promotion de nouveaux talents, mais aussi par un lien renforcé avec les médias citoyens et de proximité.

La poursuite de la transformation numérique constitue le troisième axe.

Aujourd'hui, le hertzien ne touche déjà plus que la moitié des téléspectateurs car le câble et l'ADSL deviennent dominants. Demain, lorsque la télévision sera massivement distribuée sur internet, les alternatives à France Télévisions ne seront plus une poignée de chaînes mais une multitude de propositions numériques. La télévision doit donc être aux avant-postes de cette révolution si elle veut s'adapter aux pratiques de nos concitoyens et diversifier ses ressources propres.

Aujourd'hui, le contenu même de la télévision évolue, avec des programmes interactifs. France Télévisions doit être au coeur de ces nouvelles manières de vivre l'expérience télévisuelle.

France Télévisions doit aussi enrichir et mieux mettre en valeur son offre de vidéo à la demande pour mieux exposer les nombreux genres et formats qu'elle est seule à détenir et qui constituent un patrimoine précieux.

France Télévisions doit, enfin, se faire la voix du service public sur internet où les discours porteurs de valeurs républicaines et respectueuses de la déontologie de l'information sont parfois minoritaires.

Pour respecter ces trois axes, faire face à l'ensemble de ces enjeux et mettre en oeuvre ces priorités, l'entreprise devra retrouver de l'agilité dans un environnement très changeant et améliorer l'efficacité de la gestion.

Arrêtée lors de la conclusion du contrat d'objectif et de moyens (COM), la trajectoire des ressources publiques de France Télévisions sera, au mieux, stable. Elle pourrait plus probablement s'inscrire dans l'évolution à la baisse constatée ces dernières années, dans le contexte contraint des finances publiques alors que le secteur audiovisuel est poussé à faire des économies, que ce soit en France, en Europe ou dans le monde. M. Michel Sapin a rappelé que les conditions n'étaient pas réunies pour une modification du régime publicitaire de France Télévisions.

Pour assurer un retour à l'équilibre, l'État incitera et accompagnera l'entreprise dans le développement de ses recettes de diversification. Cela implique de faire des choix structurants en matière de gestion et de budget.

Le travail conduit par les services de l'État a permis d'identifier plusieurs pistes en la matière. Il est important de mieux affirmer la cohérence du bouquet et de préciser l'identité et la ligne éditoriale de chaque chaîne car elles n'apparaissent pas toujours clairement aujourd'hui. En dépit des efforts consentis, France 3 reste ainsi confrontée à un triple enjeu : éditorial, d'organisation et de gestion. Si cette chaîne a vocation à être redynamisée, je réaffirme l'attachement du public et de l'État à des télévisions régionales. Il faudra par ailleurs continuer d'améliorer la gestion de la filière de production et du réseau outre-mer.

Pour chacun de ces chantiers, l'État sera aux côtés du prochain président ou de la prochaine présidente de France Télévisions, dans un partenariat renouvelé grâce à l'exercice de simplification et de clarification des missions qu'il a engagé. En identifiant trois missions prioritaires – comprendre, rayonner, participer – et quatre valeurs cardinales – la singularité, l'indépendance, l'exemplarité, l'intérêt général – destinées à guider l'entreprise dans la conduite de son activité, l'État se donne les moyens de simplifier ses attentes à l'égard de France Télévisions. Il évitera les injonctions contradictoires : les missions seront centrées sur un nombre limité – une dizaine environ – d'objectifs clairs et cohérents, en lien avec le calibrage financier. Il simplifiera les modalités d'exercice de la tutelle qui se traduit aujourd'hui par une multiplicité d'objectifs et d'indicateurs peu lisibles. Il réhabilitera le rôle du conseil d'administration et de ses comités spécialisés.

Quant à l'entreprise, elle devra également clarifier sa gouvernance interne. L'État ne sous-estime ni les perturbations que la mise en place de l'entreprise unique a engendrées ni l'investissement considérable de l'opérateur, de ses salariés et de sa direction dans ce projet structurant. Il s'agit cependant de clarifier maintenant les processus de décision et les lignes de responsabilités pour fluidifier le fonctionnement de l'entreprise et améliorer sa réactivité dans un environnement extrêmement changeant.

Nous avons pris nos responsabilités en proposant au Parlement d'augmenter la redevance pour sécuriser le financement et le rendre vraiment indépendant, en supprimant progressivement la subvention budgétaire versée à France Télévisions par l'État. De même, nous prenons nos responsabilités en travaillant à une modernisation de l'assiette de la redevance, comme le Président de la République l'avait annoncé. Mais il est certain que France Télévisions devra poursuivre ses efforts pour que l'entreprise soit plus agile et plus souple.

En définitive, France Télévisions a besoin d'un projet audacieux en prise avec son époque, ce qui implique que l'État et son opérateur assument des choix exigeants afin de moderniser un service public cher au coeur des Françaises et des Français – plusieurs enquêtes l'ont montré.

Parce que la télévision publique est l'affaire de tous, parce qu'elle occupe une part importante de la vie de tous les Français, et qu'elle est susceptible de créer ou de recréer un lien entre eux, un horizon d'avenir commun, notre ambition doit être immense.

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