Intervention de Patrick Kanner

Réunion du 17 mars 2015 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports :

Je vous remercie, monsieur le président, en mon nom et en celui de Thierry Braillard, pour votre présence à cette cérémonie, jeudi dernier, à l'INSEP, devant un millier de sportifs et de nombreux anciens ministres des sports, qui a marqué la solidarité de toute la nation aux sportifs français, au travers de la perte, terrible, de huit de nos compatriotes, dont Florence Arthaud, Camille Muffat et Alexis Vastine. A priori, les corps devraient être rapatriés à la fin de cette semaine. Thierry Braillard et moi-même serons certainement présents pour accompagner les familles.

Je citerai, pour commencer, une phrase prononcée par Jacques Chirac évoquant l'avenir de notre planète à la COP 21 (Conférence des Parties) de Johannesburg, en 2002 : « La maison brûle et nous regardons ailleurs ». Nous pouvons nous poser cette question aujourd'hui à propos de la santé de notre société, voire de notre République. Ce déni n'est pas le fait d'un camp, d'un parti, ni même des seuls responsables politiques. Il s'agit d'une responsabilité collective.

Je fais, bien sûr, référence aux attentats du mois de janvier, qui nous obligent à regarder notre société avec lucidité, tout en ayant présente à l'esprit l'idée que nombre de nos concitoyens ont manifesté leur attachement à la République. Je pense notamment aux 4 millions de citoyens qui ont défilé le 11 janvier. Cela étant, nous savons tous ici que de nombreux Français se sont tus et ont regardé ces manifestations avec circonspection, soit parce qu'ils ne se sentaient pas concernés, soit parce qu'ils avaient des doutes, voire une opposition aux principes défendus. Vous avez sans doute, dans les semaines qui ont suivi le 11 janvier, rencontré des Français, souvent des jeunes, qui n'étaient pas « Charlie », en tout cas des personnes pour qui cette expression n'avait pas vraiment de sens.

Le Comité interministériel à l'égalité et à la citoyenneté, qui s'est tenu le 6 mars, a précisément pour objet de convaincre nos concitoyens de l'effectivité de la République, de la force de ses valeurs et de la réponse qu'elle peut apporter à leurs préoccupations quotidiennes. La réponse aux attentats stricto sensu a été remarquablement assurée par les ministres régaliens de la défense, de l'intérieur et de la justice.

Quant à la réponse portée par mon pôle ministériel, à l'occasion de ce comité, elle concerne moins les attentats que les jours qui ont suivi. Ni la jeunesse ni les habitants des quartiers ne sont responsables des meurtres commis dans notre pays. J'ai eu l'occasion de dire à plusieurs reprises qu'il y avait eu des raccourcis peut-être trop faciles entre Coulibaly, les frères Kouachi, les attentats, les quartiers et la jeunesse. Cela mérite d'être souligné pour ne pas tomber dans un travers, un raccourci qui serait profondément injuste.

En revanche, les jeunes de nos quartiers, peut-être plus que d'autres, doutent de la promesse républicaine, non pas de sa justesse, mais de sa réalité. Le mot de « concorde », que nous prononçons parfois dans nos interventions, leur semble tellement éloigné… C'est donc en priorité à eux que nous devons nous adresser, à eux que nous devons faire la démonstration d'une République en actes. Tel est l'intitulé de notre comité interministériel du 6 mars dernier.

Le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports s'est concentré sur trois objectifs fixés par le Premier ministre : casser les ghettos, tout faire pour la jeunesse en difficulté et mobiliser l'ensemble de la société autour des valeurs républicaines.

Pour ce qui concerne les ghettos, beaucoup a trait à la politique de peuplement et au développement économique, deux sujets qui ne relèvent pas essentiellement de votre commission. Je ne m'attarderai donc pas sur ce train de mesures, sauf si vous souhaitez y revenir. Je signale tout de même une proposition que nous portons avec la ministre de la culture à propos du développement des médias de proximité. Un fonds dédié de un million d'euros sera activé dès cette année et nous étudierons sa pérennisation sur le modèle du Fonds de soutien à l'expression radiophonique.

Le deuxième objectif nous concerne directement. Il est au coeur de vos préoccupations puisqu'il s'agit d'aider la jeunesse en difficulté. Aider cette jeunesse, c'est avant tout lui donner la possibilité de trouver un emploi. Pour cela, nous avons estimé qu'il nous fallait veiller à ce que tous les dispositifs d'emplois aidés touchent bien leur cible. Nous avons donc fixé des objectifs chiffrés pour chacun en termes de déploiement dans les quartiers prioritaires.

Nous avons par ailleurs proposé une panoplie de réponses pour faire face à la variété des situations des jeunes face à l'emploi. Nous voulons ainsi créer un nouveau contrat aidé, dit « contrat starter », destiné aux jeunes décrocheurs et tourné exclusivement vers le secteur marchand. Il s'accompagnera d'une prise en charge à 45 % par l'État pour un jeune au Smic, ce qui signifie très concrètement zéro charge pour ces contrats destinés aux jeunes décrocheurs en grande difficulté. Ce contrat viendra compléter d'autres dispositifs dits « de la deuxième chance » pour les décrocheurs, comme la Garantie Jeunes, qui va continuer à monter en charge, avec 50 000 jeunes qui pourront intégrer le dispositif cette année, et 100 000 d'ici à 2017.

Dans le cadre du développement des établissements publics d'insertion de la défense (EPIDE), nous allons financer 1 000 places supplémentaires. Le service militaire adapté (SMA) sera porté par Jean-Yves Le Drian. Ce dispositif existe déjà en outre-mer et nous voulons l'expérimenter sur trois sites en métropole.

Nous allons développer le parrainage, qui affiche un très bon résultat concernant l'insertion des jeunes puisque 65 % d'entre eux trouvent un emploi à durée indéterminée ou de plus de six mois, alors que la moitié d'entre eux n'est titulaire que d'un diplôme de niveau V ou VI. Comme la formule fonctionne, nous nous fixons l'objectif de doubler le nombre de parrains, en mettant en place, notamment, une plate-forme numérique dédiée.

Aider les jeunes, c'est aussi leur redonner du pouvoir d'achat. Cette mesure n'est pas ciblée en tant que telle par le comité interministériel du 6 mars, mais son annonce coïncide en termes de calendrier avec l'esprit du comité. Je rappelle la création de la prime d'activité en lieu et place de la prime pour l'emploi (PPE) et du RSA activité. C'est une très bonne nouvelle puisque cette prime est ouverte aux jeunes de moins de vingt-cinq ans et aux salariés modestes.

Aider la jeunesse en difficulté, c'est aussi l'aider à se former à l'école et hors de l'école. Dans chaque collège REP + (réseau d'éducation prioritaire), nous mettrons en place des programmes de réussite éducative, qui ont été globalement un succès. Ces programmes avaient été initiés par Jean-Louis Borloo, en charge, à l'époque, de la politique de la ville.

Nous proposerons un « New Deal », c'est-à-dire une nouvelle donne pour le secteur associatif. Des crédits substantiels seront dégagés pour que les associations investissent ou réinvestissent les quartiers et y jouent leur rôle d'éducation populaire. Lors des nombreux déplacements que j'ai pu faire avant et depuis le mois de janvier, j'ai pu constater que la réponse associative et celle de l'éducation populaire étaient parfois dramatiquement absentes dans les quartiers qui en avaient le plus besoin. Les crédits seront déployés dès 2015. Je rappelle que la politique de la ville a été amputée d'environ 100 millions d'euros dans une période précédente. Il faut renforcer la présence adulte pour accompagner le bon développement des enfants et des adolescents. Il faut que les jeunes aient accès à d'autres discours, à d'autres références que celles et ceux du marché débridé ou de la radicalisation religieuse.

Enfin, il faut lutter contre la banalisation du racisme et de l'antisémitisme. Cela implique de repenser en profondeur l'offre culturelle, sportive et citoyenne à destination des adolescents. Nous voulons favoriser l'émergence de lieux innovants en transformant les centres sociaux, les maisons des jeunes et de la culture (MJC), les maisons de quartiers, en « fabriques d'initiatives citoyennes ». Je souhaite que ces fabriques se déploient d'abord dans les quartiers de la politique de la ville afin d'essaimer sur tout le territoire, faisant en sorte que les quartiers prioritaires aient réellement la priorité. Je n'oublie pas non plus le secteur rural. Les jeunes doivent pouvoir se projeter et imaginer un avenir s'ils souhaitent y rester. Aujourd'hui, 20 % des jeunes vivent en secteur rural et ils n'ont pas forcément envie de rejoindre les grands centres urbains.

Aider la jeunesse en difficulté, c'est lui donner la chance de quitter parfois son quartier et de voir le monde. Trop de jeunes ne partent jamais en vacances. L'enfermement physique est aussi un enfermement mental. Il faut ouvrir l'horizon des enfants et des adolescents en leur proposant des colonies de vacances « nouvelle génération ». Nous leur faciliterons également l'accès aux dispositifs tels que Erasmus +, qui est porté par le ministère.

Notre troisième objectif est de mobiliser autour des valeurs républicaines et de susciter l'engagement. Outre le service civique, déjà bien connu de tous, nous souhaitons développer deux dispositifs de citoyenneté.

Avec la réserve citoyenne, annoncée par le Président de la République et précisée à l'occasion du comité interministériel, il s'agit de permettre à nos concitoyens de s'engager auprès des services publics. Une mission a été demandée en ce sens à M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, et à Claude Onesta, sélectionneur de l'Équipe de France de handball, soit deux profils très différents, qui seront complémentaires pour faire des propositions utiles en la matière.

Le programme « Citoyens du sport », vise à développer la pratique sportive encadrée et à faire du sport un vecteur de socialisation et d'apprentissage aux règles collectives et au respect de l'autre, avec des professionnels qui viendront accompagner les jeunes, notamment dans les quartiers prioritaires. Je laisse à Thierry Braillard le soin de s'exprimer sur ce sujet.

Je ne suis pas entré dans le détail de chacune de ces mesures. Je n'ai pas non plus balayé leur ensemble, mais vous avez là, mesdames, messieurs les députés, l'épine dorsale de ce comité interministériel, qui n'est pas un énième plan Marshall pour les banlieues, mais un projet de société.

Je laisse maintenant la parole à Thierry Braillard pour compléter mon intervention, s'agissant de la partie sportive de ce plan d'action.

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