Intervention de Meyer Habib

Séance en hémicycle du 2 avril 2015 à 15h00
Légitime défense des policiers — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMeyer Habib :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, légiférer sur la question de l’usage légal de la force, de la légitime défense dans une société démocratique, est toujours difficile et sensible.

La question de l’usage de la force armée et de l’encadrement par notre droit de la possibilité d’utiliser une arme, même par les dépositaires de l’autorité publique, revêt une importance capitale et met en question l’essence même de notre modèle politique. Elle a trait au fondement de notre pacte républicain, qui veut que la puissance publique dispose du monopole de la violence légitime. C’est l’expression d’un choix collectif, hérité de notre histoire et de notre conception de l’État.

S’il y a un contre-modèle, c’est bien le modèle américain. Aux États-Unis, la Constitution reconnaît le droit de porter des armes et d’en faire usage en légitime défense. Cette banalisation des armes à feu, défendue par de puissants lobbies, conduit hélas fréquemment à des excès, comme nous le rappellent trop souvent les cas de fusillades dans des lycées ou des universités. Nous ne voulons pas de ce modèle, et je crois que cette opinion est partagée sur l’ensemble des bancs de cette assemblée.

Avant tout, je tiens à saluer le travail extraordinaire des policiers, qui exercent avec courage, professionnalisme et disponibilité des missions essentielles et ô combien difficiles. Beaucoup d’entre eux risquent leur vie et s’exposent quotidiennement au danger. Au lendemain des événements tragiques du mois de janvier, au cours desquels trois policiers ont trouvé la mort, la représentation nationale se doit de leur rendre un hommage appuyé pour leur dévouement et leur professionnalisme.

Je tiens ici à rappeler quelques chiffres. Depuis 2004, ce sont 112 policiers qui ont perdu la vie en intervention. L’année 2014, marquée par le décès de quatre policiers, aura été la plus meurtrière depuis 2009. À ce lourd bilan s’ajoute celui des policiers blessés, soit plus de 5 800 en 2014, sans parler des chocs et des traumatismes psychologiques, qui conduisent parfois au suicide. On le sait, le suicide de policiers est un véritable fléau. Ces réalités, quand nous parlons de légitime défense des policiers, nous ne devons jamais les oublier.

Dans ce contexte, les policiers sont en droit d’attendre de la société qu’elle leur accorde un cadre protecteur digne de ce nom. Ils sont en droit d’attendre de la République qu’elle leur donne tous les moyens nécessaires pour se prémunir contre les risques auxquels ils sont quotidiennement exposés lors de leurs opérations. Les policiers interviennent souvent dans des conditions d’urgence et de tension extrêmes. Il est de notre devoir de leur fournir un cadre parfaitement clair, leur permettant de prendre les décisions qui s’imposent dans ces conditions très difficiles, pour concilier préservation de la vie d’autrui et protection des forces de l’ordre.

Pour permettre aux forces de l’ordre d’accomplir leurs missions avec toute la sérénité possible, il ne faut pas qu’elles soient systématiquement exposées à un risque juridique, en plus des risques encourus dans le cadre de leurs fonctions. Le tracé de cette frontière, entre les éventuelles atteintes à la vie que la force armée entraînera et les intérêts que son usage défendra, est souvent très difficile à établir. Comment encadrer l’usage de la force armée ? À quelles conditions peut-on estimer qu’un acte a été commandé par la nécessité de la légitime défense, en réaction à une atteinte injustifiée ? Nous devons prendre tout le temps nécessaire pour étudier ces questions essentielles.

Le présent texte propose de définir un cadre légal de protection pénale, en cas de recours à la force armée, dans le but de protéger au mieux les policiers dans leurs difficiles missions et de remédier à la différence de traitement entre policiers et gendarmes. Sur le principe, l’objectif est louable, puisqu’il s’agit de donner aux forces de police les moyens nécessaires à leur défense, eu égard aux situations exceptionnelles auxquelles elles peuvent parfois avoir à faire face.

Notre rapporteur Éric Ciotti part du constat suivant : les policiers sont soumis au droit commun et ne peuvent recourir à la force armée qu’en cas de légitime défense. Cette dernière suppose la réunion de trois conditions : la nécessité, la proportionnalité et la simultanéité entre l’atteinte et la riposte. Cette simultanéité est une condition restrictive. Elle ne permet pas la riposte préventive, à la différence de l’état de nécessité qui fait référence au danger imminent.

Les gendarmes, quant à eux, ne sont pas pénalement responsables s’ils font un usage de la force armée absolument nécessaire, après sommations. De fait, les policiers et les gendarmes, également confrontés à des situations exceptionnelles, sont inégaux dans leur usage de la force armée. Faut-il pour autant aligner le régime appliqué aux gendarmes sur celui des policiers ?

En premier lieu, si inégalité il y a, elle n’implique pas une impunité des gendarmes. Leur usage de la force armée n’est pas soumis au régime de droit commun, mais il n’en est pas moins strictement encadré. Cet usage, dans les hypothèses énumérées par le code de la défense, doit être « absolument nécessaire ». Par ailleurs, une circulaire du 2 février 2009 est venue renforcer les exigences liées à la nécessité absolue et à l’absence d’alternative à l’emploi des armes. En outre, le groupe UDI croit à l’importance du dualisme sur lequel est fondée l’organisation de nos forces publiques de sécurité. C’est sur ce dualisme que repose la société française, entre une force de police à statut civil et une force de police à statut militaire, soumise au devoir de réserve. La gendarmerie doit conserver cette spécificité au regard des caractéristiques propres à la mission qui est lui est dévolue.

En second lieu, nous observons que le texte mentionne les « personnes armées ». Bien que nous fassions, par principe, confiance au professionnalisme et au jugement des policiers, nous estimons que cette notion est trop imprécise. Cette disposition couvre-t-elle à la fois les armes par nature et par destination ? On peut craindre que ce champ très large ne nuise à l’exigence de proportionnalité qu’il est indispensable de respecter lorsque des vies sont en jeu.

Certes, cette proposition de loi ne va pas aussi loin que le texte qui a été débattu au Sénat et qui préconisait ni plus ni moins que d’instaurer une présomption de légitime défense. Néanmoins, nous parlons bien là d’un régime de quasi-irresponsabilité pénale, ce qui n’est pas anodin. Lorsqu’il s’agit de légiférer sur des questions aussi fondamentales qui touchent à notre sécurité, à nos droits et à nos libertés, nous devons éviter plusieurs écueils, en particulier celui qui consisterait à banaliser l’usage des armes à feu, alors que notre législation a su l’encadrer strictement.

Les actes de tir doivent rester confinés à des situations exceptionnelles extrêmes. L’équilibre est fragile, mais il est pourtant nécessaire, car c’est de lui que dépend le lien de confiance entre nos forces de sécurité et la population. Il faut donc des garanties nécessaires à l’alignement des conditions d’emploi des armes. À cette fin, une attention particulière doit être portée au maintien des moyens nécessaires, qui manquent cruellement actuellement, pour garantir un niveau élevé de formation des forces de police, notamment pour ce qui concerne le maniement des armes, la sensibilisation au droit pénal et les dimensions psychologiques en cause – stress et maîtrise de soi en situation de danger. C’est ainsi que nous pourrons améliorer la capacité des fonctionnaires à faire face aux réalités opérationnelles.

Mes chers collègues, le groupe UDI estime que nous devons prendre le temps nécessaire à l’établissement d’un juste équilibre entre la protection des forces de l’ordre et celle de nos concitoyens, et prévoir des garanties effectives à l’alignement des conditions d’emploi des armes, garanties qui semblent insuffisantes dans ce texte. Par conséquent, la majorité du groupe UDI s’abstiendra sur cette proposition de loi.

Je voudrais exprimer maintenant ma position personnelle. Affirmer que la reconnaissance d’un droit de légitime défense dûment défini est de nature à créer un équilibre fragile, une zone grise entre banalisation de l’utilisation des armes et légitime défense, est une précaution louable mais qui fait fi, à mon sens, de la réalité du terrain. La police française justifie déjà, aujourd’hui, d’un niveau de formation et d’entraînement exceptionnel, tant physiquement que dans l’analyse des situations, comme le prouvent les résultats aux concours de la police française en comparaison avec ses homologues internationaux. Il importe de préserver et de renforcer ce niveau dans une démarche d’amélioration continue. Si un cadre légal et réglementaire précis s’impose, je fais pleinement confiance, pour ma part, au jugement et au discernement des forces de police dans leur interprétation de la légitime défense qui doit être, par définition, immédiate.

Étant moi-même, hélas, menacé et protégé lors de tous mes déplacements, vivant en permanence, depuis près d’un an, avec des officiers de sécurité, je vois l’importance de se sentir en sécurité auprès de professionnels dévoués. Je tiens à cette occasion à les remercier pour leur disponibilité sans faille. Nous vivons aujourd’hui dans un monde où tout un chacun peut acheter des armes de guerre pour quelques centaines d’euros, même sur internet, et s’en servir dans l’unique but de tuer. Au-delà de leur présence, je suis rassuré de savoir que ces officiers peuvent légitiment utiliser leur arme s’ils le jugent nécessaire.

Les policiers ne disposent en général que d’armes de poing, alors que le grand banditisme et les djihadistes brandissent de plus en plus fréquemment des armes de guerre. Pensons là encore à ce malheureux policier tué lors de l’attaque de Charlie Hebdo. Jusqu’à quand un policier, un gardien de la paix devront-ils être agressés ou menacés pour riposter ? Jusqu’à quand devront-ils attendre que l’agresseur pointe son arme vers eux pour être légalement autorisés à se défendre ? N’avons-nous pas assez appris, ces derniers mois, l’importance qu’il y a pour un policier d’être armé et de pouvoir utiliser son arme ?

Je tiens à mon tour à rendre hommage à Clarissa Jean-Philippe, à Franck Brinsolaro et à Ahmed Merabet, nos policiers lâchement assassinés dans l’exercice de leurs fonctions en janvier dernier. Leur assassinat nous force à repenser notre système pénal. Nul doute que nos forces de l’ordre savent constater un danger imminent, à la fois pour leur personne et pour les citoyens qu’ils protègent. Le législateur doit aux garants de notre sécurité le droit d’exercer leur métier en toute sérénité. C’est pourquoi, pour ma part, je voterai pour cette proposition de loi, parce que j’ai confiance en eux.

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