Intervention de Thierry Frémaux

Réunion du 1er avril 2015 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes :

Mesdames, messieurs les députés, vous seriez impressionnés de monter les marches à Cannes. Nous le sommes de nous exprimer devant vous aujourd'hui et de répondre à vos questions très sérieuses, lesquelles rejoignent en grande partie celles que nous nous posons nous-mêmes.

Commençons par la concurrence. Le Festival de Cannes est né en 1939, en réaction à celui de Venise, mais sa première édition, qui devait être présidée par Louis Lumière, n'a pas eu lieu. Le Festival de Locarno a également été créé à cette période, juste après la guerre. À l'époque, le modèle, c'était une ville petite ou moyenne avec une pièce d'eau : une lagune, une mer, un lac. Aujourd'hui, ce sont des grandes villes qui accueillent des festivals : Toronto, Berlin, Tokyo ou encore Pusan, en Corée du Sud, qui est devenu le festival le plus important d'Asie. Ces villes disposent d'installations qui permettent d'accueillir du public, mais aussi d'une démographie qui contribue à entretenir et à développer la manifestation. Vous avez mentionné, madame Hobert, le Festival Lumière à Lyon. Notre expérience à Lyon est différente de celle que nous avons à Cannes : Lyon est une grande ville, et son festival doit, de fait, se développer en direction des publics.

J'en viens à la question de la démocratisation du Festival de Cannes. Il est vrai que c'est un festival pour les professionnels. Néanmoins, des milliers de billets d'entrée sont distribués chaque jour par la mairie, mais aussi par nos propres instances, à des spectateurs qui ne sont pas des professionnels et ne disposent pas d'accréditation. L'association Cannes Cinéphiles regroupe tous ceux qui, en France, souhaitent assister au festival. Je prends toujours grand soin d'aller leur présenter le programme, afin qu'ils puissent vivre le festival dans les meilleures conditions.

En outre, nous envisageons d'« essaimer » le festival dans les cinémas de la grande baie cannoise et de l'arrière-pays. L'idée est de profiter de la présence des équipes de films, en particulier des jeunes cinéastes, pour leur demander de présenter leurs oeuvres dans ces salles, comme cela se fait partout en France. Cela étant, son statut de plus grand festival du monde empêche parfois Cannes de se comporter « normalement », si je puis dire : les équipes cherchent à optimiser leur temps et à bénéficier d'une exposition médiatique et commerciale maximale. À l'heure où règnent les agents et les professionnels des relations publiques, il est de plus en plus difficile d'obtenir des créneaux dans les emplois du temps des réalisateurs et des vedettes pour qu'elles aillent à la rencontre du public. Il s'agit néanmoins d'un de nos projets d'avenir, qui vise à doter le festival d'une image d'ouverture vers le public sans renoncer en rien à la réputation d'exigence et de glamour qui est la sienne. Nous agissons d'ailleurs déjà dans ce sens : nous discutons régulièrement avec les lycéens des régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Île-de-France, avec lesquelles nous avons passé des accords.

On a le sentiment, avez-vous dit, monsieur Rogemont, que le tapis rouge est un peu sur-occupé. Pierre Lescure et moi allons prendre une mesure dès cette année : même si nous ne disposons pas de pouvoirs de police, nous allons faire en sorte de restreindre, sinon d'interdire la pratique horrible des selfies. Aujourd'hui, il n'y a plus une seule montée des marches sans que les gens s'auto-photographient ou s'auto-filment, et ces arrêts soudains sont source d'une formidable désorganisation.

D'une manière générale, nous tenons beaucoup à ce que Cannes devienne un festival toujours plus chaleureux, généreux et ouvert, tout en conservant l'image d'excellence et de rigueur qui fait sa marque.

Nous sommes tout à fait d'accord pour que le festival serve la cause des femmes, en particulier celle de leur présence dans le monde du cinéma – c'est peut-être même une de ses missions. Il y a trois ans, le festival a été stigmatisé assez violemment parce qu'aucun long métrage réalisé par une femme n'avait été retenu parmi les films en compétition, ce qui était en effet injuste. L'année suivante, pour la première fois, quatre femmes réalisatrices étaient présentes en compétition. Selon une étude de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), il y aurait 7 % de femmes parmi les réalisateurs de cinéma à l'échelle mondiale. Or, l'année dernière, 23 % des films de la sélection avaient été réalisés par des femmes.

De plus, nous respectons la parité chaque fois que nous le pouvons : le président mis à part, le jury des films en compétition est toujours composé de quatre hommes et de quatre femmes ; sur les quatre présidences de jury du festival, deux reviennent à des femmes. Ainsi, cette année, le jury des films en compétition étant présidé par les frères Coen et celui de la Cinéfondation et des courts métrages par Abderrahmane Sissako, les deux autres jurys – celui de la section « Un Certain Regard » et celui de la Caméra d'or – seront présidés par des femmes.

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