Intervention de Thierry Frémaux

Réunion du 1er avril 2015 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes :

Non, mais parmi les frères célèbres du cinéma, il y a les frères Wachowski, dont l'un est devenu une femme.

La FEMIS s'efforce, elle aussi, d'établir une stricte parité. Elle pourrait d'ailleurs le faire de manière réglementaire. Quant au festival, il n'est, dans ce domaine comme dans d'autres, que le reflet de l'état du cinéma : si une seule femme a reçu la Palme d'or en soixante-sept éditions, cela tient à une présence moins forte des femmes que des hommes parmi les réalisateurs. Et, s'il faut s'en prendre à quelqu'un, c'est au jury de chaque édition !

Nous accueillons bien volontiers l'ensemble des critiques et des questions qui nous sont adressées – y compris lorsqu'elles le sont de manière un peu désobligeante – concernant la parité ou le développement durable. Par exemple, on nous a reproché le gaspillage que représentait le changement du tapis rouge après chaque montée des marches. Pourtant, un restaurant change bien les nappes et les serviettes après chaque repas ! Il va de soi que les équipes et les spectateurs doivent fouler le tapis rouge dans les meilleures conditions possibles. Cela étant, le tapis est conçu en matière recyclable et il est réutilisé pour fabriquer des housses de fauteuils de cinéma. De la même manière, nous avons décidé de ne plus recourir au groupe électrogène qui fonctionnait pratiquement en permanence pendant les douze jours du festival afin qu'aucune projection de film ne soit jamais coupée. Conformément aux évolutions en cours, nous adoptons chaque fois que nous le pouvons des pratiques sérieuses et responsables en matière de développement durable.

Dans le cadre de la sélection, nous nous efforçons aussi de mettre en valeur un certain nombre de valeurs qui nous sont communes. Cependant, si l'on veut que Cannes reste Cannes, il y a des règles qu'on ne peut pas toujours observer. Ainsi, lorsque Léonardo DiCaprio, qui est très impliqué sur les questions environnementales, était venu présenter un film à ce sujet lors du festival, un journaliste lui avait demandé comment il était venu des États-Unis. « En train ! », avait-il répondu.

En ce qui concerne l'avenir, l'essentiel n'est pas d'arriver au sommet, mais de s'y maintenir. L'affirmer n'est pas faire injure à nos collègues de Venise, de Toronto, de Locarno ou de Berlin : ils sont convaincus, eux aussi, que Cannes est au sommet. Il existe d'ailleurs une très bonne entente entre l'ensemble des responsables des grands festivals internationaux de cinéma.

Le Festival de Venise se porte aujourd'hui un peu mieux – notamment grâce à son formidable directeur artistique, Alberto Barbera – après avoir connu ce qui a été perçu comme un déclin. Il a souffert d'une certaine désorganisation, y compris en matière budgétaire, à tel point qu'il n'a pas pu avoir lieu certaines années. Son mode de management était bien trop trépidant : en contraste avec la permanence dont j'ai parlé à propos de Cannes, le Festival de Venise changeait de président ou de directeur pratiquement tous les trois ans. Quant au Festival de Toronto, il s'agit d'une grande manifestation, mais d'une nature différente de celle de Cannes : c'est un festival pour le public et pour le continent nord-américain.

Pour en revenir à la question de la démocratisation, Cannes n'est en effet pas le festival des films qui marchent le mieux. Mais, ainsi que le disait le très regretté Daniel Toscan du Plantier : « Si on savait à l'avance qu'un film va marcher ou non, on ne produirait que les films qui marchent ! » Le festival a pour rôle de valoriser l'art cinématographique. Néanmoins, à un moment donné, il menaçait peut-être de tomber du côté où il penchait : celui d'un cinéma d'auteur trop ou exclusivement radical. Gilles Jacob en avait conscience lorsqu'il m'a appelé à ses côtés, et il a fallu notamment, je l'ai dit, faire revenir Hollywood.

Depuis une dizaine d'années, il y a une certaine coïncidence entre les films français sélectionnés à Cannes et ceux qui sont récompensés aux César. Ainsi, le cinéma qui rencontre le succès auprès des Français est celui qui a été consacré à Cannes plusieurs mois auparavant. Ce n'est pas le fruit du hasard : nous souhaitons que tous les cinémas aient leur place au festival, même si celui-ci doit continuer à s'adresser aux professionnels et à mettre en valeur les nouvelles formes visuelles et la création, y compris dans le domaine du numérique. On ne s'étonne plus aujourd'hui de voir des acteurs populaires fouler le tapis rouge : l'année dernière, Christian Clavier est venu avec Guy Verrechia, président de l'Union générale cinématographique (UGC), célébrer les 5 premiers millions de spectateurs de Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? ; de même, Dany Boon était présent il y a quelques années pour fêter le succès de Bienvenue chez les Ch'tis.

Nous aimons tous les cinémas. Pierre Lescure partage à cet égard la même conviction que moi, ce qui explique sans doute pourquoi sa nomination a rassuré les milieux professionnels. Nous avons sinon les mêmes goûts, du moins la même approche généreuse : nous tenons à mettre Cannes au service non pas d'un seul cinéma ou d'une seule vision du cinéma, mais de tous les cinémas.

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