Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 13 mai 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille, rapporteur pour avis :

La commission des Affaires culturelles et de l'éducation s'est saisie pour avis de l'article 20 du projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, dont le principal objet, traduisant la volonté du Gouvernement de trouver une solution pérenne aux crises récurrentes dans le spectacle vivant, est de conférer une base législative au régime particulier d'indemnisation au titre de l'assurance chômage des intermittents du spectacle.

Ce régime particulier, justifié par la discontinuité spécifique de l'emploi des artistes et des professionnels de la création dans le spectacle vivant ou enregistré, structuré selon une économie de projets, trouve sa traduction dans l'existence des annexes VIII et X à la convention d'assurance chômage, existence reconduite à chaque négociation entre partenaires sociaux interprofessionnels. Mais la précarité juridique de ces annexes, qu'il serait, en droit, possible de remettre en cause – une tension naît d'ailleurs à ce sujet lors de chaque renégociation – ne crée pas les conditions propices à apaiser les inquiétudes des professionnels concernés. De cette situation découle la nécessité de pérenniser dans la loi des règles spécifiquement applicables aux intermittents, tout en restant dans le cadre de la solidarité interprofessionnelle.

Ce point constituait l'une des principales préconisations contenues dans le rapport que Mme Hortense Archambault, M. Jean-Denis Combrexelle et moi-même avons remis le 7 janvier dernier au Premier ministre. La mission de concertation qui nous avait été confiée avait esquissé un scénario de sortie de crise de nature à « bâtir un cadre stabilisé et sécurisé pour les intermittents du spectacle », en s'appuyant avant tout sur la responsabilisation des acteurs de la profession.

Je ne rappellerai pas dans le détail le contexte du conflit dans lequel s'inscrivait cette mission, car vous le connaissez tous parfaitement. Je concentrerai mon propos sur le contenu de l'article 20, qui met en place des mécanismes assez largement inédits et qui reprend certaines des préconisations de la mission de concertation, en s'en éloignant parfois néanmoins, je vais y revenir.

Quatre points structurent cet article. Le premier est relatif à la consécration législative de l'existence de règles spécifiques pour l'indemnisation chômage des intermittents.

La mission de concertation avait préconisé de consacrer dans la loi l'existence même d'un régime spécifique d'indemnisation du chômage adapté aux métiers de spectacle afin d'apaiser les discussions et de donner un cadre clair aux parties prenantes, tout en maintenant ce régime dans la solidarité interprofessionnelle. C'est ce que fait l'article 20 du projet de loi.

Cette sanctuarisation ne vaut cependant pas acceptation des optimisations excessives du recours à l'intermittence dans certains secteurs professionnels. Il est en conséquence prévu une obligation de réexamen des listes des emplois pouvant être pourvus en contrat à durée déterminée d'usage (CDDU) – cela fera l'objet du quatrième point.

L'article 20 comporte un deuxième point essentiel : la mise en place d'une forme de délégation de négociation du niveau interprofessionnel vers le niveau professionnel. Cette délégation est toutefois encadrée.

La mission de concertation avait plaidé pour un renouvellement des méthodes de dialogue entre les niveaux professionnel et interprofessionnel. Elle avait en particulier insisté sur la nécessité que le niveau interprofessionnel consulte le niveau professionnel avant toute négociation sur l'assurance chômage afin qu'une situation analogue à celle qui avait prévalu lors de la dernière négociation ne puisse se reproduire. La consultation du niveau professionnel constituait pour nous un élément essentiel, car l'analyse des crises montre qu'elles ont systématiquement pour origine des décisions que l'interprofession prend pour le secteur professionnel, sans que celui-ci ait voix au chapitre : il se retourne alors vers l'État qui ne peut qu'affirmer qu'il n'y est pour rien. À défaut de remettre à plat ce jeu à trois, nous diagnostiquions un retour systématique des crises. Pour sortir de ce triangle infernal, il nous apparaissait indispensable d'assurer la reconnaissance du niveau professionnel, toute la difficulté consistant à articuler les deux niveaux de négociation en respectant la légitimité ultime du niveau interprofessionnel.

Sur ce sujet, l'article 20 du projet de loi va finalement plus loin que nos préconisations, puisqu'il met en place un mécanisme de délégation de négociation du niveau interprofessionnel au niveau professionnel, accompagné d'un encadrement par le niveau interprofessionnel et d'un principe de reprise obligatoire par l'interprofession de tout accord professionnel respectant les orientations fixées préalablement par la négociation interprofessionnelle.

Comment les choses se dérouleront-elles en pratique ? L'interprofession – c'est-à-dire les cinq confédérations syndicales et les organisations patronales – devra d'abord établir un document de cadrage fixant les objectifs de la négociation par les professionnels et comprenant deux éléments : une « trajectoire financière » et des « principes applicables à l'ensemble des bénéficiaires du régime d'assurance chômage ». Pour être repris par le niveau interprofessionnel, le futur accord devra nécessairement respecter ces éléments. La négociation se tiendra ensuite au niveau professionnel, et deux cas de figure pourront se présenter. Si un accord est trouvé qui respecte les délais fixés par l'interprofession et les orientations du document de cadrage, l'interprofession n'aura pas d'autre choix que de le reprendre dans la convention d'assurance chômage – c'est la raison pour laquelle j'ai évoqué une « délégation » de l'accord. Si aucun accord n'est trouvé ou si un accord ne respecte pas les conditions fixées, il reviendra alors à l'interprofession de négocier : on retournera en quelque sorte au droit commun de la négociation.

J'appelle votre attention sur un troisième point auquel je souhaite apporter quelques modifications. Il s'agit de la pérennisation du comité d'experts, que nous avions créé dans le cadre de la mission de concertation, chargé d'apporter un soutien aux négociateurs du niveau professionnel.

Lors de la mission de concertation, il est très vite apparu nécessaire, pour remettre tous les acteurs autour d'une même table de négociation, d'organiser une expertise partagée, transparente et consensuelle sur la méthode, fondée sur l'élaboration d'un outil de simulation des modifications des règles fixées par les annexes VIII et X. Un groupe d'experts a été mis en place, composé des principaux organismes et services disposant d'une expertise statistique dans le domaine – Unédic, Pôle emploi, Audiens, les services des études et des statistiques des ministères de la culture et du travail –, ainsi que de deux personnalités qualifiées, le sociologue Mathieu Grégoire et l'économiste Jean-Paul Guillot. Tout au long des travaux de la mission, ce groupe indépendant a produit des analyses – qui figurent en annexe du rapport de la mission de concertation. Ces analyses n'ont pas été contestées par les différents participants et ont servi de base à leurs discussions. Cette expérience réussie a montré que du croisement des données émanant de divers opérateurs pouvaient naître une meilleure connaissance des réalités de terrain et une approche plus fine des chiffrages des mesures envisagées. À partir de dix mille cas réels, ce groupe d'experts a mis en place une modélisation du régime permettant de simuler tout changement d'un paramètre et d'évaluer les effets croisés ou cumulés de modifications de plusieurs d'entre eux, ce qui constitue une indéniable avancée – même si des discussions ont toujours lieu sur la mesure des effets de comportement.

Je me félicite que l'article 20 reprenne en partie notre idée, puisqu'il crée un comité d'expertise, composé de représentants des services de l'État, de Pôle emploi, de l'Unédic, ainsi que de personnalités qualifiées désignées par l'État et les partenaires sociaux aux niveaux professionnel et interprofessionnel. Deux types de missions lui sont confiés.

La principale, à mes yeux, est celle d'appui technique aux organisations patronales et salariales, notamment celles du secteur professionnel. Jusqu'à ce jour, non seulement ces dernières n'étaient pas consultées, mais elles devaient aussi s'en remettre aux seules expertises de l'Unédic. Ce comité sera chargé d'expertiser et de chiffrer les différentes propositions soumises au cours des négociations.

Selon la rédaction du projet de loi, la mission de ce comité consisterait, en deuxième lieu, à rendre un avis sur le respect, par l'accord conclu au niveau professionnel, des orientations du document de cadrage préalablement établi par l'interprofession. De mon point de vue, le comité doit avant tout être un groupe d'appui pour le secteur professionnel et lui permettre de se doter d'une expertise. J'avoue être moins enthousiaste en ce qui concerne son second rôle : il faudrait à mon sens modérer le texte sur ce point ; nous en débattrons.

Un quatrième point structure enfin l'article 20 : la redéfinition des listes d'emplois ouvrant droit au recours au contrat à durée déterminée d'usage (CDDU). L'article 20 du projet de loi prévoit l'obligation d'un réexamen, d'ici au 31 janvier 2016, de la liste des emplois pouvant être pourvus par la conclusion de CDDU. Cette disposition reprend, une nouvelle fois, l'une des préconisations de la mission de concertation, laquelle avait estimé qu'un toilettage des listes des métiers ouvrant droit au recours aux CDDU figurait parmi les mesures à prendre pour réguler l'usage de ce type de contrats et bâtir une politique de l'emploi dans le spectacle vivant et enregistré. Pour autant – et je souhaite insister sur ce point –, il ne faut pas que cette disposition soit, à tort, interprétée comme une autorisation de recruter en CDDU tous les personnels occupant un emploi figurant sur ces listes, alors qu'un tel recrutement doit avant tout répondre aux critères du recours au contrat à durée déterminée (CDD) et que les employeurs doivent être incités à recruter en priorité en contrat à durée indéterminée (CDI). Si les chauffeurs figurent par exemple parmi les emplois susceptibles d'être pourvus en CDDU, cela ne doit concerner que ceux qui travaillent ponctuellement sur une tournée, dont l'embauche relève du régime du CDD, et pas le chauffeur permanent de telle vedette ou celui de telle société de production, qui doivent signer des CDI.

Je vous présenterai un certain nombre d'amendements dont l'objet est, en premier lieu, de préciser certains points de la procédure de négociation en deux temps, qui pouvaient prêter à confusion et, en second lieu, de repositionner le comité d'expertise. Il s'agit de faire de l'appui aux négociations pour le niveau professionnel sa mission principale. Je propose donc de supprimer la faculté pour l'interprofession de désigner certaines des personnalités qualifiées qui composeront le comité et de retirer à ce dernier la possibilité d'émettre des « avis » qui l'amèneraient d'une certaine façon à sanctionner le travail d'autres instances. Il me semblerait plus conforme à son rôle d'expert qu'il travaille à des « évaluations ».

Sous réserve de l'adoption de ces amendements et peut-être aussi de certains de ceux qui nous sont proposés par nos collègues ce matin, je vous invite à vous prononcer favorablement sur l'article 20 qui consacre l'existence même du régime des intermittents, lui reconnaissant toute la légitimité de sa spécificité, tout en le maintenant dans la solidarité interprofessionnelle, ce qui est essentiel.

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