Intervention de Yves Durand

Réunion du 13 mai 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Durand, rapporteur :

Ce projet de loi a pour objet principal d'organiser la gouvernance de la nouvelle université des Antilles, née de la scission du pôle guyanais, à la suite des mouvements de grève de l'automne 2013, avec l'ancienne université des Antilles et de la Guyane.

Ainsi que mon prédécesseur Christophe Premat l'avait clairement exposé en première lecture, cette université, créée en 1982 par la réunion d'unités et de centres d'enseignement supérieur dont certains étaient implantés dans ces régions depuis fort longtemps, subit de longue date de fortes tensions, nourries par les rivalités historiques que chacun connaît, par des stratégies d'affirmation territoriale parfois contradictoires et par des besoins locaux souvent divergents.

Or, dans le même temps, elle est confrontée à de redoutables défis : la concurrence des établissements métropolitains, qui attirent beaucoup plus d'étudiants que les établissements « locaux », et le taux de chômage des moins de vingt-cinq ans, qui atteint des proportions effrayantes dans cette partie de notre territoire – 60 % en Guadeloupe et 70 % en Martinique –, d'où la nécessité d'une formation très efficace, en particulier dans l'enseignement supérieur.

Notre conviction unanime, qui s'est exprimée lors du débat en première lecture, est la suivante : les Antilles ont besoin d'une université unie et forte, forte parce qu'unie, qui seule peut disposer de la masse critique suffisante pour attirer les meilleurs étudiants et enseignants-chercheurs et nouer des partenariats indispensables dans les zones caraïbe et américaine qui l'entourent.

L'histoire mérite d'être brièvement rappelée, car elle est assez complexe et explique la décision que je vous demanderai de prendre.

Dès le premier semestre 2014, le Gouvernement s'est attaché à traiter le traumatisme causé par le retrait du pôle guyanais de l'ensemble composé par les Antilles et la Guyane en définissant, en étroite négociation avec les acteurs locaux, une gouvernance équilibrée, dotant chacun des deux pôles guadeloupéen et martiniquais d'une forte autonomie, susceptible d'apaiser les tensions qui les opposent, tout en préservant une direction centrale forte, capable de conduire une stratégie universitaire ambitieuse.

Il y a là – c'est tout l'objet du projet de loi – une forme de contradiction entre deux exigences : d'une part, le respect d'un certain degré d'autonomie confié à des pôles qui demeurent différents, en particulier du point de vue géographique ; d'autre part, la préservation d'une unité indispensable à la création de la dynamique universitaire que la situation exige.

L'ordonnance du 17 juillet 2014, dont le projet de loi sollicite la ratification, s'appuie ainsi sur deux piliers. Premièrement, elle accorde aux conseils de ces pôles des compétences propres et, par cohérence, confie à chaque vice-président de pôle la mission d'animer et d'exécuter leurs travaux, ainsi que la qualité d'ordonnateur des recettes et dépenses et d'autorité de gestion des personnels concernés. Il s'agit en somme de satisfaire la première exigence en reconnaissant la diversité des pôles. Deuxièmement, au nom de l'unité, qui fera la force de l'université, l'ordonnance conserve à l'échelon central les prérogatives les plus importantes.

Seules deux dispositions dérogent au droit commun.

D'abord, l'ordonnance a introduit un élément de souplesse et de dialogue dans la répartition des moyens entre les pôles. Lors du débat en première lecture, l'Assemblée nationale a en effet choisi, contre un amendement du Gouvernement, de conserver le texte initial, plus souple, donc plus évolutif, et plus respectueux de la logique d'autonomie de l'université et de ses pôles. Dans cet esprit favorable au consensus entre les acteurs locaux, ces derniers sont d'ailleurs parvenus, il y a quelques semaines, à un accord sur la répartition des moyens en 2015, assorti d'une très légère augmentation des dotations accordées par l'État à la nouvelle université.

La seconde exception concerne le point sans doute le plus débattu : l'alternance à la présidence de personnalités issues de chacun des deux pôles. La tradition veut en effet depuis 1982 que Guadeloupéens et Martiniquais se relayent pour exercer cette fonction. La rupture avec cette coutume, en 2010, a d'ailleurs sans doute largement contribué à aggraver les tensions au sein de l'université. Cependant, le principe constitutionnel de liberté des suffrages ne permettait pas d'imposer directement cette règle. L'ordonnance a dès lors emprunté une autre voie, en interdisant le renouvellement du mandat du président, et en portant sa durée à cinq ans pour lui permettre de mener des projets à moyen terme.

En première lecture, le Sénat a modifié le texte de l'ordonnance, notamment pour préciser la répartition des services entre les pôles et l'université et pour rapprocher du droit commun la composition du conseil d'administration. L'Assemblée nationale a souscrit à l'ensemble de ces dispositions, à l'exception d'une innovation fondamentale qui a contraint la commission mixte paritaire, réunie au Sénat, à constater son échec. En effet, le Sénat a altéré l'équilibre de la nouvelle gouvernance en liant l'élection des vice-présidents de pôles, aujourd'hui désignés par chacun des conseils de pôles, à celle du président de l'université. Il s'agit du fameux « ticket », qui est soumis au vote du seul conseil d'administration.

Je comprends la logique de cette disposition qui s'inspire des objectifs de la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (ESR) qui incite au regroupement des universités pour leur donner plus de poids. Soucieuse de favoriser la cohérence de l'action des dirigeants, cette idée risquait cependant de porter atteinte à l'unité de l'université des Antilles en raison des tensions très fortes qu'elle pouvait créer. Elle a dès lors rencontré une vive opposition sur le terrain, en rompant avec l'accord unanime recueilli sur l'ordonnance par le Gouvernement à l'été 2014, et en étant interprétée comme un signe de défiance à l'égard de l'autonomie des pôles, garante de la bonne marche de cette université – même si cela peut paraître contradictoire.

Elle fait en effet courir le risque qu'un vice-président puisse être élu dans un « ticket » par le conseil d'administration sans jouir de la confiance du conseil de pôle auquel il appartient. Or, il est inutile de prendre un tel risque de tensions entre les deux composantes du pôle pour garantir la cohérence de l'université, puisque les décisions essentielles que sont la stratégie de l'établissement, les budgets ou la répartition des moyens entre les pôles continuent, conformément au droit commun, de relever du conseil d'administration de l'université, qui conserve ainsi toutes les clefs de l'unité. La reconnaissance de la diversité et de l'existence de deux pôles au sein de l'université ne nuit pas à la force de celle-ci puisque son conseil d'administration conserve les prérogatives les plus importantes.

Ce projet de loi entend donner la force de l'unité en reconnaissant la diversité afin de se prémunir contre les tensions. Je reconnais la difficulté de l'exercice auquel je vous invite, mais, un accord ayant été conclu, il est de notre devoir de donner à cette université toutes les chances de prendre son destin en main.

C'est pourquoi l'Assemblée nationale a choisi, le 19 février, d'en revenir à la solution initiale retenue dans l'ordonnance de 2014. Je vous invite donc à adopter en nouvelle lecture le projet de loi voté par l'Assemblée, sous réserve de quelques modifications strictement rédactionnelles, et à rejeter en conséquence les deux amendements visant à réintroduire le « ticket », avant que le Gouvernement ne nous demande, si les deux chambres persistent dans leurs positions respectives, à trancher définitivement.

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