Intervention de Olivier Marleix

Réunion du 3 juin 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix, rapporteur :

Ce texte, dont notre Commission est aujourd'hui saisie en première lecture, a été adopté par le Sénat le 10 mars 2015.

On dénombre actuellement, en France, 98 000 cas connus d'enfants en danger, dont 19 000 sont victimes de maltraitance et 79 000 se trouvent dans des situations à risque. Pour autant, alors même que ces chiffres sont préoccupants, il semblerait, comme cela m'a été indiqué, dans le cadre des auditions, par la Haute Autorité de santé (HAS), qu'ils soient aujourd'hui largement sous-évalués, notamment dans le cas des affaires intrafamiliales. Les scandales d'abus sexuels sur mineurs qui ont bouleversé l'opinion publique britannique depuis deux ans doivent nous alerter sur ces situations non détectées. Ce véritable problème de société ne concerne toutefois pas que les seuls enfants et touche également des femmes ainsi que des personnes vulnérables, handicapées ou âgées.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, déposée au Sénat par notre collègue Mme Colette Giudicelli, cherche à renforcer l'efficacité du dispositif de détection et de prise en charge des situations de maltraitance en étendant la procédure de signalement de telles situations à l'ensemble des professionnels et auxiliaires médicaux, tout en les protégeant, dans ce cas, contre l'engagement de leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire.

Actuellement, l'article 226-14 du code pénal prévoit que les sanctions applicables à la violation du secret professionnel ne sont pas encourues par plusieurs catégories de personnes et notamment par le médecin qui porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations – physiques ou psychiques – qu'il a constatés dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises.

Or, cette procédure de signalement reste aujourd'hui trop peu connue et trop peu utilisée par les médecins. En effet, seuls 5 % des signalements d'enfants en danger – chiffre inquiétant – sont effectués par le secteur médical, et 1 % seulement par les médecins libéraux en particulier. Parmi les raisons fréquemment invoquées, figurent notamment le manque de sensibilisation et de formation des professions médicales à la reconnaissance des situations de maltraitance, ainsi que leur crainte de la procédure ou des conséquences d'un signalement demeuré sans suite. Les médecins redoutent également de commettre une erreur, de manquer à leur devoir de loyauté envers leur patient et d'être à l'origine de la rupture du lien de confiance avec la famille. Pour répondre à ces craintes, en octobre 2014, la HAS a élaboré à l'attention des médecins une fiche intitulée « Maltraitance chez l'enfant : repérage et conduite à tenir », qui donne des outils de diagnostic et détaille la procédure de signalement des cas de maltraitance. Il convient de saluer cette belle initiative.

Pour remédier à cette situation dont personne – à gauche comme à droite – ne peut raisonnablement se satisfaire, une intervention du législateur semble pleinement justifiée. Tel est l'objet de la présente proposition de loi, sur laquelle nous pouvons – j'en suis convaincu – tous nous retrouver. Lors de l'examen du texte, le Sénat a d'ailleurs pris soin de le réécrire intégralement, afin d'en assurer la sécurité juridique et l'applicabilité immédiate, ce dont je ne peux, en ma qualité de rapporteur, que me réjouir.

L'article 1er de la proposition de loi étend la procédure de signalement à l'ensemble des professionnels de santé et auxiliaires médicaux, susceptibles d'intervenir auprès des personnes potentiellement victimes de maltraitances, les enfants en particulier. Ainsi, seront désormais couverts par l'immunité non seulement les médecins, mais également les sages-femmes ou les infirmières – notamment scolaires, qui jouent d'ores et déjà un grand rôle dans ce dépistage –, ainsi que les garde-malades, les aides-soignants et les aides médicaux, ce qui représente un progrès indéniable.

L'article 1er réaffirme également sans ambiguïté le principe de l'irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire des professionnels de santé auteurs de signalement. Actuellement, les médecins qui signalent une situation de maltraitance dans le respect de la procédure prévue à l'article 226-14 du code pénal n'encourent aucune poursuite pénale, civile ou disciplinaire. Cependant le cadre juridique en vigueur manque de lisibilité, sa compréhension nécessitant une lecture combinée de plusieurs textes et une connaissance approfondie de l'articulation entre les différents types de responsabilités, en partie jurisprudentielle. L'article 226-14 n'évoque actuellement que l'absence de responsabilité disciplinaire ; le texte propose de l'améliorer en indiquant clairement qu'il exempte de responsabilité pénale, civile et disciplinaire.

Enfin, ce même article aménage la possibilité pour les auteurs de signalements de s'adresser directement à la cellule départementale de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP). Il ressort de mes auditions que si les médecins hésitent parfois à s'engager en sollicitant directement l'autorité judiciaire – en l'espèce le procureur de la République –, ils sont, en revanche, beaucoup plus enclins à faire appel à la CRIP lorsqu'ils ont de simples doutes sur une situation. La possibilité qui leur est offerte de s'y adresser permettra à cette structure de proposer des solutions adaptées dans le cadre de la protection de l'enfance.

L'article 2 de la proposition de loi instaure pour sa part une obligation de formation des médecins et des professionnels de santé à la détection et au signalement des situations de maltraitance, qui existe déjà pour l'ordre professionnel des sages-femmes. En effet, le principal défaut du système actuel réside dans l'absence de formation à l'identification de ces situations et dans la méconnaissance de la procédure de signalement mise à la disposition des professionnels. Or le signalement constitue un devoir déontologique et il doit être conçu comme un soin à part entière, enseigné dans les universités de médecine. Dans cette perspective, le Sénat a complété, à bon droit, la présente proposition de loi par cette disposition.

L'économie générale de ce texte qui concerne un sujet qui nous touche et nous préoccupe tous me semble équilibrée et consensuelle. Je vous invite donc à un vote conforme qui permettra à cette proposition de loi d'entrer en vigueur le plus rapidement possible, au bénéfice des personnes aujourd'hui victimes de maltraitance dans notre pays.

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