Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du 3 juin 2015 à 10h00

Résumé de la réunion

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  • médecin
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La réunion

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La séance est ouverte à 10 heures 10.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission examine, sur le rapport de M. Olivier Marleix, la proposition de loi tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé (n° 2623 rect.).

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Nous débattrons aujourd'hui de plusieurs propositions de loi qui seront examinées en séance la semaine prochaine, dans le cadre de la journée réservée à l'ordre du jour proposé par le groupe Les Républicains. Nous commencerons par le texte qui vise à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé dont Olivier Marleix est le rapporteur.

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Ce texte, dont notre Commission est aujourd'hui saisie en première lecture, a été adopté par le Sénat le 10 mars 2015.

On dénombre actuellement, en France, 98 000 cas connus d'enfants en danger, dont 19 000 sont victimes de maltraitance et 79 000 se trouvent dans des situations à risque. Pour autant, alors même que ces chiffres sont préoccupants, il semblerait, comme cela m'a été indiqué, dans le cadre des auditions, par la Haute Autorité de santé (HAS), qu'ils soient aujourd'hui largement sous-évalués, notamment dans le cas des affaires intrafamiliales. Les scandales d'abus sexuels sur mineurs qui ont bouleversé l'opinion publique britannique depuis deux ans doivent nous alerter sur ces situations non détectées. Ce véritable problème de société ne concerne toutefois pas que les seuls enfants et touche également des femmes ainsi que des personnes vulnérables, handicapées ou âgées.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, déposée au Sénat par notre collègue Mme Colette Giudicelli, cherche à renforcer l'efficacité du dispositif de détection et de prise en charge des situations de maltraitance en étendant la procédure de signalement de telles situations à l'ensemble des professionnels et auxiliaires médicaux, tout en les protégeant, dans ce cas, contre l'engagement de leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire.

Actuellement, l'article 226-14 du code pénal prévoit que les sanctions applicables à la violation du secret professionnel ne sont pas encourues par plusieurs catégories de personnes et notamment par le médecin qui porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations – physiques ou psychiques – qu'il a constatés dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises.

Or, cette procédure de signalement reste aujourd'hui trop peu connue et trop peu utilisée par les médecins. En effet, seuls 5 % des signalements d'enfants en danger – chiffre inquiétant – sont effectués par le secteur médical, et 1 % seulement par les médecins libéraux en particulier. Parmi les raisons fréquemment invoquées, figurent notamment le manque de sensibilisation et de formation des professions médicales à la reconnaissance des situations de maltraitance, ainsi que leur crainte de la procédure ou des conséquences d'un signalement demeuré sans suite. Les médecins redoutent également de commettre une erreur, de manquer à leur devoir de loyauté envers leur patient et d'être à l'origine de la rupture du lien de confiance avec la famille. Pour répondre à ces craintes, en octobre 2014, la HAS a élaboré à l'attention des médecins une fiche intitulée « Maltraitance chez l'enfant : repérage et conduite à tenir », qui donne des outils de diagnostic et détaille la procédure de signalement des cas de maltraitance. Il convient de saluer cette belle initiative.

Pour remédier à cette situation dont personne – à gauche comme à droite – ne peut raisonnablement se satisfaire, une intervention du législateur semble pleinement justifiée. Tel est l'objet de la présente proposition de loi, sur laquelle nous pouvons – j'en suis convaincu – tous nous retrouver. Lors de l'examen du texte, le Sénat a d'ailleurs pris soin de le réécrire intégralement, afin d'en assurer la sécurité juridique et l'applicabilité immédiate, ce dont je ne peux, en ma qualité de rapporteur, que me réjouir.

L'article 1er de la proposition de loi étend la procédure de signalement à l'ensemble des professionnels de santé et auxiliaires médicaux, susceptibles d'intervenir auprès des personnes potentiellement victimes de maltraitances, les enfants en particulier. Ainsi, seront désormais couverts par l'immunité non seulement les médecins, mais également les sages-femmes ou les infirmières – notamment scolaires, qui jouent d'ores et déjà un grand rôle dans ce dépistage –, ainsi que les garde-malades, les aides-soignants et les aides médicaux, ce qui représente un progrès indéniable.

L'article 1er réaffirme également sans ambiguïté le principe de l'irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire des professionnels de santé auteurs de signalement. Actuellement, les médecins qui signalent une situation de maltraitance dans le respect de la procédure prévue à l'article 226-14 du code pénal n'encourent aucune poursuite pénale, civile ou disciplinaire. Cependant le cadre juridique en vigueur manque de lisibilité, sa compréhension nécessitant une lecture combinée de plusieurs textes et une connaissance approfondie de l'articulation entre les différents types de responsabilités, en partie jurisprudentielle. L'article 226-14 n'évoque actuellement que l'absence de responsabilité disciplinaire ; le texte propose de l'améliorer en indiquant clairement qu'il exempte de responsabilité pénale, civile et disciplinaire.

Enfin, ce même article aménage la possibilité pour les auteurs de signalements de s'adresser directement à la cellule départementale de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP). Il ressort de mes auditions que si les médecins hésitent parfois à s'engager en sollicitant directement l'autorité judiciaire – en l'espèce le procureur de la République –, ils sont, en revanche, beaucoup plus enclins à faire appel à la CRIP lorsqu'ils ont de simples doutes sur une situation. La possibilité qui leur est offerte de s'y adresser permettra à cette structure de proposer des solutions adaptées dans le cadre de la protection de l'enfance.

L'article 2 de la proposition de loi instaure pour sa part une obligation de formation des médecins et des professionnels de santé à la détection et au signalement des situations de maltraitance, qui existe déjà pour l'ordre professionnel des sages-femmes. En effet, le principal défaut du système actuel réside dans l'absence de formation à l'identification de ces situations et dans la méconnaissance de la procédure de signalement mise à la disposition des professionnels. Or le signalement constitue un devoir déontologique et il doit être conçu comme un soin à part entière, enseigné dans les universités de médecine. Dans cette perspective, le Sénat a complété, à bon droit, la présente proposition de loi par cette disposition.

L'économie générale de ce texte qui concerne un sujet qui nous touche et nous préoccupe tous me semble équilibrée et consensuelle. Je vous invite donc à un vote conforme qui permettra à cette proposition de loi d'entrer en vigueur le plus rapidement possible, au bénéfice des personnes aujourd'hui victimes de maltraitance dans notre pays.

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Le groupe Socialiste, républicain et citoyen partage l'objectif de cette proposition de loi qui a fait l'objet d'un consensus au Sénat : mieux protéger les enfants en permettant l'intervention la plus précoce et la plus efficace possible. Les chiffres du rapport sénatorial que vous avez cités, monsieur le rapporteur, donnent le vertige : dans notre pays riche et développé, un enfant sur dix serait victime de maltraitance. Toutes les enquêtes démontrent que celle-ci est protéiforme et touche toutes les catégories sociales sans exception. Il faut donc la détecter le plus tôt possible, notamment lorsque les victimes ne parlent pas – les formes les plus sournoises de la maltraitance étant celles qui ont les conséquences les plus dramatiques sur l'avenir des enfants et la construction de leur personnalité d'adultes. Les professionnels de santé sont les premiers à pouvoir les détecter et les signaler. Or force est de constater que trop peu de médecins et de membres des professions médicales le font : 5 % seulement des signalements sont effectués par des médecins – 4 % par des médecins hospitaliers et 1 % par leurs homologues libéraux. On peut débattre des causes de cette réalité, mais nous partageons le constat de l'insuffisance du dispositif aujourd'hui en place et la conviction qu'il s'agit d'un véritable problème.

De nombreux textes encadrent cette question, mais se révèlent incomplets. Notre groupe croit aux vertus du travail pluridisciplinaire pour rassurer le médecin libéral – trop isolé et mal formé. Entre dénoncer – en prenant le risque de se tromper et peut-être d'être poursuivi – et choisir de se taire, le texte propose une voie médiane qui consiste à partager une préoccupation avec d'autres professionnels qui évalueront collectivement la situation et les risques qu'elle présente.

La loi de 2007 donne déjà un cadre légal au partage d'informations entre professionnels ; mais les membres des professions médicales, peu et mal formés, méconnaissent les procédures existantes. Le but étant de ne pas décourager les initiatives, l'apport essentiel de ce texte est d'affirmer clairement dans le code pénal le principe d'irresponsabilité pénale, civile et disciplinaire des professionnels de santé qui effectuent un signalement, sauf si l'on prouve leur mauvaise foi – un véritable renversement de la charge de la preuve. L'objectif est clair : inciter les médecins et les professionnels de santé à plus et mieux signaler sans leur faire prendre le moindre risque. Cette immunité générale sera élargie à l'ensemble des membres des professions médicales et aux auxiliaires médicaux, qui pourront choisir entre deux voies : pour les cas les plus graves, la saisine directe du procureur de la République, et pour tous les autres dossiers, celle de la CRIP. La voie pénale n'est donc désormais plus la seule.

L'idée d'introduire dans le texte une obligation de signalement, initialement prévue, a été abandonnée. Difficile à mettre en oeuvre – d'autant que le texte ne prévoyait aucune sanction –, elle risquait d'avoir un effet contreproductif.

Enfin, il aurait été logique d'insérer ces dispositions, par voie d'amendement, dans la proposition de loi relative à la protection de l'enfant, récemment débattue ; cela nous aurait fait gagner du temps. Malgré cette remarque, le groupe Socialiste, républicain et citoyen votera ce texte.

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Globalement favorable à l'économie générale de ce texte, je voudrais attirer votre attention sur le fait que certaines maltraitances ont des conséquences pathologiques ; ce sont donc les médecins qui sont les mieux à même d'en détecter la nature et la forme. Mais les chiffres cités montrent que les médecins ne disposent peut-être pas de suffisamment de moyens pour déceler ces cas ; étendre la procédure de signalement aux auxiliaires de santé me semble donc salutaire.

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En matière de maltraitance, il reste beaucoup de chemin à parcourir. Si ce texte constitue une avancée, il ne résout pas pour autant toutes les difficultés que rencontrent les présidents d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les maires. Le suivi du signalement fait souvent l'objet d'un laisser-aller, voire d'une omerta, tant de la part du procureur de la République que du médecin, de la gendarmerie ou des services du conseil départemental. Je salue cette proposition de loi, mais il faudra aller au-delà pour bien circonscrire le sujet.

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Madame Capdevielle, le Gouvernement n'a pas souhaité intégrer ces dispositions, par voie d'amendement, dans la proposition de loi « Meunier-Dini » que nous avons examinée récemment. Je partage votre réflexion : combiner l'article 4 de ce texte, qui instaure un médecin référent en matière de protection de l'enfance, et la possibilité de saisine de la CRIP permettra au médecin libéral de ne pas en rester au choix binaire entre l'inaction et l'appel au procureur de la République.

La Commission en vient à l'examen des articles.

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Aucun amendement n'a été déposé, ce qui conforte le souhait du rapporteur que nous adoptions conforme le texte adopté par le Sénat.

Article 1er (art. 226-14 du code pénal) : Extension de la procédure de signalement des situations de maltraitance à l'ensemble des professionnels et auxiliaires médicaux et saisine directe de la cellule de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes

La Commission adopte l'article 1er sans modification.

Article 2 (art. 21 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants) : Création d'une obligation de formation professionnelle à l'identification des situations de maltraitance et à la procédure de signalement

La Commission adopte l'article 2 sans modification.

Article 3 (art. 713-3-1 du code pénal) : Application de la proposition de loi dans les collectivités d'outre-mer

La Commission adopte l'article 3 sans modification.

Puis elle adopte l'ensemble de la proposition de loi sans modification.

La séance est levée à 12 h 15.