Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 24 juin 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur, président :

Je vous remercie tous à mon tour pour vos contributions riches et variées. La célébration du dixième anniversaire de la Convention de l'UNESCO et la présentation de son bilan et de ses perspectives nous ont permis d'évoquer nombre de questions culturelles fort actuelles qui nous mobilisent de façon unanime. Notre débat de ce matin est en lien direct avec l'échange que nous avons eu récemment avec nos collègues du Bundestag et avec notre rencontre avec Mme Hélène David, ministre de la culture du Québec. Celle-ci nous a alors parlé de la politique québécoise du livre, illustration très concrète de ce que peut être une politique culturelle nationale consacrée au livre dans un pays signataire de la Convention.

Croyant en l'avenir de cette Convention et la considérant comme un instrument utile qu'il faut faire vivre, notamment dans son volet de coopération Nord-Sud, plusieurs d'entre vous ont insisté sur la nécessité de disposer de moyens financiers et humains pour favoriser l'accès à la culture et développer une offre culturelle aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement. Comme l'a souligné Jean-Pierre Allossery, cela suppose que le financement de nos politiques publiques de la culture soit exemplaire, aussi bien au niveau de l'État que des collectivités territoriales. Il reste que les 4,6 millions d'euros alloués en quelque dix années au FIDC, dont 1,2 million d'euros versés par la France, représentent une somme assez faible. Mon rapport présente à ce sujet un tableau inquiétant, illustrant que la tendance à alimenter ce fonds est à la baisse. Il est donc nécessaire d'accroître ses ressources afin d'envoyer un signe fort aux pays en développement. Ayons à l'esprit le courage et la détermination dont doivent faire preuve dans ces pays les autorités publiques et les acteurs de la société civile pour imposer la culture comme priorité des politiques publiques, quand nous avons en France une certaine facilité à le faire. Le secrétariat de l'UNESCO souhaite mettre à profit le double anniversaire de l'organisation et de la Convention pour mener une large campagne de communication afin d'encourager les contributions à ce fonds. L'OIF et les organisations professionnelles, telles que les quarante-trois coalitions nationales pour la diversité culturelle, ont aussi un rôle à jouer. Et peut-être les parlementaires français pourraient-ils, lors de la prochaine discussion budgétaire, déposer des amendements prévoyant des transferts de crédits afin d'abonder la dotation prévue pour le FIDC en 2016.

Le second thème que vous avez abordé est la négociation du Traité transatlantique entre l'Union européenne et les États-Unis. Vous avez été plusieurs à rappeler que, dix ans après, ces derniers ne sont toujours pas signataires de la Convention et ne sont pas près de l'être. Vous avez souligné la nécessité pour nous, face à ce marché unique du numérique que veut instaurer la Commission européenne, de faire vivre la diversité culturelle, compte tenu du risque de standardisation et d'uniformisation de la culture qu'entraîne la pression exercée par les géants du web, les fameux GAFA. La Convention de l'UNESCO est à cet égard un outil très utile puisque, ayant été ratifiée par l'Union européenne, elle fait partie non seulement de l'ordre juridique national mais également européen. S'agissant de la négociation en cours, j'ai indiqué dans mon rapport que si l'audiovisuel est clairement exclu du mandat de négociation de la Commission européenne, ce dernier est beaucoup moins clair s'agissant des services culturels. Il nous faut donc rester vigilants tant au niveau national qu'européen et je souhaiterais qu'il y ait au Parlement européen une mobilisation comparable à celle qu'il a connue avant ses dernières élections afin qu'il imprime sa marque sur le mandat de négociation de la Commission européenne. Je remercie donc ceux d'entre vous qui ont évoqué cette indispensable mobilisation.

Michel Herbillon a évoqué avec justesse les directives opérationnelles transversales qui vont être élaborées dans les deux ans qui viennent à la suite de la décision prise à la Conférence des parties il y a une dizaine de jours. Ces directives présentent l'intérêt de viser l'ensemble des dispositions et domaines d'application de la Convention de 2005 – la politique interne des États, la coopération Nord-Sud et le poids dans les négociations internationales. Cette transversalité me paraît une innovation très opportune dont il faut se saisir.

S'agissant du développement du numérique, les pays en développement sont en train de franchir un cap décisif quant à leur insertion dans le monde numérique qui est le nôtre aujourd'hui. Grâce au smartphone, beaucoup de femmes et d'hommes de la planète, n'ayant jamais vu ni eu entre les mains un ordinateur, ont un accès très direct à la toile et par conséquent un accès inégalé à la culture. C'est là une des chances extraordinaires offertes par le numérique, au-delà des risques que celui-ci représente.

Isabelle Attard a justement évoqué les dangers de cet écosystème numérique et m'a interrogé quant à la licence globale. Je n'ouvrirai pas ce matin le débat sur cette question, mais nous aurons bientôt l'occasion de traiter de la répartition équitable de la valeur créée sur internet lors de la diffusion de contenus culturels, qu'ils soient sonores ou audiovisuels. Nous disposons déjà sur le sujet du rapport de la Fédération nationale des labels indépendants (FELIN), et Marc Schwartz a été missionné par la ministre de la Culture pour y apporter sa contribution. Nous pourrions donc utilement promouvoir la gestion collective obligatoire, déjà promue par les rapports de Patrick Zelnik et de Pierre Lescure, mais dont ne veulent absolument pas ceux qui ont suffisamment de force pour négocier directement avec les plateformes Deezer et Spotify.

Laurent Degallaix a insisté à juste titre sur l'indispensable renouvellement des talents qui nous a conduits à imposer à la radio des quotas en faveur de la promotion de nouveaux talents mais aussi de la défense de la Francophonie.

Je remercie Gilda Hobert d'avoir fait référence à la « féconde diversité des cultures » et d'avoir rappelé que la Convention est un moyen de découvrir des cultures méconnues.

Je remercie aussi Sophie Dessus pour son intervention lyrique : il est essentiel d'avoir le soutien des sages et des braves, des romanciers et des poètes, de tous les camarades sortis de l'ombre, de Taylor Swift, du biblique David et des bonnes fées, mais c'est avant tout celui de mes collègues de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation qui m'importe, en particulier sur un sujet en faveur duquel nous nous engageons collectivement.

François de Mazières a exprimé sa déception que l'amendement de mon homologue du Sénat au projet de loi Macron, instaurant un contrôle de l'ARCEP sur les moteurs de recherche, n'ait pu être maintenu. Nous serons inévitablement amenés à revenir sur ce sujet lors de l'examen du projet de loi sur le numérique à l'automne. Dans son rapport, le Conseil national du numérique propose de définir et d'imposer le concept de loyauté des plateformes. Enfin, la France s'est engagée au niveau de l'Union européenne pour que s'appliquent les règles du pays de destination des services – enjeu essentiel pour des raisons fiscales.

Stéphane Travert a insisté, comme d'autres collègues, sur l'instrument que peut constituer cette Convention, non pour s'opposer aux géants du web, mais pour leur faire accepter de s'intégrer dans un cadre régulé sans avoir pour objectif de casser des dispositifs visant avant tout à rémunérer les créateurs et à éviter la disparition de la création. Ainsi que l'a souligné Laurence Arribagé, si la culture revêt une dimension économique, les services et biens culturels ne sauraient être considérés comme des marchandises comme les autres.

Hervé Féron a abordé les droits culturels, sujet que je vous propose de laisser de côté compte tenu de son caractère très polémique, y compris chez les acteurs culturels. Il a néanmoins raison d'indiquer que la Convention de 2005 fait référence à ces droits, affirmés dans d'autres textes adoptés par l'UNESCO. Certains jugent nécessaire de reprendre cette notion dans notre droit interne. C'est pourquoi Marie-Christine Blandin a soutenu avec conviction au Sénat un amendement en ce sens, que vous avez souhaité, mon cher collègue, relayer à l'Assemblée nationale. Cependant, le Gouvernement et le rapporteur du projet de loi NOTRe y ont donné un avis défavorable. Nous devrons donc à nouveau en débattre dès que l'occasion se présentera, les nombreux acteurs culturels que je rencontre étant défavorables à l'intégration des droits culturels dans notre droit interne. S'agissant d'autre part du partenariat de libre-échange, Hervé Féron a eu raison de souligner que le livre et la musique pourraient être des secteurs menacés.

Martine Martinel et Michel Pouzol ont invoqué les impératifs de protection patrimoniale, le second ayant même fait référence aux destructions du patrimoine de l'humanité consécutives aux terribles actions de DAECH en Syrie. Il est donc nécessaire de mettre en avant des préconisations en faveur de la protection de ce patrimoine culturel. De ce fait, il me semblerait utile de renforcer les actions de coopération pour l'acquisition des compétences et des savoir-faire dans ce domaine. Je citerai notamment la Banque européenne d'expertise, créée en 2010, qui accompagne des États parties dans la réalisation de projets globaux de mise à niveau de leurs compétences et capacités d'action en matière culturelle.

S'agissant de l'application de la Convention de 2005, un rapport global comprenant des indicateurs devrait être présenté en fin d'année 2015, permettant de mettre en corrélation les politiques menées dans les États parties avec leurs résultats en termes de diversité culturelle afin que les bonnes pratiques puissent être identifiées comme telles.

Michel Pouzol m'a aussi interrogé quant au mot d'ordre, très incantatoire dans les discours officiels, relatif à l'élaboration d'une politique culturelle européenne. Vous connaissez tous par coeur la fameuse phrase que l'on prête à Jean Monnet : « Si c'était à refaire, je commencerais par la culture », mais la France, avouons-le, a beaucoup de mal à mobiliser ses partenaires et la Commission européenne en faveur d'une politique culturelle supranationale, notamment parce que la direction générale (DG) Culture est très faible, au sein des institutions de l'Union européenne, face à la DG Commerce notamment. Il convient donc de persévérer en organisant des rencontres bilatérales. Le Haut Conseil culturel franco-allemand est un outil dont nous avons pu mesurer l'efficacité l'autre jour lorsque nous avons reçu Catherine Trautmann et Doris Pack. Il existe également des rencontres multilatérales, telles que le Forum de Chaillot, permettant de mobiliser nos partenaires européens. Enfin, les professionnels de la culture et les artistes sont un relais important.

Jacques Cresta m'a interrogé sur l'article 12 de la Convention de 2005, et Valérie Corre, que nous avons désignée rapporteure pour avis sur le projet de loi sur le droit des étrangers, a entendu cette requête pertinente. Nous sommes souvent mobilisés pour intervenir auprès des préfets, voire du ministre de l'intérieur lui-même, afin d'arracher des titres de séjour, souvent au dernier moment, qui permettent à des artistes venus du bout du monde de participer à des événements ayant lieu sur notre sol.

La nécessité de garantir l'accès à la culture au Nord comme au Sud a été rappelée avec beaucoup de pertinence par Régine Povéda. Quant à Valérie Corre, elle a évoqué à cet égard à juste raison le Traité transatlantique.

Je nuancerai toutefois ce sentiment que nous pourrions avoir d'écrasement par les GAFA : il existe en effet dans le monde des écosystèmes numériques autonomes dotés d'un potentiel de développement important – en Chine, en Inde, en Russie, en Amérique latine et en Corée du Sud par exemple – mais aussi des initiatives locales fondées sur les modèles de développement propres à certains pays et à certaines zones géographiques, compte tenu, notamment, du rôle que joue le téléphone portable en Afrique et en Inde.

Enfin, en ce qui concerne la coopération Nord-Sud, Mme Youma Fall, représentante de l'Organisation internationale de la francophonie que j'ai auditionnée dans le cadre de la rédaction de mon rapport, m'a rappelé que grâce aux technologies numériques, le local pouvait rejoindre l'universel. La coopération doit donc avant tout permettre aux sociétés civiles des États du Sud de prendre conscience de leur richesse et de leurs atouts culturels et de se donner les moyens, avec leurs propres outils, de valoriser ces atouts.

Tels sont les enjeux de la Convention UNESCO de 2005 sur la diversité des expressions culturelles. Il me semblait important que l'Assemblée nationale puisse en célébrer l'anniversaire en en faisant un instrument d'avenir pour la vitalité de la diversité culturelle. Dans les débats à venir, et notamment dans le cadre de la prochaine discussion budgétaire, nous serons amenés à invoquer cette convention pour appuyer notre force de conviction et faire en sorte, entre autres, que le Fonds international pour le développement culturel soit mieux provisionné. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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