Intervention de Valérie Corre

Réunion du 30 juin 2015 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Corre, rapporteure pour avis :

Monsieur le président, mes chers collègues, ce projet de loi poursuit trois objectifs essentiels. D'abord, en cohérence avec les engagements du Président de la République, et à la suite du rapport remis au Premier ministre par notre collègue Matthias Fekl, nommé depuis secrétaire d'État, il apporte une plus grande sécurité au parcours d'intégration des migrants ; il crée en particulier des titres de séjour longs, allant jusqu'à quatre ans, qui permettent de conduire leurs bénéficiaires jusqu'au seuil d'acquisition de la carte de résident et de les dégager ainsi de l'emprise trop forte des démarches administratives. Ensuite, il renforce l'attractivité de la France en créant une nouvelle carte de séjour dédiée aux talents internationaux et à leurs proches, et en simplifiant les parcours et l'insertion des étudiants étrangers. Enfin, il conforte un équilibre plus harmonieux entre la nécessaire efficacité des contrôles et des mesures d'éloignement, et l'indispensable respect des libertés fondamentales.

Trois séries de mesures intéressent plus particulièrement notre commission : la rénovation du contrat d'intégration, aux articles 1er et 2 ; l'accueil et le séjour des étudiants étrangers, aux articles 5, 9 et 11, et le nouveau « passeport talent » à l'article 11 ; enfin l'article 23, qui donne aux journalistes l'accès aux centres de rétention et aux zones d'attente.

Dans des délais contraints par une brutale accélération du calendrier, j'ai souhaité conduire les travaux que je vous soumets autour de deux préoccupations principales : la première est que les mesures adoptées doivent lever les freins les plus concrets rencontrés par les étrangers en France, en réduisant, chaque fois que c'est possible, les imprécisions, les complexités et la marge d'interprétation laissée à l'administration, susceptible, on le sait, de conduire à des interprétations inégalitaires ; la seconde est de s'assurer que la loi donne un signal clair et fort sur la volonté de notre pays de considérer l'immigration comme une chance et non comme une contrainte à juguler. Notre République doit pouvoir accueillir avec ouverture, bienveillance et dignité tous ceux qui veulent lui apporter le concours de leur volonté, de leur enthousiasme et de leur talent. Ce signal est le seul gage tangible de l'attractivité de notre pays. Il est le réel enjeu de ce projet de loi.

Les deux premiers articles que nous examinons procèdent à une profonde rénovation du contrat d'accueil et d'intégration créé en 2006. Ce dispositif coûteux – plus de 50 millions d'euros par an – présente des faiblesses depuis longtemps dénoncées, notamment dans le rapport des inspections générales de l'administration et des affaires sociales, à l'automne 2013.

Ce n'est pas du tout l'intention qui est en cause. Le contrat cible avec pertinence les trois clés d'une intégration réussie : l'apprentissage de la langue, l'appropriation des valeurs de la République et l'accès à l'emploi. Mais, dans la pratique, les prestations et les formations dispensées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) souffrent d'être beaucoup trop standardisées, souvent abstraites et peu efficaces pour permettre une réelle insertion. En outre, elles sont en quelque sorte déconnectées de la suite du parcours, puisque le respect des démarches prescrites n'a aucune incidence dans les faits sur les autres étapes de délivrance des titres de séjour.

On remarquera ainsi que le niveau de langue se limite au niveau A.1.1, très modeste et d'ailleurs trop académique parce que sanctionné uniquement par le passage d'un diplôme ad hoc. De la même façon, les résultats en termes d'insertion sont très décevants : plus de la moitié des signataires d'un contrat d'accueil en 2009 sont encore au chômage deux ans plus tard, soit le double du taux de chômage des personnes migrantes, qui lui-même est déjà le double de celui des Français.

Sur ce constat, le projet de loi ambitionne de mettre en oeuvre une logique personnalisée, recentrée autour de trois missions clairement identifiées. D'abord, la mission civique sera redéfinie dans une approche plus concrète, répondant mieux aux préoccupations et aux parcours divers des primo-arrivants ; le pouvoir réglementaire fixera les modalités pratiques de cette nouvelle formation. Pour autant, je crois utile de lui rappeler qu'il faudra progresser sur la voie des formations individualisées. Il faudra, en particulier, mettre l'accent sur les valeurs de la République les plus novatrices par rapport aux traditions du pays d'origine du migrant comme, par exemple, l'égalité entre les hommes et les femmes, ou la laïcité.

Ensuite, l'exigence de connaissance du français est relevée et sera désormais évaluée. L'article 1er précise en effet que la formation suivie visera l'acquisition d'un niveau suffisant dont l'atteinte constituera, aux termes de l'article 2, une condition à la délivrance de la carte de résident. Ce seuil, qui sera fixé par décret, est annoncé au niveau A.1 la première année, et A.2 au bout de cinq ans, ce qui constitue sans doute le seuil le plus raisonnable pour une intégration harmonieuse dans notre société, mais aussi le plus ambitieux : il exigera en effet un profond renouvellement des méthodes de formation.

Enfin, le projet de loi introduit dans les contrats une obligation d'effectuer les démarches d'accès aux services publics de proximité. C'est une innovation décisive. En effet, les différents acteurs de l'intégration sont peu habitués à travailler ensemble. La complexité et le morcellement des procédures qui en résultent empêchent les migrants de solliciter les services nécessaires pour construire une vie épanouie dans notre pays.

Toutes ces nouvelles démarches seraient, en parallèle, dotées d'une réelle portée. En effet, l'article 11 soumet la délivrance de la nouvelle carte de séjour pluriannuelle à la justification, par le bénéficiaire du contrat d'accueil, de son assiduité et du sérieux de sa participation aux formations. Le prétendant à une carte de résident devra, pour sa part, justifier de sa maîtrise du français.

Je vous proposerai d'adopter ce nouveau dispositif, plus cohérent et ambitieux, en lui apportant toutefois deux principaux correctifs.

D'abord, il importe de rappeler que ces formations et démarches doivent demeurer gratuites comme elles le sont aujourd'hui. Ensuite, il faut mieux protéger ce parcours contre tout risque d'arbitraire administratif, et veiller à ne pas l'enfermer dans une vision trop scolaire, voire punitive, qui contredirait son objet. C'est pourquoi je vous suggère de supprimer la mention du « sérieux » nécessaire de la participation aux formations, qui n'a aucune densité juridique et pourrait nourrir des interprétations divergentes selon les préfectures. Je vous propose de nous en tenir au seul critère tangible et objectivement mesurable, l'assiduité, qui doit bien évidemment être tempéré en cas de circonstances particulières comme les accidents de santé ou les contraintes professionnelles.

La deuxième thématique du projet de loi prise en compte par notre commission est l'accueil des étudiants étrangers. Vous trouverez dans mon rapport un état de la situation qui place notre pays, certes toujours en tête des destinations d'accueil, entre le troisième et le cinquième rang mondial selon les années, mais dans une situation comparative de moins en moins confortable. Si nous sommes parvenus à doubler le nombre des étudiants étrangers depuis la fin des années quatre-vingt-dix, cette performance reste modeste lorsque l'on observe que les flux internationaux ont été multipliés par dix et devraient encore doubler d'ici à 2025.

Nous disposons, il est vrai, de forts atouts : le prestige de notre culture, la qualité de la formation de nos établissements, ou encore leur coût très abordable. Mais nous demeurons affaiblis par l'ambiguïté de nos messages politiques. Les personnes – notamment de Campus France – que j'ai auditionnées m'ont signalé l'impact spectaculaire et persistant de la trop fameuse circulaire Guéant de 2011. Le nombre de visas étudiants, même s'il est reparti à la hausse, reste aujourd'hui inférieur de 10 % à celui atteint en 2010 et même de 20 % pour les formations de courte durée. C'est dire l'importance, pour l'attractivité de notre enseignement supérieur, de lever les freins légaux qui continuent à dissuader les jeunes étrangers de venir étudier en France.

Le projet de loi poursuit le travail entrepris par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, dite « loi ESR ». Celle-ci supprimait un premier obstacle en autorisant un enseignement dans une autre langue que le français lorsqu'il est proposé dans le cadre d'un accord avec une institution étrangère. Le présent texte conforte de manière considérable la sécurité juridique des étudiants durant leur parcours de formation. En effet, les étudiants d'un niveau au moins équivalent au master pourront bénéficier d'une carte pluriannuelle ajustée à la durée de leur cursus. La troisième grande difficulté à laquelle sont exposés les étudiants étrangers est la transition entre les études et l'emploi. Ce projet étend à douze mois la durée de l'autorisation provisoire de séjour (APS) autorisant les titulaires d'au moins un master à rechercher et à exercer un emploi en cohérence avec leurs études sans que la situation du marché de l'emploi ne leur soit opposable.

Malheureusement, ce texte ne va pas jusqu'au bout de sa logique.

Certes, il étend le bénéfice de la carte étudiant pluriannuelle, toujours limitée, comme les autres titres, à quatre ans maximum, à tous les étudiants et non plus aux seuls post-master, avec une durée égale à celle de leur cycle d'études. Il parachève également la réforme de l'APS en permettant à ses titulaires de créer une entreprise dans leur domaine de formation et surtout, en prévoyant que les anciens étudiants étrangers qui ont trouvé un emploi dans ce cadre obtiennent automatiquement et sans opposabilité de l'emploi, à son expiration, une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans, consolidant et sécurisant leur insertion dans la société française.

Mais il nous offre l'opportunité d'aller plus loin encore en mettant en place une législation plus simple et plus complète. Ainsi, s'agissant de la durée de la carte étudiant, il faut aller vers une reconnaissance du droit à l'erreur, d'ailleurs fréquente parmi les étudiants nationaux, dont la moitié redouble au moins une fois en licence, en prévoyant qu'elle peut être prolongée d'une année supplémentaire par cycle d'études. C'est d'ailleurs le cas de nos étudiants boursiers. L'appréciation sera confiée à ceux dont c'est le métier : les établissements de formation.

Dans un esprit comparable, je vous propose d'élargir le bénéfice de l'APS, et donc de la possibilité de chercher et de trouver une première expérience professionnelle, à tous les niveaux d'études supérieures. Ce serait cohérent avec le développement des filières professionnalisantes comme les sections de techniciens supérieurs (STS), les instituts universitaires de technologie (IUT) et les licences professionnelles, dont les performances d'insertion sont remarquables.

De même, il me semble que l'exigence – légitime – d'une condition de rémunération, fixée aujourd'hui par décret à un seuil de 1,5 fois le SMIC, doit être mieux modulée. Je propose qu'elle le soit en fonction des secteurs professionnels d'embauche et des territoires. En effet, même si on peut le regretter, on doit bien admettre que le premier salaire est loin d'être le même, par exemple, dans la finance à Paris que dans la recherche publique universitaire en région.

Enfin, dans mon souci constant d'éviter de laisser trop de place à l'interprétation administrative, je vous propose d'abandonner la référence au « sérieux » des études, qui ne veut pas dire grand-chose et dont le manque n'est d'ailleurs jamais sanctionné, et de confier l'appréciation de l'assiduité aux établissements de formation.

Dans cette logique, pour renforcer la qualité de l'accueil quotidien des étudiants, il s'agira de généraliser les guichets uniques qui relèvent cependant du seul pouvoir réglementaire. Actuellement au nombre de vingt-six, ces guichets rassemblent au sein même des universités les principaux services publics utiles, y compris les préfectures. Dans le même sens, je vous proposerai de confier la responsabilité de la délivrance des cartes d'étudiants aux préfectures non de la résidence, mais de l'établissement d'enseignement, car ces dernières sont bien mieux accoutumées à ce type de démarches.

Toujours sur le plan de l'attractivité, le projet de loi introduit une innovation importante : la carte de séjour « passeport talent ». Celle-ci rassemble des dispositifs aujourd'hui complexes et donne un signal fort de la volonté de la France d'accueillir les compétences. Cette carte, au régime très favorable, étendue aux membres de la famille proche des bénéficiaires, unifiera les anciennes cartes « salariés en mission », « scientifiques chercheurs » et « carte bleue européenne », dont elle ne modifie toutefois pas les conditions d'attribution. Elle étend, cependant, le champ des personnes concernées par le dispositif relatif aux investisseurs économiques directs, dont les seuils, aujourd'hui de 10 millions d'euros et de 50 emplois sauvés ou créés, seront abaissés par décret, et par celui relatif aux mandataires sociaux.

Elle introduit également de nouvelles catégories pour les employés de jeunes entreprises innovantes et pour les titulaires de master créateurs d'entreprise. Elle rénove les régimes applicables aux artistes et aux personnes jouissant d'une forte renommée. Les artistes interprètes et les auteurs d'oeuvres littéraires ou artistiques pourront bénéficier de cette carte sans que la loi leur impose de justifier d'un contrat de travail d'au moins trois mois comme aujourd'hui, condition souvent impossible compte tenu de la spécificité de ces métiers. Il nous faudra toutefois veiller à ce que les textes d'application ne viennent pas réintroduire des restrictions exclues par la loi.

Enfin, une nouvelle catégorie est créée pour les personnes jouissant d'une renommée internationale reconnue dans les domaines intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif, en supprimant les conditions assorties à l'actuelle carte « compétences et talent ». À ce sujet, je vous proposerai une légère modification ouvrant le passeport talent aux personnes étrangères bénéficiant d'une renommée nationale établie à partir d'un faisceau d'indices comme, par exemple, la couverture médiatique, la participation à des colloques, les publications.

La troisième thématique de ce projet de loi, dont je vous ai parlé au début de mon intervention, est l'accès des journalistes aux centres de rétention et aux zones d'attente. La commission s'est en effet saisie de l'article 23, qui comporte une disposition profondément novatrice en ce sens.

Celle-ci s'inscrit dans la continuité de la loi du 15 juin 2000, qui a permis aux députés et aux sénateurs de visiter de façon inopinée les centres de rétention et les zones d'attente – en se faisant même accompagner de journalistes depuis la loi du 17 avril 2015 sur la modernisation de la presse. Elle crée un précédent juridique décisif en accordant directement ce droit à ceux qui sont chargés d'informer nos concitoyens, bien entendu dans le respect des contraintes de sécurité et de droit à l'image des personnes concernées qui seront précisées par décret. Sous réserve de la vigilance qui sera nécessaire au moment de la rédaction des textes d'application, je suis convaincue que cette disposition apportera un progrès considérable.

Voilà en quelques mots, mes chers collègues, les éléments du texte que je voulais mettre en avant, ainsi que les améliorations que je vous propose.

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