Intervention de Emeric Bréhier

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmeric Bréhier, rapporteur :

Je souhaite remercier les membres de la mission d'information pour leur participation aux travaux, ainsi que Mme la présidente pour la façon dont elle a su les conduire. J'irai à l'essentiel afin de laisser la place à l'échange et au débat sur les propositions du rapport.

Notre réflexion est partie du constat, largement partagé, que le lycée n'offre pas à tous les jeunes les armes nécessaires pour réussir de manière égale dans leur choix d'études supérieures et la nécessité d'organiser au mieux la transition entre les trois années du second cycle du secondaire et les trois premières années de l'enseignement supérieur.

Le rapport formule 33 propositions, dont certaines sont en fait multiples.

Le premier élément sur lequel je souhaite insister est la nécessité de rompre avec « l'effet filière » qui, encore aujourd'hui, a trop d'influence sur la structure de notre système d'enseignement, notamment secondaire. Cela suppose de prolonger, dans le second cycle du secondaire, la logique d'un socle commun de plusieurs matières fondamentales, assorties d'options.

Il convient, en second lieu, de réfléchir à la structuration des établissements publics locaux d'enseignement et d'en développer la polyvalence afin de diversifier l'offre et de favoriser la réussite scolaire. Nous constatons que la coexistence dans un même établissement des trois voies de formation – générale, technologique et professionnelle – encourage dans les faits la mixité sociale et facilite la mise en place de passerelles qui fluidifient le dispositif d'enseignement.

Par ailleurs, nous préconisons la diversification des parcours, par exemple en soutenant le développement de stages-passerelles afin de faciliter les changements de série au sein des filières générales et technologiques et les passages vers la voie professionnelle, ou l'institution d'une année facultative de transition.

La date est bien choisie pour souligner la nécessité – déjà identifiée par de multiples rapports précédents – de libérer le lycée de l'excès d'emprise du baccalauréat, avec des objectifs complémentaires : simplifier l'organisation de l'examen ; alléger son coût en concentrant les épreuves finales sur un petit nombre de matières fondamentales et en instituant un contrôle continu pour les matières à option ; améliorer sa qualité certificative en introduisant des seuils éliminatoires ; mieux l'articuler avec l'enseignement supérieur en veillant à ce qu'il vérifie l'acquisition des compétences nécessaires à la poursuite d'études.

Nous estimons par ailleurs nécessaire, dans l'attente de la mise en place d'un enseignement modulaire avec des matières scientifiques optionnelles, de réinstaurer une véritable série scientifique destinée aux élèves se préparant à des études ainsi qu'à une carrière dans les sciences dites « dures », afin d'enrayer la baisse du niveau en mathématiques dans le supérieur et le déficit de recrutement de scientifiques, de chercheurs en particulier, dont souffre notre pays dans ce domaine.

En dépit des efforts des majorités successives, le poids de la filière S dans le baccalauréat général n'a cessé de croître au cours des dernières années. Paradoxalement, cette situation n'est pas favorable à une hausse du niveau scientifique : elle ne fait que traduire une façon de ne pas choisir d'orientation. Elle produit un double effet : un renforcement des déterminismes sociaux lié à la prééminence de cette filière qui va même à l'encontre de la dernière réforme du lycée, faite par la majorité précédente ; et un abaissement du niveau de connaissances mathématiques, physiques et scientifiques des élèves qui l'ont suivie.

Il importe également de dynamiser l'accompagnement personnalisé, en améliorant la formation des enseignants à la démarche de suivi individualisé.

Il faut enfin diffuser les bonnes pratiques qui existent, comme nous avons pu l'observer, dans l'ensemble des académies, et qui facilitent la transition entre le secondaire et le supérieur. Je pense aux « cordées de la réussite » pour les bacheliers professionnels se destinant au brevet de technicien supérieur (BTS), sans omettre l'apprentissage des codes et des méthodes de travail propres à l'enseignement supérieur, et qui diffèrent grandement de ceux et celles du secondaire.

La réussite dans le supérieur passe par ailleurs par une refonte du processus d'orientation dans le secondaire comme dans le supérieur. Afin de rendre l'orientation plus progressive, informée et, comme on dit de façon quelque peu jargonnante, « active », la mission évoque différentes pistes.

Il convient d'abord d'encourager l'ouverture des établissements d'enseignement sur le monde professionnel.

L'information des futurs enseignants sur les filières du supérieur et sur les métiers doit être améliorée au cours de leur formation non seulement initiale mais aussi continue, afin de leur permettre d'exercer pleinement leur rôle, essentiel, de conseil aux élèves.

La coopération entre les équipes éducatives du secondaire et du supérieur gagnera à être développée par le biais de conventions entre lycées et universités, de façon à atténuer la rupture pédagogique entre les deux niveaux d'enseignement.

Le rôle du portail internet Admission postbac (APB) doit être amplifié, en y intégrant un certain nombre de formations qui en sont aujourd'hui absentes ou renseignées de manière peu claire, ce qui altère la lisibilité de notre système d'orientation et n'éclaire pas le choix des élèves et de leurs familles.

Nous recommandons aussi de mieux faire correspondre l'implantation des services unifiés d'orientation à la cartographie du décrochage scolaire et de confier à l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP) une mission d'orientation prioritaire des publics.

Face à l'augmentation du nombre d'élèves accédant à l'enseignement supérieur, phénomène dont chacun doit se féliciter, l'objectif est aujourd'hui moins la massification, déjà réalisée, que la réelle démocratisation de l'accès à la diversité des études supérieures. Cela implique l'amélioration de l'orientation et, surtout, de sa lisibilité : nous avons tous fait l'expérience du vertige qui saisit le visiteur d'un salon de l'orientation devant le foisonnement des offres !

L'enseignement supérieur reproduit hélas les inégalités sociales, souvent figées dès le choix des filières au lycée, et amplifiées par la rupture pédagogique entre le secondaire et les premiers cycles universitaires.

Aussi est-il proposé de persévérer dans le mouvement de rétablissement des flux naturels d'orientation, en mettant fin à ce qui s'apparente à une préemption des filières à vocation professionnelle – les sections de technicien supérieur (STS) et Instituts universitaires de technologie (IUT) – par les bacheliers généraux. Le principe figure d'ailleurs dans la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (ESR).

À notre sens, il faut renforcer la priorité d'affectation dans ces formations des bacheliers technologiques et professionnels, qui commence d'ailleurs à porter ses fruits. Cela suppose aussi que soit encouragée la mobilité de ces bacheliers, afin qu'ils puissent accéder, selon une logique de métiers, aux formations les plus cohérentes avec leur parcours lycéen. Nous connaissons tous des filières STS ou IUT au sein desquelles, en réalité, le recrutement se fait uniquement ou essentiellement au profit, non pas seulement des bacheliers généraux, mais en particulier de ceux de la filière « S ». Ce détournement a pour effet d'envoyer un certain nombre de bacheliers professionnels ou technologiques dans des cursus universitaires où leurs compétences ne sont pas toujours en adéquation avec ce qui y est demandé. Il en résulte un taux d'échec important, ainsi qu'un sentiment de dévalorisation chez ces étudiants.

La mission estime prioritaire de déverrouiller les cursus d'études en donnant à chacun le droit à l'erreur et à la réorientation. Cela passe par un renforcement rapide de la formation professionnelle, qui sera pleinement abouti – nous insistons sur ce point – lorsque tous les diplômes initiaux auront leur équivalent en formation continue, mais aussi par le développement de passerelles entre les formations. Cela implique enfin de mettre de l'ordre dans les sélections déguisées à l'entrée de l'université, qui se sont multipliées et diversifiées au cours des récentes années, notamment – et je sais que cela peut faire débat – à travers les « doubles licences ».

La licence, quant à elle, est affectée par un taux d'échec excessif. À l'occasion de l'institution du parcours « licence-master-doctorat » (LMD), notre pays a effectué, contrairement aux autres pays européens, un choix stratégique plus favorable au master qu'à la licence et au doctorat. Il en résulte que le taux d'intégration professionnelle des licenciés est aujourd'hui très insuffisant, la licence étant perçue comme une simple étape sur la voie du master – ce qui ne favorise pas sa prise en compte dans les conventions collectives.

Pour revaloriser la licence, il importe de persévérer dans le mouvement de rationalisation des intitulés et d'ancrer son déroulement dans une logique d'abord pluridisciplinaire, puis de plus en plus spécialisée afin de favoriser les passerelles et réorientations en cours de cursus.

Ces progrès ne sont possibles que s'ils s'accompagnent d'une rénovation ambitieuse des méthodes pédagogiques du supérieur, dans une meilleure continuité avec le lycée.

Pour promouvoir cette réforme, la mission propose de renforcer la diffusion des meilleures pratiques et de créer dans chaque communauté ou association d'universités et d'établissements un centre pédagogique fédérant les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE) et les structures existantes afin de piloter la formation des enseignants-chercheurs, d'animer la réflexion et de diffuser les expériences réussies.

Au cours de nos travaux, nous avons pu observer, dans bien des académies ou universités, de nombreuses expériences ou dispositifs ponctuels mis en place dans le but de limiter l'échec en licence. Même si les orientations générales doivent procéder de l'autorité ministérielle, il faut préserver cette capacité d'adaptation aux réalités du terrain, qui ne sont pas les mêmes selon que l'on se trouve dans la métropole lyonnaise ou francilienne ou dans une ville plus petite où les possibilités d'accès à l'enseignement supérieur sont moindres.

Au-delà de la recherche d'un équilibre territorial qui ne sera jamais pleinement satisfaisant, il convient de favoriser la mobilité des étudiants, et en premier lieu des boursiers. Une de nos propositions consiste à augmenter la part du critère de mobilité dans l'attribution des bourses, afin de favoriser l'accès des lycéens et des étudiants aux formations supérieures non dispensées dans leur ressort géographique.

La mission insiste également sur le nécessaire renforcement des liens entre les établissements du secondaire et ceux du supérieur. Un certain nombre de dispositifs, comme les conventions, ont été créés par la loi ESR, et de premiers rapports d'étape encourageants ont été publiés. Il faut poursuivre dans cette voie en amplifiant même les efforts.

Nous estimons par ailleurs qu'il faut développer les échanges entre les enseignants du supérieur et du secondaire, sans les circonscrire – j'y insiste – aux classes préparatoires. Qu'un enseignant du supérieur puisse passer quelques années dans l'enseignement secondaire sera source de meilleure connaissance réciproque comme de rapprochement pédagogique.

Le principal obstacle à l'investissement des enseignants-chercheurs en faveur de la réussite en licence, que ce soit dans le domaine pédagogique, de l'accompagnement ou de l'encadrement, réside dans le fait que leur déroulement de carrière dépend essentiellement de leurs travaux de recherche et de leur capacité à publier. Aussi estimons-nous que cet engagement, dont ils sont nombreux à faire preuve auprès de leurs étudiants de premier cycle, devrait être bien mieux reconnu qu'aujourd'hui. Il pourrait notamment être pris en compte par le système de répartition des moyens alloués aux universités en fonction de leurs performances et activités, qui ne mérite guère son acronyme de SYMPA mais ne suscite curieusement que peu de critiques, aussi bien sur ces bancs que dans la communauté universitaire.

Je conclurai en disant mon plaisir et ma fierté d'avoir participé à cette mission d'information et d'en avoir rapporté les travaux.

2 commentaires :

Le 24/08/2015 à 09:11, laïc a dit :

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"Cela suppose de prolonger, dans le second cycle du secondaire, la logique d'un socle commun de plusieurs matières fondamentales, assorties d'options."

Comment peut-on prévoir la mise en place d'un système d'options dans le second cycle du secondaire, puisque la récente réforme du collège prévoit justement de supprimer le système des options, jugé trop élitiste, et qui est remplacé par ces fameuses EPI fourre tout, où l'on apprendra à ne rien apprendre... ? Et où l'on pourra facilement éviter le grec et le latin, afin de se laisser aller dans le moule conformiste de la facilité, où on pourra penser sans gros effort.

Mais il est vrai que le système des filières est une catastrophe pour la culture générale, et cela ne date pas d'aujourd'hui : les matières littéraires sont méprisées au détriment des matières scientifiques, cela donne des élèves qui savent compter mais qui ne savent pas penser.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 24/08/2015 à 09:19, laïc a dit :

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je voulais dire "les matières littéraires sont méprisées à l'avantage des matières scientifiques..."

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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