Intervention de Emeric Bréhier

Réunion du 8 juillet 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmeric Bréhier, rapporteur :

Mme Doucet a appelé notre attention sur le défi que représentait l'arrivée d'un certain nombre de « cohortes » dont les résultats PISA sont très dégradés. C'est précisément parce qu'il y a non seulement une massification, mais aussi un certain affaissement, dans un certain nombre de matières, des acquis et des compétences de nombreux élèves, que l'enseignement supérieur, dans sa globalité, doit continuer à faire évoluer ses pratiques pédagogiques pour cesser de rêver de l'étudiant tel qu'il devrait être et faire face aux étudiants tels qu'ils sont.

Cela renvoie à la question de l'évolution du métier d'enseignant-chercheur et des liens des enseignants-chercheurs avec les lycées. Ils doivent prendre en compte le fait que les étudiants qui vont arriver, notamment dans les universités, ne sont plus tout à fait ceux qui arrivaient – ou qu'ils étaient eux-mêmes – il y a vingt ans.

Le constat est le même pour le doctorat. Les directeurs de thèse doivent se départir de ce qu'ils ont vécu il y a trente ou quarante ans lorsqu'ils faisaient leur thèse, et ne plus penser aux seuls débouchés qui étaient ceux des « thésards » de l'époque.

Nous avons constaté, au cours des auditions et des visites sur le terrain, que cette révolution était néanmoins en marche. Il faut maintenant que le système reconnaisse et valorise à sa juste mesure l'investissement réel des enseignants-chercheurs dans le soutien pédagogique.

En cohérence, et en réponse à une autre question, je pense que si l'évolution de la carrière des enseignants-chercheurs doit cesser d'être seulement fondée sur leurs travaux de recherche, il faut parvenir à évaluer les universités elles-mêmes, en faisant en sorte que la répartition des moyens publics par le dispositif SYMPA prenne en compte les taux d'échec, les taux de réussite et la qualité du soutien pédagogique et du suivi des étudiants mis en oeuvre. Il faut qu'elles aient elles-aussi un fort intérêt à se saisir de ces dynamiques pédagogiques nouvelles.

En réponse à M. Reiss, à cinq ou six préconisations choc dont chacun sait bien qu'elles ne verront jamais le jour, je préfère plusieurs préconisations, parfois précises et très détaillées, parfois même « chaloupées », qui elles ont de réelles perspectives de s'inscrire dans le concret. Un rapport d'information n'est pas un ouvrage de formules qui aurait vocation à participer à la campagne présidentielle : c'est un document qui à vocation à donner des pistes rapidement opérationnelles, souvent en effet plus nuancées.

Le désaccord que j'ai avec vous est fondé sur ma conviction, qui n'est qu'un constat objectif, qu'il vaut mieux avoir un diplôme que de ne pas en avoir face au risque de chômage. Le chômage massif des jeunes de moins de vingt-cinq ans n'a pas commencé il y a deux ans et demi, ni même douze ans et demi… Il résulte d'abord du choix, fait par notre société, de privilégier le corps central de la pyramide des âges plutôt que les jeunes et les anciens. Nous avons mis en place, collectivement, des dispositifs d'exfiltration des plus anciens et de recul de l'intégration des plus jeunes, afin de maintenir le corps central en activité. Reconnaissons-le ! Mais force est de constater, quand on observe les statistiques du chômage des jeunes, qu'il vaut mieux avoir un diplôme, quel qu'il soit, pour trouver du travail, même si malheureusement le fait d'en avoir un n'est pas une garantie absolue.

Mme Pompili, nous sommes tenus, dans le cadre du travail parlementaire, de respecter à tout le moins l'esprit de l'article 40 de la Constitution qui empêche les parlementaires de proposer des dispositions législatives coûteuses. C'est pourquoi nombre de préconisations peuvent être mises en oeuvre à budget constant, le « toujours plus » n'étant pas gage de réussite politique, même s'il faut que nous demeurions aussi en mesure, collectivement, de faire évoluer les choix budgétaires.

Je vous rejoins, en revanche, sur les différences de taux d'encadrement. Ainsi, les classes préparatoires aux grandes écoles (CGPE) bénéficient d'un taux d'encadrement de 50 % plus élevé que dans les universités. Elles peuvent en conséquence plus aisément se vanter de leur taux de réussite, et je ne suis pas sûr que, si le taux d'encadrement était le même en licence, l'écart de réussite serait le même qu'aujourd'hui.

Il y a aussi le fait que, s'agissant en particulier de l'orientation vers les sections de technicien supérieur (STS) ou les IUT, nombre de directeurs d'établissement préfèrent recruter des bacheliers généraux, voire des bacheliers S, précisément parce que cela leur assure des taux de réussite parfois supérieurs et leur permet, dans la compétition entre STS et IUT, d'améliorer leur attractivité pour les futurs candidats.

Depuis plusieurs années, les liens entre les établissements de l'enseignement supérieur et les entreprises, d'une part, et les régions, d'autre part, dans la détermination des cartes de formations professionnelles et technologiques, se sont singulièrement resserrés.

Dans un certain nombre de disciplines, notamment dans les licences par apprentissage, la difficulté à trouver un stage en entreprise tient au nombre élevé d'étudiants. Nous faisons un certain nombre de préconisations, visant à ce que les liens se resserrent encore davantage entre le monde professionnel et les universités qui, pour certaines d'entre elles, ont d'ores et déjà un modèle de développement économique – je pense notamment à Marne-la-Vallée ou à Cergy-Pontoise – adossé historiquement à l'apprentissage grâce à la proximité géographique d'un nombre d'entreprises suffisamment important.

En réponse aux remarques de Mme Buffet, je dirai que le rapport est loin de dévaloriser le baccalauréat. Nous estimons, au contraire, qu'il faut continuer à le valoriser. Le fait qu'il y ait 78 % de candidats reçus avant les épreuves de rattrapage est satisfaisant à cet égard.

Cela étant, si l'on veut lutter contre des filières qui sont tout sauf des filières engageant à des choix éclairés pour mener des études supérieures, il faut un socle commun, avec des options qui préparent au choix éventuel d'une orientation dans l'enseignement supérieur. Si nous arrivons à mettre un tel dispositif en place, nous pourrons revaloriser une véritable filière scientifique qui ne soit pas simplement la filière de celles et ceux qui peuvent se permettre de ne pas choisir. Car la caractéristique fondamentale du système de l'Éducation nationale, c'est que plus l'on avance sans choisir et se spécialiser, plus on a de chances d'obtenir à la fin les diplômes les plus convoités. Les grandes écoles sont ainsi de moins en moins des écoles de spécialisation : elles dispensent de plus en plus un enseignement général, ce qui a même amené certaines d'entre elles à développer le doctorat comme étape ultime de la formation.

En outre, le rapport est exigeant, c'est vrai, mais non pas à l'égard des seuls enseignants. Il l'est surtout au regard des rôles conjoints que doivent assumer, ensemble, les enseignants des lycées et les enseignants-chercheurs de l'enseignement supérieur. Ce n'est pas une exigence envers les enseignants, c'est une exigence envers un système qui, aujourd'hui, ne reconnaît pas, ou pas assez, l'engagement des enseignants-chercheurs dans la réussite en licence au travers d'un certain nombre de dispositifs pédagogiques. Plutôt que de laisser dans l'indifférence et sans reconnaissance les enseignants assurer, pendant quelques années souvent, cet engagement extrêmement chronophage au détriment de leurs recherches, le système doit mieux valoriser l'investissement des enseignants-chercheurs sur le terrain.

J'ai répondu en partie aux interrogations de M. Durand, même si je l'invite plutôt à demander l'évaluation tant attendue de la réforme des lycées à Mme la ministre de l'Éducation nationale elle-même.

S'agissant de la filière scientifique, M. Salen, il suffit d'interroger des responsables d'universités ou de grandes écoles scientifiques sur le niveau en mathématiques, physique ou chimie des bacheliers S récents pour faire le constat que cette filière est de moins en moins perçue, en dépit des efforts qui ont pu être réalisés les années précédentes, comme une filière scientifique, mais plutôt comme une filière générale permettant de ne pas choisir. Le résultat est, d'une part, qu'il y a cette filière générale qui exclut les autres, et, d'autre part, qu'elle est en conséquence insuffisamment scientifique, ce qui pose des problèmes d'attractivité et de qualifications pour la suite.

La remarque de Mme Genevard sur l'affectation prioritaire des bacheliers professionnels et technologiques en STS et en IUT et les risques qu'elle peut induire pour certaines filières est pertinente. C'est justement pour cette raison que l'affectation prioritaire prévue par la loi ESR ne passe pas par des quotas mais confie à chaque académie le soin de l'adapter aux spécificités des métiers auxquels préparent ces filières. Le rapport rappelle l'importance et le succès de cet acte de volonté politique, qui n'empêche en rien de faire preuve de souplesse afin de s'adapter aux réalités locales.

L'apparition du site internet Study Work qui était évoquée est une raison de plus pour élargir le système APB à des formations qui n'y figurent pas aujourd'hui. Cet angle mort du système d'orientation entraîne, il faut le reconnaître, une inégalité d'accès aux différents choix d'orientations. Il ne serait pas inutile, en outre, que l'administration de l'Éducation nationale se penche sur la multiplication des formations revendiquant abusivement des termes ambigus du type « bachelor » ou « graduate », qui n'ont aucune équivalence avec un diplôme national et entraînent parfois les enfants et les familles dans des voies sans issue.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur ce que pourrait être la réforme du baccalauréat et sur la façon dont seraient déterminées les matières « fondamentales ». Nous avons déjà déterminé, dans la loi, un socle commun. Nous ne sommes pas obligés, à chaque fois, de réinventer l'eau chaude ! Pour accéder aux études supérieures, il faut maîtriser un certain nombre de connaissances de base, que nous connaissons bien, mais il faut aussi veiller à ce que ce tronc commun ne soit pas trop large pour autant de façon à justifier l'existence d'options importantes préparant à des orientations futures.

Mme Attard, je reconnais volontiers que le marché de l'emploi n'est pas florissant, mais je puis assurer, pour avoir procédé à de nombreuses auditions et pour être l'élu d'un territoire doté d'une université qui développe les licences professionnelles et les formations courtes, que les jeunes qui suivent ces formations trouvent très souvent un travail qualifié, sans être contraints à un éloignement géographique important. Cela nous ramène à la nécessaire adéquation entre les formations offertes et le tissu économique environnant, et je suis, contrairement à vous, plutôt optimiste sur nos marges de progrès en la matière.

Mme Buffet nous a appelés à ouvrir un grand débat sur le rôle et les missions de l'école de la République. L'école de la République a toujours rencontré le succès quand elle marchait sur ses deux jambes, c'est-à-dire quand elle formait des citoyens et qu'elle permettait en même temps à tous ses élèves de trouver, à quelque niveau que ce soit, leur place dans le système productif – et je rappellerai que Proudhon n'opposait pas le citoyen et celui qu'il désignait du beau mot de « producteur ». Pour le faire, elle doit donner sa chance à chacun, et je dirai à cet égard pour conclure que, si je devais qualifier l'esprit de ce rapport, je parlerais simplement de « bienveillance ».

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