Intervention de Gilles Lurton

Séance en hémicycle du 15 septembre 2015 à 16h00
Adaptation de la société au vieillissement — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Lurton :

Si, vous nous l’avez dit à plusieurs reprises. Cela figure au compte rendu des commissions.

Les personnes âgées et les familles de notre pays restent, bien sûr, dans l’attente de ces évolutions. Le texte que vous nous présentez est effectivement un premier pas et nous souscrivons à un très grand nombre de ses dispositions. Pour recueillir l’assentiment du plus grand nombre d’entre nous, il me semble cependant que quelques points précis mériteraient un nouvel examen en commission.

En premier lieu, le projet de loi a beaucoup évolué depuis le mois de juillet 2014, où nous l’examinions en première lecture. Le Sénat a enrichi le texte de nombreuses contributions. J’ai participé à de nombreuses auditions menées par Mme la rapporteure et je salue la façon dont elle s’est approprié ce texte en deuxième lecture.

Ces auditions et les réunions des commissions vous ont conduite, madame la secrétaire d’État, à entreprendre d’importantes modifications par le biais d’amendements très conséquents déposés en commission des affaires sociales le 15 juillet dernier. Nous aurions eu besoin d’un peu plus de recul pour mieux appréhender ces nouvelles dispositions.

Le premier sujet qui pose encore beaucoup de questions aujourd’hui concerne l’article 32 bis qui, au moyen d’un amendement de quatre pages déposé en commission par le Gouvernement, supprime le régime de l’agrément au profit du seul régime de l’autorisation. Le régime de l’agrément était pourtant le seul qui fût assorti d’un cahier des charges national assurant une homogénéité de qualité sur le territoire depuis plusieurs années.

Bien que votre amendement introduise un cahier des charges national qui précisera les conditions de fonctionnement des régimes désormais soumis à autorisation, nous craignons que votre système conduise à un fractionnement des pratiques en laissant aux 102 conseils départementaux autant de possibilités d’appréciation du système à mettre en place, à propos notamment du recours ou du non-recours au contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens – CPOM –, des critères d’autorisation au-delà d’un cahier des charges national ou des critères d’habilitation.

Chaque conseil départemental pourra désormais développer des règles et des pratiques qui lui seront propres, complexifiant ainsi les démarches des structures existantes et risquant par conséquent d’accentuer les disparités entre territoires.

J’ai noté que, ce soir ou demain, en séance, vous nous proposerez 11 nouveaux amendements à l’article 32 bis. Deux de ces amendements portent sur l’alinéa 9 et tous comportent le même exposé sommaire.

Nous n’avons pu prendre connaissance de ces amendements que très tard hier soir, mais ils appelleront déjà de notre part plusieurs interventions qui auraient certainement nécessité une discussion en commission.

À titre d’exemple, je lis dans l’exposé sommaire commun à l’ensemble des amendements déposés par le Gouvernement à l’article 32 bis qu’en cas de refus par le président du conseil départemental d’une demande d’autorisation d’extension ou d’habilitation à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale formulée par un service d’aide et d’accompagnement à domicile, le conseil départemental a l’obligation de l’informer des motifs de son refus. Je ne vois pas, en revanche, comment cette disposition est formulée dans la rédaction de l’amendement no 305 complétant l’alinéa 27.

En effet, la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, à laquelle se réfère cet amendement, précise bien que le président du conseil général ne motive sa décision que lorsqu’il est saisi d’un recours contentieux de l’intéressé dans les délais fixés par la loi. En aucun cas le conseil départemental n’a l’obligation d’informer d’emblée des motifs de son refus, comme le précise l’exposé sommaire de l’amendement no 305 . Ce sont là autant d’arguments qui auraient nécessité un travail en commission – et ce n’est qu’un exemple.

Nous craignons les conséquences de ces dispositions, sur lesquelles ni les collectivités concernées, ni les structures professionnelles privées n’ont été consultées. Ce seul point aurait mérité, à notre avis, de nouvelles auditions. Les observations qui nous ont été adressées sur ce sujet depuis le mois de juillet le démontrent largement.

Nous savons tous, et je vous l’ai déjà dit au début de mon intervention, que les besoins des personnes âgées, surtout quand elles sont maintenues à domicile, seront croissants dans les années à venir.

Or, votre amendement aura pour conséquence, après 2022, d’empêcher de nombreux porteurs de projets de déposer des demandes d’autorisation auprès des conseils départementaux en dehors des procédures d’appel à projets. Il existe un vrai décalage entre cette mesure et la réalité des besoins des personnes en situation de fragilité. Elle favorise les acteurs établis, au détriment de toute nouvelle initiative, parfois très novatrice pourtant.

L’article 32 bis, dans sa rédaction actuelle, risque également d’avoir une incidence sur le fonctionnement des très nombreuses structures privées d’aide à la personne qui se développent dans notre pays et qui sont devenues aujourd’hui plus que nécessaires face à la demande croissante d’interventions pour les personnes âgées.

Il ne s’agit pas d’opposer deux modes de gestion des structures d’intervention. D’importants besoins existent et, qu’ils soient publics ou privés, tous les intervenants doivent pouvoir jouer leur rôle en complémentarité les uns des autres. Ils sont aussi la condition du libre choix de chacun.

Je voudrais en outre insister sur la place accordée à l’emploi à domicile entre particuliers en tant que véritable mode d’accompagnement des personnes bénéficiaires des prestations sociales. Ce mode d’intervention n’est pas cité dans le texte, alors qu’il répond pourtant à des besoins très importants exprimés par plus de 200 000 particuliers employeurs de plus de 60 ans qui bénéficient des prestations sociales.

Madame la rapporteure, vous avez été interpellée sur ce sujet à l’occasion des auditions que vous avez conduites préalablement à la réunion de la commission du 15 juillet et au cours desquelles vous m’aviez semblé appréhender parfaitement cet enjeu. Le texte qui nous est soumis n’en tient pourtant pas compte.

L’article 32 bis, dans sa nouvelle rédaction, est sans effet sur les structures qui interviennent en mode mandataire. Nous ne pouvons qu’en conclure que ces structures demeurent sous le régime de l’agrément et restent en mesure d’accompagner les particuliers employeurs éligibles à l’APA.

C’est, du reste, ce que dit le Gouvernement dans l’exposé sommaire de l’amendement qu’il a présenté à l’article 32 bis : « la disposition est sans effet sur les agréments service à la personne qui n’entrent pas dans le champ du droit d’option ainsi que sur les services à la personne mandataire ».

Nous aurions souhaité que vous en tiriez les conséquences en insérant une mention spécifique dans le texte même du projet de loi et en reconnaissant ainsi les structures mandataires agréées. Ce point a été oublié. Il mériterait pourtant que nous en reparlions en commission.

En l’état actuel, de nombreuses interrogations demeurent sur le statut de particulier employeur en situation de dépendance comme participant à part entière des politiques publiques de la perte d’autonomie.

Conformément à ce que vous avez réaffirmé à plusieurs reprises, nous devons garantir le principe fondamental du libre choix de la personne et, ainsi, préserver le respect de sa vie privée et de sa dignité. La personne âgée, même elle si souffre d’une perte d’autonomie, demeure un être capable de prendre des décisions sur l’accompagnement qui répond le mieux à ses besoins.

Madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, je voudrais aussi insister sur la difficulté que nous avons à reprendre au mois de septembre un texte qui a été examiné en commission le 15 juillet dernier, avant une interruption estivale de quatre semaines. Je pense vraiment qu’un nouvel examen en commission est nécessaire au début de cette session extraordinaire pour reprendre les amendements très importants déposés par le Gouvernement au mois de juillet et les examiner une nouvelle fois à la lumière des très nombreuses observations qui nous ont été faites.

J’ajoute que les 45 nouveaux amendements déposés par le Gouvernement préalablement à l’examen de ce texte en séance, qui ont reçu un avis favorable de Mme la rapporteure, nous confortent dans notre demande de renvoi en commission.

Je l’ai déjà dit, pas moins de 11 amendements portent sur l’article 32 bis, ce qui montre bien, une fois encore, la nécessité d’un nouvel examen de cet article en commission.

Nous n’avons eu connaissance de ces amendements qu’hier soir. Or, le président de la commission des lois, M. Jean-Jacques Urvoas, nous demande instamment de ne plus légiférer dans l’urgence. Il va même plus loin en obtenant des membres de votre majorité siégeant à la commission des lois de ne plus voter les amendements significatifs de dernière minute. Dès lors, quelle sera la conduite de votre majorité sur ce texte ?

Madame la secrétaire d’État, nous approuvons la nécessité de légiférer sur l’adaptation de la société au vieillissement de la population. Comme vous, nous sommes pleinement conscients qu’il est de notre responsabilité commune de trouver des solutions pour permettre à nos personnes âgées de bien vieillir.

En ce sens, nous pensons qu’un texte sur ce sujet pourrait être adopté à l’unanimité de la représentation nationale. Il serait donc profondément regrettable que, par manque de recul sur les dispositions introduites dans votre projet depuis la première lecture en juillet 2014 et sur les évolutions qu’il va encore subir dans les heures à venir, nous ne votions pas votre texte, alors même que nous pourrions souscrire à certaines de vos nouvelles propositions.

Pour toutes ces raisons, nous avons besoin d’un travail supplémentaire et nous vous demandons un renvoi en commission de ce projet de loi pour l’adaptation de la société au vieillissement.

Je vous demande donc, mes chers collègues, d’adopter cette motion de renvoi en commission.

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