Intervention de Michel Vauzelle

Séance en hémicycle du 17 septembre 2015 à 9h30
Approbation de l'accord france russie sur les bâtiments de projection et de commandement — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vauzelle, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord du 5 août sur la cessation du contratMistral présente trois types d’enjeux, que M. le ministre vient d’indiquer à l’instant : un enjeu politique, qui est le plus important, un enjeu budgétaire, enfin un enjeu économique pour les entreprises concernées.

La dimension politique du dossier est primordiale. La décision de cessation du contrat est avant tout une décision politique ce qui, à mes yeux, suffit dans ce dossier. La primauté du politique a été affirmée dès le début dans cette affaire. Le président de DCNS, Hervé Guillou, nous l’a rappelé au cours de son audition : le contrat commercial n’a été signé, en juin 2011, qu’après un accord intergouvernemental de janvier de la même année. Le gouvernement d’alors avait formellement donné sa garantie à la mise en oeuvre de ce contrat. La décision de vendre à la Russie des navires qui sont des « bâtiments de projection de force » était-elle opportune ? Quelle cohérence avait la politique menée alors ?

En 2008, la France avait accepté, lors du sommet de l’OTAN à Bucarest, que la Géorgie et l’Ukraine se voient reconnaître une perspective d’adhésion. Nous avons donc alors accepté la perspective d’une alliance militaire avec la Géorgie. Puis il y a eu la guerre russo-géorgienne, qui fut suivie d’un cessez-le-feu obtenu par la médiation française, mais sans aucune solution politique. Ce sont probablement les limites de l’appareil militaire russe durant cette guerre qui ont ensuite convaincu les dirigeants russes de l’intérêt d’acquérir des navires français, malgré leur préférence habituelle pour des armes fabriquées dans leur pays. On prête au commandant en chef de la marine russe d’alors une déclaration fort intéressante, selon laquelle la possession de BPC aurait permis à la Russie de gagner la guerre de Géorgie en quarante minutes au lieu de vingt-six heures.

Le contexte n’a pas empêché la négociation et la signature du contrat. Il est vrai que l’on ne pouvait pas prévoir la crise ukrainienne, mais le gouvernement de 2001 ne pouvait pas ignorer cette crise de Géorgie et il savait qu’il s’engageait dans une voie pour le moins incertaine et risquée.

Depuis lors sont survenus en Ukraine les événements dramatiques que nous connaissons tous. J’ai suffisamment démontré, au cours de ma longue– quoique discrète ! – carrière politique que j’étais un ami de la Russie pour n’avoir nul besoin de le rappeler ici. Mais l’amitié ne peut évidemment pas tout excuser. Nous devons avoir conscience que la crédibilité de la France est en jeu dans ce dossier. Notre puissance relative n’est plus, dans le monde actuel, ce qu’elle a été dans le passé. Mais, demain comme aujourd’hui, la France restera toujours une grande puissance morale. Elle continue à compter, sa voix porte, parce que sa diplomatie est fidèle à quelques grands engagements.

L’un d’eux est l’engagement en faveur d’un ordre international fondé sur le droit. Après 1945 et la chute des régimes nazis et fascistes, qui avaient inventé toutes sortes de pseudo-justifications raciales pour étendre par la guerre leur prétendu espace vital, la communauté internationale a placé au coeur de ses principes le respect de la souveraineté et des frontières des États. Ces principes figurent notamment dans la Charte des Nations Unies. Depuis 1945, il n’y a eu qu’un nombre très limité, peut-être une demi-douzaine, d’annexions unilatérales par la force de territoires. Ces déclarations d’annexion n’ont en règle générale pas été reconnues par la communauté internationale.

L’annexion de la Crimée n’est donc pas un fait anodin, non plus que la participation de peut-être 10 000 soldats russes au conflit du Donbass, qui aurait fait 7 000 morts, 17 000 blessés et deux millions de déplacés.

L’engagement pour la construction d’une Europe plus politique est une constante de notre diplomatie. La crise migratoire actuelle démontre la validité de cette position. Si la France veut jouer face à cette crise un rôle central, dont on mesure combien il est nécessaire, elle doit veiller à préserver la position de force morale qui est la sienne et de rassemblement de tous les pays européens, y compris ceux de l’Est. Elle nous rappelle que dans les situations d’urgence, la seule application des textes ne règle rien. L’Europe du marché unique et des directives n’a pas la solution. Celle-ci sera nécessairement politique.

ll nous faut aujourd’hui convaincre tous nos partenaires européens de la nécessité d’une réponse commune solidaire. En contrepartie, nous devons prendre en compte leurs préoccupations, notamment celles des pays d’Europe de l’Est.

À l’est et au nord de l’Europe, la Russie est souvent devenue ou redevenue la principale préoccupation en politique étrangère. Il faut en tenir compte.

ll nous faudra aussi reprendre la construction de l’Europe politique et de la défense. Qui peut croire que nous serions audibles en Pologne, dans les pays baltes ou en Suède pour parler d’Europe de la défense si nous avions livré les Mistral ? Livrer ces navires aurait été aller à l’encontre de toutes nos positions depuis des années et aurait ruiné notre crédibilité.

Certains ont prétendu qu’il aurait été possible de rester dans la situation des derniers mois, avec un contrat suspendu, sans livraison des navires mais sans dénouement du contrat. Cette option était impossible : elle aurait présenté des risques contentieux et financiers considérables, que la France ne pouvait pas accepter. Pour rester dans le domaine politique, cela aurait paralysé notre diplomatie pendant des années. Cela aurait continué à empoisonner nos relations avec l’Ukraine et les pays les plus engagés dans le soutien à ce pays. Cela aurait affaibli la position de médiation que nous avons su prendre avec l’Allemagne dans le conflit du Donbass. Cela aurait même empêché la relance de notre relation bilatérale avec la Russie elle-même. Or nous la souhaitons tous.

Je voudrais insister sur un élément très encourageant. Toutes les personnes qui ont pris part aux négociations ont salué la bonne volonté de la partie russe. Elle était tout aussi convaincue que nous de la nécessité de trouver un arrangement. Nous le devons sans doute aux bonnes relations entre les présidents Poutine et Hollande. Au-delà, je pense que les Russes eux-mêmes souhaitent conserver de bonnes relations avec la France.

J’aborderai plus brièvement les enjeux budgétaires et industriels. L’accord passé réduit les coûts au minimum, puisque nous n’avons remboursé que les 893 millions d’avances reçues, sans intérêts financiers et 57 millions de frais engagés par les Russes et perdus pour eux. Il n’y a pas non plus de pénalités, alors que le contrat commercial en prévoyait.

Selon le président de DCNS, un recours aux clauses d’arbitrage inscrites dans le contrat aurait pu coûter des milliards. En outre, il y aurait pu y avoir un double contentieux arbitral puisque l’accord intergouvernemental de 2011 comprenait aussi une clause d’arbitrage. Il engageait le gouvernement français, qui donnait sa garantie sur la réalisation du contrat commercial.

À l’inverse, l’accord du 5 août dernier garantit la paix juridique, qui en l’espèce mérite bien son nom. Il permet aussi – autre point essentiel – de revendre les navires sans avoir à demander l’autorisation de la Russie. Le coût global de l’affaire pourra donc être réduit du produit de cette revente.

En interne, il y a bien sûr des débats sur les conditions d’indemnisation de nos entreprises et il est évident que nous ne connaîtrons qu’a posteriori le bilan exact de l’affaire, tant pour les finances publiques que pour les entreprises.

Mais nous sommes déjà certains d’un point : il n’y aura pas de conséquences directes sur l’emploi. La construction des deux navires a été menée à terme et les coûts des entreprises sont couverts à 100% par la COFACE, comme l’a décidé le Gouvernement. Ce taux n’était initialement que de 95 %, conformément au droit commun.

Enfin, l’accord ouvre des perspectives à nos entreprises dans des pays qui n’auraient certainement pas envisagé d’acheter des armements français si les BPC avaient été livrés à la Russie. Je pense notamment à la Pologne, où nous espérons placer pour plusieurs milliards d’euros d’hélicoptères et de sous-marins.

La commission des affaires étrangères a adopté le présent projet de loi à l’unanimité des présents, ce qui me semble un bon signe. Je vous invite donc, mes chers collègues, à faire de même.

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