Intervention de Gilda Hobert

Séance en hémicycle du 17 septembre 2015 à 15h00
Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilda Hobert :

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, une cigarette sur dix fumée dans le monde proviendrait du commerce illicite du tabac. C’est considérable quand on sait combien le tabac est un fléau de société.

Les chiffres nous le disent. Chaque année, il y a 6 millions de décès dans le monde, dont 10 % sont dus au tabagisme passif. C’est la première cause de décès évitable chez les adultes, un décès sur dix étant lié au tabac. La moitié du milliard de fumeurs dans le monde mourront d’une maladie liée au tabac. Plus préoccupant encore, la mortalité liée au tabac continue de croître : l’OMS prévoit que, d’ici à 2030, si rien n’est fait pour réduire le tabagisme, le nombre annuel de décès liés au tabac atteindrait plus de 8 millions.

Sa consommation a aussi un coût économique. Elle grève les dépenses directes de santé des fumeurs malades. Elle fragilise aussi les systèmes d’assurance maladie en raison de la prise en charge de long terme de maladies chroniques liées au tabac. En France, le tabac tue vingt fois plus que les accidents de la route. La prévalence du tabagisme a augmenté depuis 2005, particulièrement chez les jeunes, les chômeurs et les femmes âgées, et atteint désormais le tiers des fumeurs quotidiens, dont une grande partie se trouve chez les jeunes de 17 ans.

Le commerce illicite compromet l’efficacité des politiques de lutte anti-tabac. Il facilite l’accès aux produits du tabac, notamment pour les plus jeunes. Il rend moins efficaces les hausses du prix des produits du tabac par taxation promues par l’OMS. Rien qu’en Europe, les produits illicites du tabac représenteraient entre 6 % et 10 % du marché. Au niveau mondial, il a été estimé en 2010 que le total des pertes de revenus fiscaux pour les gouvernements serait de 40 milliards de dollars.

Il faut insister enfin sur le fait que ce commerce illicite est souvent lié aux réseaux de criminalité organisée – trafic d’armes, de drogue ou de médicaments – qui mettent en péril la sécurité publique.

Face à ce constat accablant, plusieurs politiques ont été décidées.

En France, après plusieurs rapports et avis, une nouvelle politique structurée de lutte contre le tabac a été entreprise. Dans cette perspective, le Président de la République a annoncé en février 2014 l’élaboration d’un programme national de réduction du tabagisme. Articulé autour de trois axes, protéger les jeunes, aider les fumeurs à arrêter et agir sur l’économie du tabac, ce programme a pour principaux objectifs de faire baisser de 10 % le nombre de fumeurs d’ici à cinq ans, de descendre en dessous des 20 % de fumeurs dans dix ans et de constituer la première génération née dans un environnement sans tabac en 2030. Espérons !

Au niveau européen, a été adoptée en avril 2014 une directive relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et produits connexes. Elle offre ainsi la possibilité aux États membres de mener des politiques sanitaires cohérentes sur le territoire de l’Union.

Cependant, l’essor du tabagisme dépasse largement notre territoire et celui de l’Union européenne. Sa mondialisation est facilitée par un ensemble de facteurs complexes et transfrontaliers, notamment la libéralisation des échanges commerciaux et le mouvement international des cigarettes de contrebande ou contrefaites.

C’est dans ce contexte qu’a été décidée l’élaboration d’instruments juridiques internationaux pour la lutte anti-tabac.

Ainsi, un protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac a été adopté en novembre 2012 lors de la cinquième conférence des parties de la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac, placée sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé. Il vise à lutter contre ce trafic afin de compléter les politiques sanitaires de réduction du tabagisme. Il accroît les contrôles de la chaîne logistique par la mise en oeuvre de systèmes de suivi et de traçabilité, avec l’application d’un marquage unique, sécurisé et indélébile sur chaque produit. Il renforce les sanctions pénales pour le trafic et développe l’échange d’informations et la coopération internationale entre les services de répression de fraudes ainsi que les services judiciaires.

Lors de la cérémonie de signature du protocole, le 10 janvier 2013 au siège de l’OMS, douze États représentant les six régions de l’OMS l’ont signé. La France, représentant la région européenne, faisait partie de ces premiers signataires. Depuis le 10 janvier 2013, cinquante-cinq parties l’ont signé, dont quinze pays de l’Union européenne. Au 1er mars 2015, six parties l’avaient ratifié : Nicaragua, Uruguay, Gabon, Mongolie, Autriche, Espagne.

Sa ratification aura de grandes conséquences nationales, en premier lieu sur le plan sanitaire.

En effet, elle devrait permettre de mieux lutter contre le commerce illicite et donc de préserver l’efficacité de la politique fiscale française, qui veut des prix élevés pour rendre les produits du tabac moins accessibles, notamment pour les populations les plus vulnérables, et pour faire reculer la prévalence de consommation de tabac en France et, par conséquent, la prévalence de maladies liées à cette consommation.

L’efficacité des hausses significatives du prix sur la réduction de la consommation, en particulier chez les jeunes, qui présentent la plus grande sensibilité aux variations de tarif, a été soulignée par plusieurs organismes internationaux. Les derniers rapports sur la lutte contre le tabac en France formulent des recommandations convergentes sur la nécessité de poursuivre une politique des prix du tabac motivée par des considérations de santé publique.

La mise en oeuvre du protocole pourrait aussi avoir des conséquences fiscales positives. Le commerce illicite fait en effet perdre à l’administration fiscale française et européenne un montant significatif en termes de taxes et droits non récupérés.

La Commission européenne estime ainsi qu’il représenterait dans l’Union 8,5 %, et que sa part aurait augmenté de 30 % ces six dernières années. Le manque à gagner fiscal est lourd : il s’élèverait à plusieurs milliards de dollars au niveau mondial. Mais, comme vous l’avez dit, madame la ministre, il convient aussi d’accompagner les buralistes vers une diversification de leur métier. Ils contribueront ainsi, eux aussi, à cet enjeu de santé.

Il s’agit en effet de sauver des milliers de vies en France et des millions en Europe et dans le monde. Seule une réponse internationale forte et déterminée permettra de mettre fin à ces trafics, d’assurer une meilleure efficacité aux politiques de santé publique et de renforcer la sécurité dans les zones cibles de ces marchés. Assurément, le respect du protocole le permettra. C’est la raison pour laquelle le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient le projet de loi autorisant sa ratification.

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