Intervention de Bruno Le Roux

Séance en hémicycle du 17 septembre 2015 à 15h00
Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Le Roux :

Le protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite du tabac qui nous est présenté aujourd’hui est essentiel à notre politique de lutte contre le tabagisme. Ce protocole va nous donner les outils juridiques nous permettant de lutter encore plus efficacement contre le commerce parallèle de tabac.

Ce commerce parallèle est un véritable fléau. Il joue sur le prix du paquet alors même que nous savons, et l’OMS le dit aussi, que le prix est la meilleure arme contre le tabagisme. Un tiers des adolescents qui fument deviennent des adultes fumeurs réguliers. Or, le prix est un élément dissuasif chez les adolescents, beaucoup plus que chez les adultes. C’est en jouant en particulier sur le prix que l’on peut éviter que des jeunes ne se retrouvent sous l’emprise du tabac.

En ce sens-là, nous le voyons bien, le commerce parallèle du tabac sape notre politique de santé publique. Qui plus est, il ronge nos recettes fiscales et rogne le chiffre d’affaires des buralistes, qui maillent notre territoire d’autant de lieux de proximité.

Quelques chiffres pour montrer l’ampleur et la nocivité de ce phénomène. D’abord, l’Organisation mondiale de la santé estime que 12 % des 6 000 milliards de cigarettes commercialisées chaque année dans le monde font l’objet d’un commerce illicite. En France, ce sont plus de 20 % des cigarettes consommées qui sont achetées hors du réseau officiel des buralistes. Cela représente un manque à gagner fiscal de plus de 2,5 milliards d’euros chaque année, soit une somme supérieure à la baisse d’impôt que nous allons adopter en loi de finances ! Ce n’est pas rien. Imaginons nos marges de manoeuvre, notamment en matière de santé publique, si ces sommes entraient dans les caisses de l’État ! Et le manque à gagner pour les buralistes serait d’environ 250 millions d’euros par an.

Mais ce qu’il faut savoir également, c’est que plus de 90 % de ce commerce parallèle est composé de vraies cigarettes, fabriquées et commercialisées par les fabricants de tabac eux-mêmes. Ce sont eux les premiers bénéficiaires de ce trafic et de ce commerce parallèle ! Et ce sont eux parfois qui l’organisent et l’alimentent.

Ils le font de deux manières : soit ils vendent leurs cigarettes à des intermédiaires installés notamment dans des pays de l’Europe de l’Est, où les taxes sont quasiment inexistantes, et elles sont ensuite acheminées dans nos pays à forte fiscalité ; soit ils sur-approvisionnent les pays de l’Europe de l’Ouest à fiscalité douce, dans lesquels des vendeurs viennent constituer leur stock. Il faut savoir que quand les buralistes ont manifesté en septembre dernier, ils ont été soutenus et encouragés par les fabricants de tabac, ceux-là mêmes qui organisent ce commerce parallèle ! Quand on connaît les marges des cigarettiers, on ne peut que constater qu’ils poussent le cynisme jusqu’au bout.

Mes chers collègues, le tabac dans notre pays, c’est 78 000 morts chaque année. Quant au coût social estimé, j’allais parler de 47 milliards d’euros, mais vous l’avez évalué, madame la ministre, à 120 milliards… En tout cas, c’est énorme pour notre pays, et nous ne savons peut-être même pas vraiment comment l’évaluer. Les taxes et la TVA sur les ventes de tabac rapportent, elles, 14 milliards d’euros. Nous soutiendrons toutes les dispositions qui pourront nous être présentées pour réduire la consommation de tabac. Les chiffres que je viens de citer parlent d’eux-mêmes ! C’est la raison pour laquelle le groupe SRC soutiendra toutes les mesures proposées par le Gouvernement, notamment dans le cadre du projet de loi santé que vous défendez, madame la ministre, ainsi que du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale qui vont arriver.

Mais, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, la majorité parlementaire est très sensible à la situation des buralistes dont beaucoup, situés près des zones frontalières, dans les quartiers et les zones rurales, éprouvent des difficultés. J’ai ainsi demandé dès le mois d’avril 2015 à Frédéric Barbier, député du Doubs, de réfléchir aux mesures qu’il conviendrait de prendre pour garantir la pérennité des buralistes sans engager de dépenses nouvelles pour l’État. Il ne doit rendre son rapport que dans quelques semaines, mais il apparaît déjà que plusieurs mesures s’imposent : celles qui relèvent de la lutte contre le commerce parallèle, dont nous débattons aujourd’hui ; celles qui pourraient conduire à une amélioration de la rémunération des buralistes les plus fragiles par une meilleure répartition des recettes du tabac entre fabricants et buralistes ; enfin, celles qui plaident pour une harmonisation par le haut et au niveau de l’Europe de la fiscalité sur le tabac telle que proposée par la résolution européenne que nous avons adoptée en juin dernier.

Je ne détaillerai pas ici les dispositions contenues dans le protocole de l’OMS, tous ceux présents ici les connaissent. Je n’en citerai que quelques-unes : les actions sur la délivrance de licences pour l’importation, l’exportation et la fabrication de produits du tabac ; la mise en place de systèmes de suivi et de traçabilité ; les sanctions contre les responsables du commerce illicite. Ce protocole érige également en délit la production illicite et la contrebande transfrontalière.

C’est la raison pour laquelle le groupe SRC soutient ce projet de loi qui doit permettre à la France d’être le premier pays de l’Union européenne à mettre en place la traçabilité indépendante des produits du tabac. Il faut en avoir la volonté, madame la ministre, et le groupe majoritaire entend y contribuer à travers un dialogue avec le Gouvernement : nous souhaitons que cette traçabilité indépendante soit mise en oeuvre au 1er juillet 2016 car ce système permettra d’empêcher la circulation de cigarettes à bas prix, de récupérer, nous sommes en droit de l’espérer, des recettes fiscales supplémentaires, soit tout ou partie des 3 milliards d’euros annuels de manque à gagner fiscal, et surtout de stopper cette concurrence déloyale dont souffrent les buralistes. Je souhaite vraiment que ces objectifs soient partagés sur tous les bancs de notre hémicycle. Le groupe SRC tient à ce que ce protocole entre en vigueur après sa ratification le plus rapidement possible, parce que nous pensons qu’il en va de la qualité de notre politique de santé publique et de son efficacité.

Il est un dernier point sur lequel je souhaite attirer votre attention, même si vous nous avez déjà rassurés. Méfions-nous toujours des bonnes intentions qui se perdent dans les méandres du droit et qui créent de faux espoirs. Ainsi, ce protocole de l’OMS, la directive tabac et l’article 569 du code général des impôts évoquent tous les trois la traçabilité des produits du tabac. Pourtant, ils n’en parlent pas de la même manière et cela peut permettre au final, si nous n’y prenons garde, que le contrôle de la traçabilité de la production de cigarettes soit confié…aux fabricants eux-mêmes. Une telle perspective serait pour nous inadmissible. Il faut des instances et une traçabilité totalement indépendantes. Et se tourner vers l’Europe ne suffit pas : il faut vraiment que toutes les preuves d’indépendance soient réunies pour que la traçabilité puisse être mise en oeuvre. Dès que nous aurons ratifié le protocole, le lancement d’un appel d’offres, au moins pour notre pays, devrait nous rassurer sur cette question.

Il apparaît, madame la ministre, que la ratification de ce protocole par la France devra nécessairement, comme l’a dit mon ami et collègue Gabriel Serville, entraîner la modification de l’article 569 du code général des impôts, ce que nous proposerons, nous aussi, dès les prochaines discussions budgétaires.

Je cite pour conclure le docteur Chan, directeur général de l’OMS : « Le protocole est un instrument juridique unique au monde pour combattre et, à terme, éliminer une activité criminelle très perfectionnée. Pleinement appliqué, il renflouera les caisses de l’État et permettra de dépenser davantage pour la santé. »

La lutte contre le tabagisme demande une mobilisation de tous, une politique de santé publique sériée, offensive et résolue. Nous savons que vous vous y attachez, madame la ministre, au prix d’ailleurs de devoir bousculer un certain nombre de choses dans l’action quotidienne que vous menez. C’est pourquoi le groupe SRC vous apportera sur ce texte comme sur les autres son entier soutien.

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