Intervention de Bérengère Poletti

Séance en hémicycle du 10 décembre 2015 à 9h30
Adaptation de la société au vieillissement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérengère Poletti :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous voici aujourd’hui au bout d’un parcours parlementaire particulièrement long : je rappelle que la rapporteure pour ce texte – Mme Pinville à l’époque, – a été nommée en avril 2014 par la commission des affaires sociales. Cette dernière version du projet de loi a fait l’objet d’un accord de la commission mixte paritaire la semaine dernière.

Bâti sur trois grands principes – anticiper, adapter, accompagner –, ce projet de loi est un texte de compromis, qui comporte des mesures intéressantes sur la gouvernance, la revalorisation des plans d’aide à domicile, le logement. La question des aidants est aussi abordée, ce que nous saluons.

Une enveloppe de quatre-vingt millions d’euros a été prévue pour financer une semaine de prise en charge d’une personne dépendante, afin que ses proches puissent souffler. Cela correspond à environ 160 000 aidants soutenus. C’est un bon début, mais ce chiffre est à comparer aux 4,3 millions d’aidants familiaux qui répondent, le plus souvent seuls, aux besoins de leurs proches.

Deux aidants sur dix, soit environ 690 000 personnes, ressentent aujourd’hui une charge importante, synonyme de fatigue morale ou physique. Parmi eux, 56 % déclarent que le fait d’aider affecte leur santé. Ils sont également 18 % à déclarer avoir renoncé, au cours des douze derniers mois, à des soins alors qu’ils en ressentaient le besoin. Près d’un aidant sur deux est atteint de dépression au bout de deux à trois ans, et des études ont montré que 30 % des proches qui accompagnent une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer décèdent avant elle. Le chemin à parcourir reste encore important sur le sujet, et les aidants sont un des défis de notre politique publique du vieillissement.

Le financement de ces mesures est assuré par la CASA, payée par les retraités imposables depuis 2013. Elle rapporte aujourd’hui plus de sept cents millions d’euros. C’est une ressource dynamique car les retraités sont de plus en plus nombreux. Il est impossible cependant de ne pas mentionner le détournement de plus de 1 milliard d’euros du produit de cette taxe. Il est temps que ces ressources servent à ce pour quoi cette taxe a été créée, c’est-à-dire l’accompagnement du vieillissement.

L’accompagnement du vieillissement de notre population doit être au centre de nos politiques publiques. Les chiffres sont éloquents : selon l’INSEE, en France, 22,3 millions de personnes seront âgées de soixante ans ou plus en 2050, contre 12,6 millions en 2005, soit une hausse de 80 % en quarante-cinq ans. Quant aux plus de quatre-vingt-dix ans, qui sont 500 000 à l’heure actuelle, ils devraient être sept fois plus nombreux en 2050.

Si aucune mesure d’envergure n’est prise pour nous préparer à cette mutation démographique, elle pourrait s’accompagner d’importants risques économiques et sociaux, comme la forte augmentation des dépenses sociales, des conflits générationnels et une augmentation de la pauvreté chez les plus âgés. Pourtant l’accompagnement du vieillissement est à notre portée, à condition de modifier nos modes de vie, d’habitat, de conditions d’emploi et de santé. C’est aussi une réforme culturelle.

C’est ce que propose en partie ce texte, même si nous regrettons qu’il fasse l’impasse sur plusieurs sujets, notamment sur le financement. Tous les acteurs de la politique publique du vieillissement sont unanimes : nous sommes encore loin des besoins réels.

Ce projet de loi n’apporte aucune réponse au problème pourtant majeur du reste à charge supporté par les familles pour leurs proches accueillis en établissement. Le sujet est à venir et les financements avec. Je rappelle qu’une personne âgée résidant en EHPAD doit sortir de sa poche entre 2 000 et 3 000 euros par mois, parfois plus, notamment en région parisienne, alors que la retraite moyenne des femmes – qui sont les plus concernées par ce sujet – est de 1 000 euros.

Vous avez décidé de privilégier le maintien à domicile, ce qui est compréhensible puisque les Français souhaitent rester chez eux le plus longtemps possible. Malheureusement, cela n’est pas toujours envisageable : la maladie d’Alzheimer et d’une manière générale les maladies de dégénérescence cérébrale nous contraignent souvent, lorsque l’état du malade se dégrade, à envisager l’admission en EHPAD.

La prise en charge de ces malades est incomplète, notamment dans le cadre du quatrième Plan Alzheimer, présenté le 18 novembre 2014. Intitulé « Plan maladies neurodégénératives 2014-2019 », il déçoit aujourd’hui les associations concernées par sa mise en oeuvre. Son application est repoussé en 2016, et ce retard entraîne un décalage entre ses objectifs et la réalité sur le terrain. En outre l’enveloppe consacrée au nouveau Plan Alzheimer est limitée à 470 millions d’euros, alors que 650 millions d’euros ont été effectivement utilisés pour mettre en oeuvre le plan précédent.

Ce budget doit par ailleurs couvrir les besoins d’un plus grand nombre de malades dont l’accompagnement diffère dans la pratiqu,.

Ce texte ne prévoit donc pas un financement global et cohérent de la prise en charge de la dépendance, pourtant capital, alors même que la charge supportée par les départements s’accroîtra.

Deuxièmement, rappelons que le montant total de l’effort public consacré à la dépendance est estimé à plus de 22 milliards, soit 1,1 % du PIB. Principalement supporté par les organismes de Sécurité sociale, les départements et l’État, on estime que ce coût pourrait s’élever à 30 milliards à l’horizon 2025, soit une hausse de près de 40 % en dix ans, sans même que les droits des personnes soient renforcés.

Le financement de la dépendance, notamment de l’aide à domicile, est très fragile et nécessitera d’actionner de nouveaux leviers financiers pour faire face à l’augmentation de la population, d’autant plus que ce texte augmente les droits des plus dépendants, relevant des groupe iso-ressources, ou GIR,1 et 2, pour un montant de 375 millions d’euros annuels, et institue un soutien aux aidants par la création du droit au répit.

Pour toutes ces raisons, le financement proposé se révélera très vite insuffisant, d’autant plus que les compensations par l’État des charges transférées aux départements sont déjà très en deçà des besoins.

Vous savez, madame la secrétaire d’État, combien les départements sont sollicités. Déjà en souffrance budgétaire, victime d’un redoutable effet de ciseaux et principaux contributeurs de l’APA, ils auront désormais la charge des procédures d’autorisation. Confrontés à des mesures inflationnistes, ils auront besoin d’une ingénierie et d’un personnel plus importants pour instruire les demandes, délivrer les autorisations mettre en place des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, ou CPOM, et pour recalculer les plans d’APA en cours. Dans mon département, ce sont 6 400 plans qui devront être rapidement recalculés et revalorisés.

Ces nouvelles charges inquiètent les services du conseil départemental des Ardennes : selon ses calculs, 500 000 euros supplémentaires seront nécessaires pour financer la nouvelle aide aux aidants et 4,5 millions supplémentaires pour la réévaluation des GIR en année pleine. Actuellement, le département des Ardennes dépense 28,740 millions pour l’aide à domicile des personnes âgées dépendantes, la compensation n’étant que de 9,290 millions. L’application de ce texte entraînera donc un surcoût de 5 millions en année pleine.

En revanche, le niveau de la compensation complémentaire qui sera financée par la CASA pour leur permettre de faire face à ces nouvelles dépenses est inconnue à ce jour, de même que son mode de calcul. Le conseil départemental ignore également ce que lui coûtera le volet prévention alors que cette information lui serait utile.

Vous le voyez, madame la secrétaire d’État, ces modifications entraînent des charges très lourdes pour les départements. Quand pourrez-vous leur dire à combien s’élèveront les compensations proposées ? Que prévoyez-vous de faire pour soutenir l’ingénierie de départements, eux qui sont dans le même temps, incités par l’État lui-même à réduire les frais de personnel ? Si je vous demande ces précisions, c’est pour éclairer des acteurs locaux qui liront le compte rendu de nos débats et devront appliquer concrètement, sur le terrain, ce projet de loi.

Entre contraintes économiques et exigences sociales – vous avez raison, monsieur Sirugue – la voie est étroite pour qui veut trouver une solution pour des départements déjà soumis à une réduction de leur dotation budgétaire et à une compensation très dégradée de leurs dépenses sociales.

Avant de conclure, je veux à mont tour saluer le travail constructif réalisé par vous et par votre cabinet, madame la secrétaire d’État, ainsi que par les deux rapporteures , Mme Pinville et Mme Huillier. Néanmoins, parce que ce texte ne tient pas compte de la « révolution de l’âge », le groupe Les Républicains s’abstiendra.

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