Intervention de Christophe Premat

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Premat, rapporteur :

Chers collègues, je vous remercie de vos questions auxquelles je m'attacherai à répondre par ordre chronologique avant de faire une synthèse sur l'alternative qui s'offre à l'AEFE : sanctuariser le budget ou bien mener une stratégie plus diversifiée, non exempte de risques.

Hervé Féron, vous avez insisté sur l'augmentation des frais de scolarité. Il faut le dire, les familles n'en peuvent plus. L'AEFE exerce un contrôle pédagogique sur l'enseignement français à l'étranger : elle doit être en phase avec la refondation de l'école, qui repose sur la réforme des rythmes scolaires, le développement des activités périscolaires et la réforme des programmes au collège. La charte de scolarité revue en 2013 incite clairement à ce que les plafonds des frais de scolarité soient explicitement mentionnés dans les conventions établies entre l'État et les établissements partenaires. Il est donc désormais clair que l'agence ne souhaite pas encourager le recours à la facilité qui consiste à les augmenter.

Vous avez évoqué le cas du lycée Winston-Churchill de Londres, établissement privé partenaire de l'AEFE. Sa création a répondu à l'objectif 1 du « plan écoles » de Londres qui vise une augmentation de la capacité de scolarisation des élèves français dans cette ville où la communauté française est tellement importante que Boris Johnson a pu dire qu'il était le maire de la sixième ville française. Elle a été aussi voulue par les familles qui ont fait pression afin d'éviter les scolarisations parallèles au sein des fratries. Les frais de scolarité sont particulièrement élevés – 10 000 livres en moyenne par enfant – et les bourses en nombre très limité. Cette tendance doit appeler notre vigilance : la multiplication de ces partenariats, qui ne coûtent pas très cher à l'agence, comporte un risque de dilution. Reste que la méthodologie des plans écoles qui consiste à coordonner un réseau d'acteurs éducatifs publics et privés peut avoir son intérêt.

Il serait intéressant aussi de raisonner en termes de zones géographiques, car elles sont très différenciées. Vous avez évoqué la situation préoccupante d'Abou Dabi : les professeurs qui ne peuvent se loger dans l'établissement doivent contracter un prêt de six mois pour se loger, ce qui implique une grande fragilité financière. Cette situation peut se retrouver ailleurs selon les liens diplomatiques que la France entretient avec le pays hôte. Rappelons que l'AEFE est sous tutelle du ministère des affaires étrangères, et que ce sont les chefs de poste et les conseillers de coopération et d'action culturelle (COCAC) qui agissent diplomatiquement sur le terrain. L'attribution des aides à la scolarité qui ont remplacé le système de la PEC donne lieu à des discussions entre conseillers consulaires, associations locales et personnels.

Madame Schmid, vous avez insisté sur la concurrence à laquelle étaient confrontés les établissements de l'AEFE. Il faut toutefois souligner que le réseau reste attractif par rapport à d'autres établissements dont les frais de scolarité sont beaucoup plus élevés. Dans certains pays, comme les pays baltes, les lycées français font figure de lycées internationaux et remplissent un rôle diplomatique, à travers notamment parfois la scolarisation d'enfants d'origine étrangère ou appartenant à des minorités. Les fonds publics garantissent une certaine facilité d'accès, qui nous permet malgré tout de rester concurrentiels face aux établissements privés. Quant aux établissements du pays hôte, bien souvent gratuits, ils renvoient au choix des familles.

Vous avez souligné la nécessité de créer d'autres labels. Beaucoup de conventions sont signées entre différents opérateurs de l'État. L'AEFE collabore activement avec Campus France et a récemment signé une convention avec le Centre international d'études pédagogiques (CIEP) portant sur les diplômes d'études en langue française (DELF) et les diplômes approfondis de langue française (DALF), qui offrent une garantie aux élèves scolarisés dans les établissements français souhaitant poursuivre leurs études dans le système éducatif local.

Vous avez appelé notre attention sur les zones transfrontalières. Sachez que L'AEFE sensibilise les recteurs des académies concernées pour consolider la continuité de scolarité.

Par ailleurs, vous avez évoqué la possibilité pour les conseils de gestion de verser aux enseignants une rémunération complémentaire. Comme vous le savez, il existe trois types de mobilité : enseignants résidents, expatriés et recrutés locaux. Le problème est que le réseau est toujours contraint d'adapter sa voilure selon la situation géopolitique propre à chaque pays. L'implication des conseils de gestion risque, à mon sens, de conduire à créer des différences dans les statuts puisqu'elle supposerait de réformer le statut des enseignants résidents défini en 2002. Cela est toujours possible mais impliquerait une refonte totale des différents types de contrats, qui devrait aussi prendre en compte le cas des faux résidents.

S'agissant des professeurs résidents, je préconise pour ceux qui sont implantés depuis très longtemps dans un pays hôte de revoir leur contrat afin de le faire basculer vers un contrat local. Je suis partisan d'une mobilité partagée, qui permettrait à des professeurs d'autres académies de tourner dans le réseau dans de bonnes conditions et avec un salaire acceptable.

Michel Piron a soulevé des questionnements hégéliens – la rationalisation est-elle rationnelle ? – et convoqué la figure des Raboteurs du tableau de Caillebotte. J'aurais tendance à dire qu'il faut faire attention à la formule : Derrida soulignait les significations opposées du terme « pharmakon » qui désigne aussi bien un remède qu'un poison. Certaines solutions peuvent apparaître bonnes et se révéler très mauvaises une fois appliquées. Il faut être prudent et réaliste : mieux vaut dire que l'universalité du réseau a moins de sens actuellement.

Vous avez posé une question légitime sur les arbitrages. L'AEFE a une seule tutelle, le ministère des affaires étrangères, qui a choisi de maintenir l'ensemble des missions de l'agence tout en diminuant ses dotations budgétaires. Dans ce contexte, les moyens ne sauraient devenir une fin en soi : il faut se réapproprier le privilège d'une fin, d'une vision du réseau. C'est la perspective qu'ouvre ce COM : en 2018, une stratégie plus forte doit être définie.

Le ministère de la culture n'intervient, quant à lui, que pour les instituts français. L'AEFE collabore avec le ministère de l'éducation pour tout ce qui relève des détachements et des homologations. Ces liens pourraient être renforcés dans d'autres domaines, je pense à la question de la formation des professeurs que Colette Langlade a soulevée ou encore au programme de mobilité internationale Jules Verne, que l'on pourrait asseoir davantage sur le réseau de l'AEFE.

Madame Hobert, je rejoins vos remarques sur l'enseignement à plusieurs vitesses et le problème du patrimoine immobilier. Pour ce qui est de l'attractivité, nous sommes à la limite des capacités. Une baisse importante des moyens risquerait d'affecter la nature même du réseau et l'homogénéité de l'enseignement, l'une des compétences de l'AEFE, la certification, étant de garantir un enseignement français de qualité dans des zones géographiques différentes.

L'AEFE est confrontée à une alternative : soit sanctuariser son budget et faire en sorte de continuer à assurer ses missions de la meilleure manière possible, soit mettre au point une stratégie différenciée selon les zones géographiques, en touchant à la nature des établissements et des contrats de professeurs.

En Europe, par exemple, l'AEFE pourrait tabler davantage sur les établissements conventionnés et développer un système de coopérations avec d'autres réseaux culturels, notamment le réseau allemand. Il y a plusieurs exemples de lycées franco-allemands, qui ont été des projets souvent difficiles à construire mais tout à fait intéressants, qui supposent une bonne coordination avec des chefs de poste et des COCAC jouant pleinement leur rôle de relais. Les filières bilingues, madame Langlade, sont compliquées à mettre en place. Elles impliquent de recruter des professeurs expérimentés, exigent beaucoup de ressources, surtout s'il y a parité horaire, et réclament la mise en place de mutualisations.

Dans les zones francophones, l'AEFE pourrait s'appuyer sur un équilibre entre établissements conventionnés et établissements en gestion directe, dont il ne serait pas nécessaire d'accroître le nombre. Quant aux partenariats, il faut s'en méfier : certes, ils coûtent très peu à l'AEFE mais leur développement peut mettre à mal la cohérence du réseau.

Pour l'admission post-bac, madame Doucet, Campus France et l'AEFE font en sorte que dès le mois de janvier, au moment où les premiers dossiers doivent être remplis, les informations nécessaires soient diffusées par les chefs de poste. Un forum des métiers est également organisé au sein de chaque lycée français à l'étranger. Campus France anime en outre des salons dans les établissements conventionnés et partenaires. La mise en réseau de tous les opérateurs pourra permettre de renforcer cette communication.

Dominique Nachury a soulevé la question des ressources propres. Le COM préconise de faire passer les financements par les pays hôtes à 15 millions d'euros en 2018. On peut envisager aussi de retirer des recettes des locaux. Le patrimoine immobilier dégradé a été rénové, peut-être pourrait-on l'ouvrir durant le week-end à d'autres activités en recourant à des conventions pour prendre en compte les problèmes de sécurité. Il ne faut pas oublier toutefois que certains pays hôtes ont déjà mis à disposition des terrains pour construire les établissements. Les ressources propres ont donc aussi leurs limites.

Madame Genevard, vous avez évoqué le « plan écoles » à Londres. Il repose sur trois objectifs. Le premier est d'augmenter la capacité de scolarisation des élèves français. Le deuxième est de développer les apprentissages bilingues, ce qui a conduit à la création du Collège franco-britannique de Londres, un des rares établissements que j'aie visité qui offre un enseignement bilingue à parité horaire. Il souffre toutefois d'une forte rotation du personnel enseignant, séduit par les conditions de travail au lycée Charles-de-Gaulle. Il est en effet toujours difficile de fidéliser des formateurs de qualité dans un réseau bilingue. C'est tout l'intérêt de développer des collaborations avec le CIEP, opérateur qui excelle tant en matière de certification que de formation et de bilinguisme. Le troisième objectif est de renforcer les programmes FLAM. Ceux-ci restent toutefois assez modestes : ce sont souvent des parents qui s'organisent pour animer des activités le samedi matin.

Je plaide pour que cette approche en termes de plan écoles soit déclinée non seulement par pays mais aussi par zone géographique. Elle permettrait des convergences d'orientation entre acteurs privés et publics, toujours compliquées à établir.

Enfin, je citerai une dernière piste d'économies qui consisterait à supprimer certains postes de coordonnateurs de zone, qui ne sont peut-être pas utiles partout compte tenu du fait que les chefs de poste et les conseillers culturels sont chargés de représenter le recteur d'académie. Cela permettrait de soulager le budget de l'agence et d'anticiper les enjeux financiers de 2018.

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