Intervention de Michèle Bonneton

Réunion du 16 décembre 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Bonneton, rapporteure :

Je suis heureuse de vous présenter cette proposition de loi adoptée par le Sénat. L'interdiction de la publicité dans les programmes de la télévision publique destinés à la jeunesse est une revendication ancienne des parlementaires, toutes sensibilités confondues ; quant à la jeunesse, c'est une des priorités de ce quinquennat.

L'adoption de la présente proposition de loi – dont je remercie ici son auteur, André Gattolin, et sa rapporteure, Corinne Bouchoux – par le Sénat montre qu'il s'agit bien d'une cause transpartisane. En 2008, d'ailleurs, sous la précédente majorité, Mme Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé et des sports, avait eu des velléités d'interdire toute publicité pour les produits alimentaires à destination des enfants dans l'ensemble des programmes du service public de la télévision. Au final, le choix a été fait d'interdire la publicité sur les chaînes publiques entre vingt heures et six heures du matin, et de protéger ainsi un public adulte, la question de la publicité pour les produits alimentaires étant renvoyée à une charte.

La situation actuelle est donc paradoxale : France Télévisions ne peut diffuser de messages publicitaires en soirée, là où ils sont vus par les adultes et où ils sont les plus rémunérateurs, mais elle est autorisée à les diffuser en journée, à un moment où ils sont vus notamment par les enfants, souvent en l'absence de leurs parents. Du reste, la suppression de la publicité après vingt heures sur les chaînes publiques n'a guère bénéficié aux chaînes privées historiques.

La présente proposition de loi vous invite donc à remédier à cette situation, en interdisant, à compter du 1er janvier 2018, la publicité commerciale pendant la diffusion des programmes de la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans, mais aussi quinze minutes avant et après leur diffusion, ainsi que sur les sites internet des chaînes publiques qui proposent ces mêmes programmes.

Les chaînes privées sont également concernées puisque le présent texte propose d'inscrire dans la loi le principe de la transmission annuelle d'un rapport au Parlement par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sur les mécanismes d'autorégulation mis en place par les services de communication audiovisuelle. Cela permettrait d'informer la représentation nationale sur le respect, par les messages publicitaires diffusés autour des programmes destinés à la jeunesse, des objectifs de santé publique et de lutte contre les comportements à risque.

Dans le peu de temps qui m'a été imparti, je suis parvenue à mener près d'une vingtaine d'auditions, dont il est ressorti que le dispositif proposé recueillait l'assentiment d'un grand nombre des personnes entendues. Des experts, tel Serge Tisseron, psychanalyste et spécialiste de l'image, comme les représentants des associations familiales – CSF, UNAF –, des associations de parents d'élèves – PEEP, FCPE –, des associations de consommateurs – UFC-Que choisir ? – ou encore d'associations particulièrement investies sur le sujet, comme l'association « Résistance à l'agression publicitaire », ont salué une initiative intéressante. Ils ont formé le voeu qu'elle constitue une étape marquante.

J'estime, pour ma part, que si cette proposition de loi peut sembler modeste, la « sanctuarisation » des programmes de la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans constitue un premier pas important.

À la suite de son rapport sur le financement de l'audiovisuel public, le sénateur André Gattolin a commandé un sondage sur l'accueil d'une telle mesure par les Français. Ce sondage, réalisé par l'Institut français d'opinion publique (IFOP), a révélé que 71 % des personnes interrogées étaient favorables à la mesure d'interdiction de la publicité commerciale autour des programmes pour enfants diffusés par la télévision publique. Pour être tout à fait honnête, je me dois de préciser que les plus hostiles sont celles qui ont déclaré être des sympathisants du Front national.

Lors des auditions, l'une des seules objections qui nous a été faite est d'ordre financier, car, pour reprendre l'expression de Mme Sylvie Pierre-Brossolette, membre du collège du CSA, si « l'objectif est louable, la question est celle des moyens ».

Je propose, dans mon projet de rapport, un certain nombre de réponses à la question de la compensation financière des pertes de recettes susceptibles de résulter, pour France Télévisions, de l'adoption de cette proposition de loi. Ces pertes sont estimées, selon les interlocuteurs, entre 7 et 20 millions d'euros, sachant que les objectifs de recettes publicitaires de France Télévisions autour des programmes pour enfants étaient fixés à 13,5 millions d'euros dans le budget de 2015. Il s'agit de montants non négligeables mais qui pourraient être compensés de différentes manières, par exemple par une augmentation de la part des recettes de la taxe sur les opérateurs de communications électroniques, dont une partie est affectée à France Télévisions. Le produit de cette taxe, mise en place pour compenser la perte de recettes due à la suppression de la publicité après vingt heures, s'élevait à 213 millions d'euros en 2014 ; en 2016, il a été prévu d'en affecter 140 millions à l'audiovisuel public – il reste donc de la marge. Une autre solution serait de permettre à France Télévisions d'accroître les revenus qu'elle tire de sa participation à la création de programmes. Enfin, on peut également imaginer de revoir l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public. Ces propositions sont précisées dans mon rapport et dans celui – excellent – des sénateurs André Gattolin et Jean-Pierre Leleux.

Compte tenu de la montée en puissance des autres écrans et du numérique, une réforme des ressources de France Télévisions semble, quoi qu'il en soit, nécessaire à court terme. C'est une des raisons pour laquelle cette proposition de loi suggère que l'interdiction de la publicité dans les programmes destinés à la jeunesse n'entre en vigueur qu'au 1er janvier 2018.

Au-delà de ces solutions, j'estime que la question de la publicité commerciale diffusée autour des programmes pour enfants ne doit pas uniquement être envisagée sous un angle comptable et financier. Il est question ici de protéger la santé des enfants au sens où la définit l'Organisation mondiale de la santé, à savoir « un état complet de bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Il s'agit, de notre point de vue, de l'un des devoirs du service public de la télévision à l'égard d'une jeunesse dont il est aujourd'hui démontré qu'elle pâtit physiquement et psychologiquement d'une surexposition aux messages publicitaires, dont les conséquences sur les apprentissages scolaires et le comportement social ne sont plus à prouver.

Il s'agit de redonner au service public de la télévision ses lettres de noblesse, en exigeant de lui une exemplarité qui permette aux parents d'avoir confiance lorsque leurs enfants regardent les programmes des chaînes publiques. Il s'agit aussi de différencier les chaînes publiques des chaînes privées en mettant en valeur la spécificité des premières ainsi que la qualité et la valeur ajoutée de leurs programmes, qui doivent offrir une véritable alternative à ceux des chaînes privées. Les parents comprendraient difficilement que la commission des affaires culturelles et notre assemblée n'adoptent pas une proposition de loi visant à mieux protéger la jeunesse, dont je rappelle qu'elle avait été érigée en 2012 en priorité du quinquennat par le Président de la République François Hollande. Le 2 octobre 2014, dans son discours de clôture du séminaire du CSA sur « l'audiovisuel, enjeu économique », ce dernier a d'ailleurs lui-même préconisé un élargissement de l'assiette de la redevance, afin de la rendre plus équitable.

Je vous invite, en conséquence, à adopter la présente proposition de loi.

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