Intervention de Paul Molac

Réunion du 16 décembre 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul Molac, rapporteur :

Nombreux sont les intervenants qui se sont interrogés sur les limites de l'article 1er. Notez qu'il ne comporte ni plafond ni plancher : certains, lors des auditions, me l'ont d'ailleurs reproché, arguant du fait qu'il permettait de dispenser moins de 50 % de l'enseignement dans une des langues ; c'est le cas, en effet. Cette rédaction souple découle d'un constat : en basque comme en breton, l'enseignement doit, à un moment donné de la scolarité – très souvent en moyenne et grande section de maternelle – dépasser la simple parité pour que les enfants s'approprient la langue, qu'ils deviennent des locuteurs actifs plutôt que passifs et qu'ils puissent suivre au cours préparatoire plusieurs enseignements disciplinaires en langue régionale. Sans cela, ils ne la parleront jamais, c'est un simple fait, pragmatique. Et comment préserver un patrimoine linguistique si les enfants ne maîtrisent pas la langue ? Les expérimentations actuellement menées sur cette question en Bretagne et au Pays basque par l'enseignement public tendent d'ailleurs toutes vers ce même constat.

Pour autant, passé cette période cruciale, la répartition des horaires peut changer, au bénéfice croissant du français. Et il va de soi que si les enseignants constatent une insuffisance du français chez certains élèves, ils réduisent d'eux-mêmes la part du breton pour apporter un surcroît de langue française. Car l'enseignement, qu'il soit bilingue ou non, doit respecter les principes fondamentaux posés par le code de l'éducation, au premier rang desquels figurent la maîtrise du français et celle du socle commun. Je n'ai pas jugé utile de rappeler dans cette proposition de loi que le français est la langue de l'enseignement et que la maîtrise du français est primordiale, car cela va de soi et figure déjà dans le code de l'éducation. L'enseignement ne saurait être bilingue dès lors que le français est insuffisamment connu. La précision est juridiquement superfétatoire, mais je veux ici lever toutes les inquiétudes.

La méthode d'immersion est multiple – étant entendu qu'immersion ne signifie pas submersion. L'immersion consiste à enseigner dans une langue, et non à enseigner une langue. De ce point de vue, l'enseignement à parité est une forme d'immersion, mais ce n'est pas celle que pratiquent les écoles associatives. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité établir une distinction claire entre l'article 1er et les deux suivants. De même, j'ai examiné les arrêts du Conseil d'État de 2002 justifiant la non-intégration du réseau Diwan dans le service public. La juridiction estimait que : « cet enseignement se caractérise par l'utilisation principale de la langue régionale, non exclusive du français, comme langue d'enseignement, la pratique de la langue régionale dans la vie quotidienne des établissements étant par ailleurs encouragée » et, « à l'école maternelle, phase la plus intensive d'acquisition de la langue régionale, l'ensemble des activités scolaires et leur accompagnement s'effectuent dans cette langue ». Il ne s'agit donc pas là de parité, et l'article 1er ne propose pas un tel modèle. Il est plus modeste et beaucoup plus pragmatique : il s'appuie sur la conviction du législateur qu'il appartient à l'éducation nationale de déterminer quelle est la part respective de chaque langue à enseigner selon les âges pour parvenir à la fois au bilinguisme et à la parfaite maîtrise du français et de tous les éléments du socle, sans recourir à des arguments théoriques arbitraires comme la parité horaire.

C'est donc à dessein que le texte demeure vague, car le législateur se contente de fixer l'objectif – le bilinguisme, en l'occurrence – et c'est aux pédagogues qu'il appartient de définir les méthodes permettant d'y parvenir. Il va de soi que ces méthodes varieront selon les langues : l'apprentissage des langues romanes, proches du français, est plus aisé que celui du basque, une langue agglutinante dont la structure morphologique et lexicale, plus ardue, requiert une pédagogie différente.

J'ajoute que le Conseil d'État ne s'est pas appuyé sur l'article 2 de la Constitution. Arguant du caractère trop immersif des méthodes du type de celles pratiquées par les établissements Diwan, il a simplement estimé que le ministre dépassait son pouvoir d'appréciation et renvoyé la question au législateur – d'où la présente proposition de loi. Il a convenu de « l'incompétence du ministre de l'éducation nationale pour instituer et organiser, au sein d'établissements publics d'enseignement, un enseignement par immersion en langues régionales dans des conditions qui méconnaissent l'article 1er de la loi du 4 août 1994 », c'est-à-dire la loi Toubon qui précise que la langue d'enseignement est le français.

Dès lors, je suis presque surpris que l'on m'oppose l'argument d'une éventuelle inconstitutionnalité, car le texte proposé a été rédigé en tenant pleinement compte des jurisprudences et trouve un équilibre satisfaisant. Il ne remet certainement pas en cause le principe que la langue de l'enseignement est le français. Il ne concerne que le cas, très particulier et totalement facultatif, des filières d'apprentissage des langues régionales selon la méthode bilingue, déjà reconnue par la loi Peillon, en clarifiant leur modalité d'organisation. Bien entendu, il ne remet en aucun cas en cause les grands principes identifiés par le Conseil constitutionnel, selon lesquels on ne peut obliger ni les enfants, ni les parents, ni les fonctionnaires à parler une langue régionale. L'article 1er est donc d'une grande souplesse, il privilégie la dimension pédagogique et – que les choses soient claires – il ne saurait nuire à la maîtrise du français et du socle commun.

Je conviens que les articles 2 et 3 sont plus audacieux, puisqu'ils visent à donner un statut protecteur aux écoles associatives laïques. Je précise d'emblée à M. Le Fur, qui m'a interrogé sur l'enseignement catholique, que je ne saurais proposer une extension de la mesure au point de priver d'effets la loi Falloux. Je propose simplement de créer un statut spécial pour les écoles associatives de langue régionale, qui sont laïques, ouvertes à tous et qui respectent les programmes. Au début des années 1980, il leur a été proposé un statut relevant de la loi Debré de 1959 – alors même qu'elles souhaitaient rejoindre le secteur public – et la circulaire dite Savary de 1982 fut la première à permettre l'enseignement bilingue. Elles l'ont accepté comme statut de repli, mais une chose demeure certaine : ce ne sont pas des écoles confessionnelles.

L'article 4, madame Buffet, donne aux régions la faculté de décider en matière de signalétique bilingue. La rédaction actuelle de l'article leur donne en effet la faculté d'imposer cette traduction aux services publics. Mais un simple changement de verbe pourrait alléger cette contrainte… Même la simple mention de la possibilité d'une « demande » de la part des régions, laissant le pouvoir au service public concerné de statuer sur l'apposition des traductions, ne serait pas inutile. À monsieur de Rugy, qui demande s'il est nécessaire de passer par la loi, je répondrai que même une loi qui se contenterait de reprendre l'existant, car aujourd'hui beaucoup de collectivités n'hésitent pas à se concerter avec les services publics pour déployer cette signalétique bilingue, ne serait pas inutile. Autrement, il se trouvera toujours quelqu'un pour déposer un recours auprès du tribunal administratif pour une raison ou une autre, comme on l'a vu récemment à Villeneuve-lès-Maguelone, dans l'Hérault, dont l'un des résidents a déposé un recours contre la juxtaposition de deux panneaux, en français et en langue régionale, à l'entrée de la commune. Il s'est trouvé un juge administratif pour lui donner raison, et il a fallu que la cour d'appel de Marseille annule le jugement. Face à la frilosité, voire l'opposition, de certains, ne pas clarifier les choses dans la loi reviendrait à ne pas sécuriser les collectivités, qui craindraient d'éventuels recours. Je propose, au contraire, de les soulager définitivement de cette inquiétude.

Les temps respectifs d'enseignement en français et en langue régionale, M. Allossery, dépendront comme je l'ai dit de l'éducation nationale. Quant au cas du flamand occidental, il relève du domaine réglementaire : il appartient au Gouvernement de choisir les langues éligibles à un enseignement bilingue. Je sais à cet égard combien tarde la reconnaissance du franco-provençal et du flamand occidental.

S'agissant enfin de la signalétique des gares, il m'apparaît légitime que les régions, qui contribuent au financement de la rénovation des gares régionales, puissent obtenir un affichage bilingue. Ainsi, par exemple, suite à la demande de la région Bretagne et de l'Association des régions de France, un affichage bilingue a été installé dans toutes les gares bretonnes. Toutefois, dans cette région, les contestations ont plutôt porté sur la taille des traductions, le breton étant apposé, à l'identique des langues étrangères, dans des caractères beaucoup moins visibles que le français.

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