Intervention de Didier le Bret

Réunion du 8 décembre 2015 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Didier le Bret, coordonnateur national du renseignement :

Par facilité de langage ou par souci de mobiliser, on parle « d'actes de guerre » pour évoquer les attentats, mais si une action militaire est nécessaire, on sent aussi instinctivement, comme vous l'avez dit, monsieur Comet, que la question ne se résout pas par une réponse uniquement militaire et que, malheureusement, les problèmes sont aussi chez nous. En parlant de transcendance, M. Dhuicq rappelle que l'âge de 20 ans a toujours été un âge propice à des engagements radicaux, sectaires ou anarchisants ; c'est pourquoi Olivier Roy parle « d'islamisation de la radicalité ». Le combat est multiforme et complexe.

J'ai déjà évoqué non pas la fusion des services mais de certaines cellules opérationnelles, ainsi que de notre engagement européen, tous axes d'action importants.

Monsieur Rihan Cypel, j'ai rencontré le directeur du Service central du renseignement territorial. Il a entre les mains un outil précieux qui est appelé à s'associer de plus en plus étroitement à la communauté du renseignement, ne serait-ce que pour donner à ses agents la reconnaissance qu'ils attendent.

L'hypothèse de la création d'un centre national du contre-terrorisme soulève des questions complexes. Comme l'a souligné Mme la présidente, le changement ne peut être constant. Outre que son absence a pour vertu de permettre la consolidation des dynamiques déjà enclenchées, il est très difficile de faire face à l'urgence si l'on est dans une réforme perpétuelle. Les plateformes technologiques mutualisées créées par les Américains et les Britanniques, mises à la disposition de l'ensemble des services et dotées de bataillons d'analystes, sont de très belles mécaniques. Mais ce qui peut apparaître comme un schéma idéal est assez éloigné des structures historiques dont nous avons hérité. Peut-être faudra-t-il se rapprocher du modèle anglo-saxon même si l'on ne peut concevoir une réforme radicale de nos services dans la période actuelle.

Les prisons, monsieur Dhuicq, n'entrent pas dans mon champ de compétences. Cependant, on peut noter que les peines d'emprisonnement prononcées depuis un an à l'encontre des individus jugés coupables d'activités terroristes sont pour l'essentiel longues de huit à dix ans. Ces quelques 250 personnes deviendront dans trois à six ans, par le jeu des remises de peine, un sujet de grande attention pour les services de renseignement. Ce qui se passera en prison sera déterminant pour ce qui les concerne.

Les Américains ne sont pas notre seule source de renseignement. Nous avons noué un partenariat très étroit avec plusieurs partenaires, dont les Britanniques, qui sont associés à l'enquête menée sur les attentats du 13 novembre. Par ailleurs, il est essentiel de rappeler que la France dispose d'une capacité autonome d'appréciation de situation.

J'ai rencontré mon homologue russe. Les Russes se sont engagés en Syrie pour combattre Daech mais avec ces motivations diverses. Qu'un de leurs avions ait été abattu dans l'espace aérien syro-turc a renforcé leur détermination à faire mordre la poussière à Daech, mais leurs frappes visent également d'autres cibles. Aussi longtemps que la Russie n'aura pas fait la démonstration que son ennemi est Daech et que son intervention militaire ne vise pas à donner à Bachar el-Assad une marge de confort dans la négociation en lui permettant de reprendre pied là où, depuis deux ans, il était en train de perdre la bataille, nous ne parlerons pas de la même chose. Comme le président de la République s'y est engagé, nous sommes prêts à travailler avec la Russie mais, aussi longtemps que les éclaircissements nécessaires n'auront pas eu lieu, nous ne nous risquerons pas à nous aliéner tous les soutiens – et ils sont nombreux – d'une vaste coalition pour lutter contre Daech.

En l'état, il est exclu pour moi de reprendre la coopération avec les services de Bachar el-Assad. On ne peut pas accepter que nos services coopèrent avec d'autres services qui donnent des informations permettant de réprimer une population civile dans le sang, de la manière la plus abjecte. Si, demain, dans le cadre d'une transition politique, Bachar el-Assad sortait du jeu et que l'on puisse commencer de discuter avec des éléments du régime, il en irait autrement ; mais en aucun cas nous ne saurions faire quoi que ce soit qui reviendrait à justifier a posteriori ce qui nous a amenés au mur devant lequel nous sommes.

J'ai dit, monsieur Candelier, l'état de notre coopération avec les services russes. Le Front al-Nosra fait partie de la liste des organisations terroristes dressée par l'Organisation des Nations unies ; personne ne le conteste, et certainement pas la France. L'armée syrienne libre est une composante régulière de l'opposition armée au régime de Bachar el-Assad que nous soutenons. Plus que jamais, il faut éviter un choc frontal qui ferait disparaître l'opposition modérée, laissant à choisir entre la peste – Bachar el-Assad – et le choléra – Daech. L'intervention russe a rebattu les cartes.

Les chiffres relatifs au renforcement des services de renseignement, en effectifs et en moyens, que je vous ai donnés montrent qu'un seuil jamais atteint au cours de la décennie écoulée a été franchi. La durée de formation des agents varie selon les spécialités ; elle peut atteindre cinq ans pour la contre-ingérence.

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