Commission de la défense nationale et des forces armées

Réunion du 8 décembre 2015 à 17h00

Résumé de la réunion

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  • attentat
  • daech
  • renseignement

La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures.

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Nous recevons M. Didier Le Bret pour la première fois depuis sa prise de fonctions. Nous avions entendu son prédécesseur, le préfet Alain Zabulon, le 1er juillet 2014 puis le 17 mars 2015. Sa seconde audition portait sur le projet de loi relatif au renseignement mais nous avions aussi largement traité de la menace djihadiste, qui s'est malheureusement à nouveau concrétisée le 13 novembre dernier. Monsieur le coordonnateur national du renseignement, l'actualité rend votre audition particulièrement importante pour notre commission.

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Didier le Bret, coordonnateur national du renseignement

J'ordonnerai mon intervention au travers des thèmes suivants : tout d'abord l'action de la communauté du renseignement en 2015, ensuite l'état de la menace aujourd'hui, et, enfin, les pistes de réflexion pour l'avenir.

En 2015, la communauté du renseignement s'est attachée à accentuer ses efforts sur la prévention anti-terroriste et l'accompagnement de la lutte contre Daech sur le plan militaire comme diplomatique, notamment par le renforcement de la coordination des services. La communauté du renseignement a adopté une organisation plus agile, grâce notamment à la constitution d'une cellule regroupant les six services chargée de suivre et de démanteler les filières djihadistes et d'une autre chargée de l'appui aux opérations militaires au Levant. Les coopérations bilatérales se sont approfondies notamment entre les deux plus grands services. Des projets techniques communs ont été menés à bien. Les relations nouées entre le premier cercle et le second cercle de la communauté du renseignement se sont intensifiées. Dans le même temps, la coopération de l'ensemble des services avec leurs partenaires étrangers s'est renforcée.

La communauté française du renseignement s'est fortement impliquée en vue d'accompagner l'accélération du processus d'adoption de la loi sur le renseignement afin de doter les services des instruments juridiques nécessaires à leur action tout en développant le contrôle démocratique de leur activité. Depuis le vote de la loi, la coordination nationale du renseignement est attentive aux conditions de sa mise en oeuvre.

À la suite des annonces du Premier ministre en date du 21 janvier 2015, la communauté française du renseignement devrait bénéficier d'un renforcement très important de ses moyens, notamment en termes d'effectifs.

La communauté française du renseignement a activement soutenu le projet de Passenger Name Record (PNR) national et a fait la promotion de son pendant à l'échelle européenne, en liaison avec le coordinateur de l'UE pour la lutte contre le terrorisme Gilles de Kerchove.

Depuis août 2013, plusieurs projets d'attentats ont été entravés sur le territoire national, y compris en 2015, certains impliquant des individus revenant de Syrie et d'Irak, d'autres des individus demeurés sur le territoire national et inspirés par la propagande sur Internet ou par des contacts sur zone via les réseaux sociaux.

Depuis le début de l'année 2015, la communauté du renseignement avait observé une structuration croissante des projets terroristes de Daech qui, après plusieurs tentatives d'actions individuelles commanditées entravées, est parvenu à mener à bien les attaques coordonnées du 13 novembre.

J'en viens à l'état de la menace terroriste. Cette menace s'établit actuellement à un niveau maximal, ce qui signifie qu'il faut s'attendre à ce que d'autres attaques soient lancées contre la France. De multiples facteurs y concourent.

La volonté de l'état-major de Daech de frapper la France n'a pas faibli, ce qui fait de notre pays un objectif prioritaire pour cette organisation. Le vivier des islamistes radicaux francophones est très important, ce qui multiplie mécaniquement le nombre de participants possibles à une action d'envergure. L'espace Schengen offre aux islamistes radicaux une importante liberté de mouvement, notamment dans le contexte des arrivées massives de migrants à ses marges. La porosité croissante entre islamisme radical et petite délinquance offre aux terroristes des facilités logistiques, notamment pour le financement et l'acquisition d'armement. Des cellules sont également implantées dans des pays limitrophes de la France.

À terme, dans l'hypothèse probable d'un recul militaire de Daech en Irak et en Syrie sous l'effet des frappes aériennes, le retour de combattants islamistes radicaux francophones vers l'Europe et les pays du Maghreb est à redouter.

Principalement relayée sur Internet, la propagande développée par Daech continue de gagner en efficacité et en audience. Elle pourrait soutenir le déclenchement d'actions sporadiques, réalisées par des individus ou des cellules endogènes, opérant par effet d'imitation ou à l'incitation de coreligionnaires sur zone.

Enfin, sur le territoire national, les modes opératoires susceptibles d'être déployés par des combattants islamistes radicaux sont diversifiés et les cibles potentielles très variées.

S'agissant des pistes de réflexion pour l'avenir, à l'aide notamment des éléments mis au jour par l'enquête judiciaire, la communauté française du renseignement conduit une étude détaillée de l'itinéraire des auteurs de l'attaque et des préparatifs qu'ils avaient mis en oeuvre.

Ce travail vise en priorité à entraver une nouvelle opération sur le territoire national et à démanteler les réseaux de soutien dont les combattants infiltrés par Daech auraient pu bénéficier en France. Ce retour d'expérience est également essentiel pour évaluer le dispositif de lutte contre le terrorisme, face à une menace djihadiste désormais parvenue à sa pleine maturité.

La communauté française du renseignement a d'ores et déjà identifié un certain nombre de défis à relever en vue de renforcer le dispositif de lutte contre le terrorisme. Elle va s'attacher à y répondre le plus efficacement et le plus complètement possible dans les semaines et les mois à venir. Un premier train de mesures sera proposé aux plus hautes autorités à l'occasion d'un conseil national du renseignement qui se tiendra à brève échéance.

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Je vous remercie d'avoir décrit la réalité qui s'impose à nous. Vous avez évoqué des pistes d'évolutions possibles pour les services de renseignement. L'État, sous la précédente législature et au cours de la législature actuelle, a pris des décisions majeures à ce sujet. La fonction de coordonnateur national du renseignement a été créée. Des changements ont eu lieu pour tenir compte du constat qu'il a fallu faire après l'attentat de Toulouse – la réforme du renseignement territorial avait conduit à des lacunes dans l'identification de la menace. Une partie importante du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a été consacrée au renseignement. Des moyens techniques et humains nouveaux ont été alloués aux services et les embauches sont encore en cours. La loi relative au renseignement a été adoptée et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement se met en place. Nous avançons donc à grands pas, comme il le faut. Mais n'est-ce pas aller trop vite, comme d'aucuns le proposent, d'engager la fusion des services, au risque de les déstabiliser ? N'est-il pas préférable, pour commencer, de consolider la restructuration engagée et d'achever les embauches, dont il est acquis qu'elles doivent être diversifiées ?

Nous sommes quelques-uns à nous être rendus à Berlin, mais aussi en Italie, où une réunion consacrée au terrorisme dans la zone méditerranéenne a rassemblé 150 parlementaires, et à Dakar. Partout, la prise de conscience du péril est réelle ; je l'ai constaté en Europe et en Afrique de l'Ouest. Cela signifie que la France n'est pas seule. L'Union européenne se mobilise, comme l'a montré – enfin – l'adoption du principe d'un fichier européen PNR (Passenger name record), qui entrera très vite en vigueur. De même, des décisions ont enfin été prises à propos du contrôle des frontières extérieures de l'espace Schengen. La délégation parlementaire au renseignement, dont je suis membre, a constaté l'évolution très rapide en cours au sein des services de renseignement, ainsi que les relations de confiance qui se sont établies entre ces services et la délégation. Je suis d'avis qu'il faut laisser les services se stabiliser.

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On peut se demander si l'on dispose des capacités techniques nécessaires pour surveiller les électrons libres installés en France et ailleurs en Europe. Pour autant, on ne peut charger l'espace Schengen de tous les maux – et l'histoire des migrations montre qu'avant la signature de l'Accord des immigrants entraient en Europe sans que l'on sache tous les contrôler. Il convient de relativiser ce à quoi nous sommes confrontés et de renforcer l'espace Schengen en améliorant le contrôle aux frontières extérieures de l'Union. Le PNR – dont, je le rappelle, l'activation n'a pas été empêchée par les Gouvernements mais par les états d'âme du Parlement européen – est un exemple concret de cette démarche.

Maire depuis 1983, j'ai constaté qu'au fil du temps les forces de police et de gendarmerie connaissent de moins en moins la population, singulièrement les habitants des quartiers sensibles ; cette évolution est surprenante. Il faut profiter de ce que l'on renforce les effectifs du renseignement territorial pour parvenir à analyser le processus qui mène à la radicalisation de certains secteurs de notre collectivité et, comme ont su le faire les Danois, à Aarhus en particulier, ne pas omettre d'associer les élus à la collecte de renseignements qui servent cette réflexion. Je dois vous dire mon étonnement d'avoir appris par la presse que celui qui était l'une des « voix » de Daesh avait vécu dans la commune dont je suis maire… Un minimum de confiance s'impose dans les relations entre les services de renseignement et les élus locaux.

J'ai rencontré ce matin, en ma qualité de président du groupe d'études sur les prisons et les conditions carcérales de notre Assemblée, des représentants des directeurs d'établissements pénitentiaires. Certains m'ont dit regretter l'absence d'un service de renseignement pénitentiaire de plein exercice ; y viendra-t-on ? Sachant que nombre des auteurs d'attentats sont des délinquants qui ont fréquenté les prisons françaises, les observations des surveillants peuvent apporter beaucoup.

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La Turquie, souvent accusée de double jeu, est-elle fiable ? Disposons-nous de renseignements suffisamment précis sur les sites qui doivent être ciblés par les frappes pour intervenir efficacement en Syrie, ou en est-on parfois réduit à tuer les mouches avec un canon ? Alors que la propagande islamiste fait florès dans les prisons, il est particulièrement choquant que les téléphones portables y soient pratiquement en accès libre ; ne peut-on l'empêcher, singulièrement en ce moment ? Certains imams qui interviennent en prison et dans des mosquées suspectes sont salariés par des États étrangers ; cela ne mérite-t-il pas une réflexion et un contrôle ? Enfin, avez-vous eu connaissance de tentatives d'infiltration de secteurs d'activité sensibles par des individus suspects ?

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Didier le Bret, coordonnateur national du renseignement

Monsieur Pueyo, s'agissant de l'espace Schengen j'ai malheureusement le sentiment que l'entrée dans l'Union européenne est assez aisée. Cela ne remet pas en question l'Europe conçue par les pères fondateurs mais, en considérant que confier le contrôle des frontières aux États qui forment le limes européen suffirait à notre sécurité, nous nous sommes mépris, on le constate aujourd'hui.

Les services de police et de gendarmerie forment effectivement le maillage territorial qui fait remonter de nombreuses informations sensibles. Il conviendrait de renforcer les liens de ce réseau avec la communauté du renseignement, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La plateforme de signalement a été conçue de la sorte, de manière que les préfets puissent faire intervenir les services déconcentrés de l'État pour une prise en charge psychologique ou sociale – il faut agir bien avant que l'on en soit à s'interroger sur les moyens de la déradicalisation.

Sans remettre en cause la tradition jacobine et une conception régalienne de la souveraineté des services de renseignement, le rôle joué par les élus doit effectivement pouvoir être renforcé. Je suis, en effet, convaincu que l'on se prive aujourd'hui de leviers importants. Certes, il ne faut pas interférer dans les enquêtes, mais pourquoi se priver de la connaissance du terrain qui caractérise les élus, et de leur capacité de dialogue préventif ? Il y a sans doute là un gisement insuffisamment exploité. Beaucoup dépend des préfets : ils peuvent prendre des initiatives visant à entraver la radicalisation.

L'intégration du renseignement pénitentiaire dans le « second cercle » de la communauté du renseignement a été écartée lors du débat parlementaire sur le projet de loi relative au renseignement. Même si la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) travaille avec le renseignement pénitentiaire, les moyens de ce dernier sont encore limités. Sa montée en puissance en tant que service de renseignement relève d'une décision politique.

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L'une des raisons en est qu'il faut préserver la sécurité des agents. L'équation est très difficile à résoudre dans les espaces clos que sont les établissements pénitentiaires.

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C'est exact. Cependant, une masse d'observations relatives aux comportements des détenus sont consignées dans les cahiers de liaison électroniques et cette mine de renseignement doit absolument être exploitée.

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Didier le Bret, coordonnateur national du renseignement

La rencontre avec une spiritualité, même dévoyée, a pu générer une certaine forme de paix sociale dans des établissements où des gens purgent de longues peines, mais reconnaître une fonction sociale à une doctrine qui devient extraordinairement déviante, c'est prendre le risque que cela se retourne contre nous.

Le renseignement sur les cibles en Syrie est une réelle difficulté. Malgré ces difficultés, la France dispose, à la fois de par ses moyens propres et par les échanges avec ses alliés au sein de la coalition, de renseignements opératoires.

Ce qui rend possible une telle profusion de téléphones cellulaires dans les prisons, c'est le difficile contrôle de leurs arrivages : les appareils sont jetés dans les cours depuis l'extérieur des établissements. Je reconnais que cette situation est assez choquante.

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La présence de ces téléphones dans les établissements pénitentiaires nous fait courir d'immenses dangers et force doit rester à la loi.

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Didier le Bret, coordonnateur national du renseignement

Pour ce qui est de la sécurité des structures et des lieux d'importance vitale pour notre pays, notre démarche est de plus en plus préventive : nous portons à la connaissance des opérateurs concernés les informations qui peuvent leur être utiles. Cela ne résout pas tout. Par exemple, comment doit réagir le président d'Aéroports de Paris ? Doit-il, au motif que certains de ses salariés travaillant sur l'emprise de l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ont été en contact à un moment donné avec une personne suspecte, sans qu'il ne se soit rien passé ensuite, considérer que cela suffit pour les écarter, sans risquer de multiples recours pour discrimination ? Dans mon rôle, je considère que mieux vaut prévenir : pour les sites les plus sensibles, les procédures de vérification et de contrôle de sécurité destinées à éviter les profils à risque doivent être extrêmement rigoureuses.

Il n'existe pas en France de structures permettant de faire émerger suffisamment de responsables religieux pour répondre aux demandes de nos concitoyens musulmans : ainsi se sont mises en place des structures de financements étrangers avec tous les risques que cela comporte.

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Dans certains cas, la surveillance technique a montré ses limites. Ne faut-il pas faire la part plus belle aux hommes et recruter des analystes capables d'interpréter les données collectées ? N'a-t-on pas trop développé la surveillance des données de communication aux dépens du renseignement humain ?

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Je relève que tous les individus impliqués dans les récents événements étaient connus des services de renseignement. Dans le cadre du retour d'expérience sur les attentats, quelles failles majeures avez-vous détectées ? Est-ce le manque de réactivité des services, un défaut dans l'analyse des fichiers ou des profils ? Que vous manque-t-il prioritairement pour prévenir les actes terroristes ?

Comment s'organise précisément l'accès aux fichiers respectifs des services au sein de la cellule chargée du contre-terrorisme. Ces fichiers sont-ils compatibles ? Vous attachez-vous à leur faire parler la même langue ?

Qu'en est-il de la coopération avec les Anglo-Saxons ? J'ai lu qu'un accord a été passé avec les services des « Five Eyes » en Syrie. Si c'est exact, persévérerez-vous dans cette voie, pour le territoire syro-irakien et en d'autres lieux ? Enfin, la presse parle d'un flux avéré d'éléments de Daech depuis la Syrie et l'Irak vers la Libye ; renforcez-vous votre dispositif de surveillance ?

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Alors que j'étais encore au ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, j'ai été très frappée, pendant la période qui a suivi les attentats de janvier 2015, de constater à quel point de nombreuses études réalisées par des chercheurs avaient été négligées, qu'elles portent sur les techniques d'embrigadement, sur ce qui se passe dans les prisons, sur la manière de faire de certains imams ou sur le comportement des terroristes. Les auteurs de ces travaux m'ont dit leur sentiment que cette mine d'informations concrètes n'était aucunement utilisée par les services de renseignement ; ils déploraient qu'il ait fallu que des attentats soient commis pour que l'on s'attache à refaire le chemin à l'envers alors que les informations étaient disponibles. Un décloisonnement n'est-il pas nécessaire ? Ne faut-il pas resserrer les liens entre ces chercheurs et les services ?

De même, après les attentats de janvier dernier, le ministre de l'Intérieur soulignait qu'il fallait s'intéresser à la formation des imams ; mais c'est ce que font déjà, en liaison avec le Maroc, huit universités françaises depuis plusieurs années. Cela ne semble pas suffisamment su, et il ne me semble pas que les choses aient beaucoup évolué depuis janvier.

Le métier d'analyste de données – data scientist – est encore très peu répandu en France ; des mastères existent cependant. Les services de renseignement sont-ils en contact avec les nouvelles promotions ? Les laboratoires de cryptologie ne pourraient-ils être davantage sollicités ? Doit-on, en raison d'un jacobinisme persistant, perdre du temps à réinventer des compétences qui existent déjà et pour lesquelles nous disposons d'un vivier ?

Enfin, de jeunes Français dont les familles sont originaires du Maghreb et du Machrek, diplômés de l'enseignement supérieur, d'une loyauté absolue, dont la double culture et le fait qu'ils parlent l'arabe seraient source de compétences très précieuses, se heurtent à un plafond de verre quand ils postulent auprès des services de renseignement – leur nom les dessert. C'est contre-productif et cela traduit une étroitesse d'esprit dont le FBI est loin de faire preuve. Les services doivent absolument cesser de se priver de ces talents.

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Didier le Bret, coordonnateur national du renseignement

Il va sans dire, madame Gosselin-Fleury, qu'aussi intelligents et puissants soient les algorithmes, et même si les renseignements sur lesquels travaillent les services sont désormais en grande majorité d'origine technique, des analystes devront toujours vérifier et pondérer les hypothèses. Le « tout technologique » ne nous mènera nulle part.

Vous m'avez interrogé, monsieur Lamour, sur les principales failles mises à jour par les attentats du 13 novembre dernier. La première, c'est la liberté de circulation sans entrave dont ont joui ceux qui faisaient l'objet d'une fiche S. Certes, cette fiche n'est pas un moyen d'entraver la circulation mais de signaler, de suivre et d'enrichir le renseignement, au passage des frontières, sur les personnes qui en font l'objet ; mais l'on voit que quelque chose ne va pas dans l'espace intra-Schengen. La deuxième faille, c'est la possibilité d'acquérir des armes aussi facilement sur certains grands marchés européens. La troisième, enfin, est l'inégalité du niveau d'investissement et d'appréhension de la menace en France et dans certains pays voisins.

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis ont fait en sorte que la CIA et le FBI se parlent ; ils ont défini une stratégie contre-terroriste reposant sur une task force, sorte de pot commun ouvert au maximum de services ; ils ont interconnecté la presque totalité des fichiers. L'existence de ce fichier géant, où figurent désormais plusieurs milliers de cibles d'intérêt en matière de contre-terrorisme, rend parfois difficile le travail avec les Américains : connecter nos bases de données aux leurs reviendrait mécaniquement à interdire à des centaines de personnes de voyager aux États-Unis, et les recours pleuvraient sur le ministre de l'Intérieur. Nous devons agir dans le respect de notre droit mais faire qu'en interne en tout cas, les échanges entre les services deviennent la règle et la rétention d'informations l'exception.

Instruction a effectivement été donnée aux services de communiquer beaucoup plus largement les renseignements qui peuvent intéresser nos partenaires américains. Ils ont, pour leur part, adopté une attitude symétrique. Nous y travaillions, et les attentats du 13 novembre ont accéléré le processus. Pour la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) comme pour la DGSI, le partenariat avec les États-Unis est capital ; les fichiers de la DGSI sont nourris quotidiennement par les services américains. La coopération est bonne et se renforce toujours davantage.

Il y a un début de migration de Daech vers la Libye. Pour l'instant, les chiffres sont modestes. Ils ont pris position à Syrte – région stratégique qui leur permet de contrôler très rapidement l'ensemble des sites pétroliers et le débouché portuaire – et à proximité de Derna. Il n'y a pas de continuité territoriale dans leurs implantations, mais ils prennent leurs marques. Aussi nous efforçons-nous de disposer du plus grand nombre de capteurs possibles dans la zone pour suivre ce qui s'y passe en temps réel. Bien entendu, cette situation nous inquiète, mais un processus diplomatique est en cours – depuis quatre ans – sous l'égide des Nations unies, auquel nous voulons donner toutes les chances d'aboutir. Tous les efforts sont faits pour apaiser les divers protagonistes et réduire les livraisons d'armes. Mais la Libye est évidemment le sanctuaire idéal pour Daech, en raison notamment de sa contiguïté avec des pays – le nord du Mali, le Niger, le Tchad – où nous avons réussi, avec difficulté, à le maîtriser.

La diversification des profils est pour moi, madame Fioraso, un axe d'action majeur ; c'est, à terme, une des conditions primordiales de succès pour nos services de renseignement. Issu de la diplomatie, je suis frappé de constater à quel point on continue de sous-estimer la puissance du renseignement ouvert, surtout s'il est accolé à des informations obtenues par d'autres moyens. Décontextualiser le renseignement, c'est prendre le risque de s'égarer. Si tous les grands services de renseignement ont choisi de diversifier leurs recrutements, c'est que les grandes évolutions, en matière de sécurité, doivent s'appuyer sur des analyses intégrant tous les paramètres structurants. Disposer d'un tableau général de l'évolution de l'agriculture, du nomadisme ou encore du réchauffement climatique rend encore plus pertinents les renseignements ponctuels.

À travers son dialogue avec les meilleurs laboratoires, la DGSE est en mesure d'aider au recrutement d'ingénieurs performants. Si elles sont avérées, les discriminations à l'emploi dont vous avez fait mention sont à la fois inacceptables et suicidaires. Nos lacunes linguistiques entravent notre capacité d'analyse. Si tant de prétendus Syriens ont passé le filtre des postes frontières, c'est que personne n'était en mesure de distinguer les dialectes arabes régionaux dans lesquels s'exprimaient les demandeurs d'asile. Aurions-nous disposé d'agents arabisants en nombre suffisant que nous aurions pu les envoyer appuyer les Grecs, les Turcs et d'autres ; cela aurait sans doute changé la donne. Nous avons aussi besoin de spécialistes pour analyser les flux d'écoutes et le renseignement en général. J'évoquerai à nouveau la question avec les directeurs des services. J'observe que l'on peut recourir à des recrutements ponctuels pour faire face à des missions particulières mais que s'il s'agit de recrutements permanents, le processus d'habilitation est parfois assez long. Pour autant, ce n'est pas un empêchement dirimant, suffisant pour refuser des compétences aussi rares et précieuses.

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Les attentats du 13 novembre dernier ont suscité le même choc en France que les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Ces attaques sont des actes de guerre diffuse ; elles nous obligent à concevoir une doctrine de sécurité globale dépassant la stricte sécurité militaire. Ce continuum entre sécurité intérieure et sécurité extérieure nous conduit à nous interroger sur les moyens de mieux anticiper les risques et sur les défaillances de nos services de renseignement dans le combat contre le djihadisme de troisième génération. Pour renforcer l'efficacité de nos services, vous avez évoqué la fusion des services, le renforcement de la coopération européenne et la définition d'un plan de déradicalisation efficace. Mais les services de police et de gendarmerie avaient une tradition de surveillance du territoire ; ne pensez-vous pas qu'il convient de réorienter leurs missions vers cet objectif ?

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Depuis 2012, avant les attentats, nous avons recréé le renseignement territorial, car il était apparu que la fusion entre les renseignements généraux et la direction de la surveillance du territoire était cause de difficultés. Que pensez-vous de la reconstruction de ce service ? Son maillage, qui ne peut être que progressif puisque les nouveaux agents doivent être formés, est-il suffisant ? Faut-il, selon vous, en revenir aux méthodes des anciens renseignements généraux – renseignement politique exclu, bien sûr ? Comme ma collègue Geneviève Fioraso, je pense la diversification des recrutements insuffisante ; l'infiltration est un exercice particulièrement compliqué, et il est nécessaire de s'adjoindre les compétences linguistiques quand elles existent. À l'invitation du département d'État, j'ai visité cet été le Centre national du contre-terrorisme, où l'on ne pratique que l'analyse. Peut-on imaginer la création d'un service analogue en France ou considérez-vous que l'organisation actuelle des services suffit ?

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Mon inquiétude tient au recrutement des surveillants pénitentiaires. Ainsi, au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure, la femme d'un de ceux qui gardent les prisonniers les plus dangereux est voilée ; d'autres jeunes recrues parlent en arabe vernaculaire avec les détenus, ce qui crée des clivages redoutables au sein des équipes. Que dire encore des portiques de détection qui ne fonctionnent pas au moment des visites ? Que penser du fait que l'administration pénitentiaire ne peut utiliser ses chiens lors de certaines missions et qu'elle doit faire appel à la gendarmerie ?

Pour ce qui est de nos alliances, il est assez surprenant de constater que tout se passe comme si l'on n'écoutait jamais les discours de M. Erdogan ; ils sont pourtant assez clairs. D'autre part, il est inquiétant d'apprendre que nous sommes à ce point dépendants d'une source unique de renseignement – les États-Unis, qui jouent un jeu extrêmement dangereux et qui sont en grande partie responsables de ce qui se passe aujourd'hui en Syrie, comme ils l'ont été en d'autres temps de la création d'Al Qaïda. Daech compte en son sein 5 000 combattants tchétchènes, et je n'oublie pas les enfants assassinés à Beslan ; dans ce contexte, avez-vous enfin pris des contacts avec vos homologues russes et se renforcent-ils ? Étant donné le revirement de la politique étrangère française, échangerez-vous des officiers et des informations avec les services de Bachar el-Assad ?

Le combat qu'il nous faut mener est avant tout idéologique, et l'emploi du terme « radicalisation » fait le jeu des islamistes. Pour moi, il y a une rupture idéologique, psychologique et théologique, en particulier avec le wahhabisme, ce poison du sunnisme. Or, nous agissons toujours en réaction. Que proposez-vous en matière de guerre psychologique, pour empêcher que certains jeunes Français, dans une société sans transcendance et sans espoir, considèrent avoir la violence pour seul recours?

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Quel type de coopération s'engage avec les services russes en Syrie ? Il y a trois ans, le ministre des Affaires étrangères déclarait que le Front al-Nosra faisait du bon travail ; quel est l'état du renseignement sur cette organisation terroriste ? Quelle est votre position sur les forces de l'armée syrienne libre, et quelle est leur importance ? Après le scandale des écoutes de la NSA, quelles mesures ont été prises pour préserver notre sécurité ? Enfin, quels moyens sont prévus pour renforcer nos services de renseignement, sachant que deux ans sont nécessaires pour former un bon agent ?

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Didier le Bret, coordonnateur national du renseignement

Par facilité de langage ou par souci de mobiliser, on parle « d'actes de guerre » pour évoquer les attentats, mais si une action militaire est nécessaire, on sent aussi instinctivement, comme vous l'avez dit, monsieur Comet, que la question ne se résout pas par une réponse uniquement militaire et que, malheureusement, les problèmes sont aussi chez nous. En parlant de transcendance, M. Dhuicq rappelle que l'âge de 20 ans a toujours été un âge propice à des engagements radicaux, sectaires ou anarchisants ; c'est pourquoi Olivier Roy parle « d'islamisation de la radicalité ». Le combat est multiforme et complexe.

J'ai déjà évoqué non pas la fusion des services mais de certaines cellules opérationnelles, ainsi que de notre engagement européen, tous axes d'action importants.

Monsieur Rihan Cypel, j'ai rencontré le directeur du Service central du renseignement territorial. Il a entre les mains un outil précieux qui est appelé à s'associer de plus en plus étroitement à la communauté du renseignement, ne serait-ce que pour donner à ses agents la reconnaissance qu'ils attendent.

L'hypothèse de la création d'un centre national du contre-terrorisme soulève des questions complexes. Comme l'a souligné Mme la présidente, le changement ne peut être constant. Outre que son absence a pour vertu de permettre la consolidation des dynamiques déjà enclenchées, il est très difficile de faire face à l'urgence si l'on est dans une réforme perpétuelle. Les plateformes technologiques mutualisées créées par les Américains et les Britanniques, mises à la disposition de l'ensemble des services et dotées de bataillons d'analystes, sont de très belles mécaniques. Mais ce qui peut apparaître comme un schéma idéal est assez éloigné des structures historiques dont nous avons hérité. Peut-être faudra-t-il se rapprocher du modèle anglo-saxon même si l'on ne peut concevoir une réforme radicale de nos services dans la période actuelle.

Les prisons, monsieur Dhuicq, n'entrent pas dans mon champ de compétences. Cependant, on peut noter que les peines d'emprisonnement prononcées depuis un an à l'encontre des individus jugés coupables d'activités terroristes sont pour l'essentiel longues de huit à dix ans. Ces quelques 250 personnes deviendront dans trois à six ans, par le jeu des remises de peine, un sujet de grande attention pour les services de renseignement. Ce qui se passera en prison sera déterminant pour ce qui les concerne.

Les Américains ne sont pas notre seule source de renseignement. Nous avons noué un partenariat très étroit avec plusieurs partenaires, dont les Britanniques, qui sont associés à l'enquête menée sur les attentats du 13 novembre. Par ailleurs, il est essentiel de rappeler que la France dispose d'une capacité autonome d'appréciation de situation.

J'ai rencontré mon homologue russe. Les Russes se sont engagés en Syrie pour combattre Daech mais avec ces motivations diverses. Qu'un de leurs avions ait été abattu dans l'espace aérien syro-turc a renforcé leur détermination à faire mordre la poussière à Daech, mais leurs frappes visent également d'autres cibles. Aussi longtemps que la Russie n'aura pas fait la démonstration que son ennemi est Daech et que son intervention militaire ne vise pas à donner à Bachar el-Assad une marge de confort dans la négociation en lui permettant de reprendre pied là où, depuis deux ans, il était en train de perdre la bataille, nous ne parlerons pas de la même chose. Comme le président de la République s'y est engagé, nous sommes prêts à travailler avec la Russie mais, aussi longtemps que les éclaircissements nécessaires n'auront pas eu lieu, nous ne nous risquerons pas à nous aliéner tous les soutiens – et ils sont nombreux – d'une vaste coalition pour lutter contre Daech.

En l'état, il est exclu pour moi de reprendre la coopération avec les services de Bachar el-Assad. On ne peut pas accepter que nos services coopèrent avec d'autres services qui donnent des informations permettant de réprimer une population civile dans le sang, de la manière la plus abjecte. Si, demain, dans le cadre d'une transition politique, Bachar el-Assad sortait du jeu et que l'on puisse commencer de discuter avec des éléments du régime, il en irait autrement ; mais en aucun cas nous ne saurions faire quoi que ce soit qui reviendrait à justifier a posteriori ce qui nous a amenés au mur devant lequel nous sommes.

J'ai dit, monsieur Candelier, l'état de notre coopération avec les services russes. Le Front al-Nosra fait partie de la liste des organisations terroristes dressée par l'Organisation des Nations unies ; personne ne le conteste, et certainement pas la France. L'armée syrienne libre est une composante régulière de l'opposition armée au régime de Bachar el-Assad que nous soutenons. Plus que jamais, il faut éviter un choc frontal qui ferait disparaître l'opposition modérée, laissant à choisir entre la peste – Bachar el-Assad – et le choléra – Daech. L'intervention russe a rebattu les cartes.

Les chiffres relatifs au renforcement des services de renseignement, en effectifs et en moyens, que je vous ai donnés montrent qu'un seuil jamais atteint au cours de la décennie écoulée a été franchi. La durée de formation des agents varie selon les spécialités ; elle peut atteindre cinq ans pour la contre-ingérence.

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.