Intervention de Marie-Anne Chapdelaine

Séance en hémicycle du 19 janvier 2016 à 15h00
République numérique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Anne Chapdelaine :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, les usages numériques évoluent à une vitesse insoupçonnée, bien souvent en dehors de toute prévision.

Ce contexte particulier nous oblige. Nous devons faire preuve d’une rigueur extrême dans les valeurs que nous voulons défendre, afin qu’elles ne soient pas négligées dans le quotidien des pratiques – qu’il s’agisse des pratiques des administrés, des entreprises, des associations ou des collectivités. Nous devons aussi définir un cadre précis, mais souple, afin de donner au droit une force essentielle, celle de répondre aux situations et aux évolutions dans la réalité de leurs faits.

Ce projet de loi marquera la législature, car il modifiera le quotidien de chaque citoyen, sans que ce dernier en ait une conscience immédiate. Cela monte d’un cran l’exigence qui s’impose à nous.

Comme le déclarait John Perry Barlow dans sa déclaration d’indépendance du cyberespace : « Nous créons un monde où tous peuvent entrer, sans privilège ni préjugé dicté par le pouvoir économique, la puissance militaire ou le lieu de naissance. » Forte de ces nouveaux usages, Mme la secrétaire d’État a engagé une procédure extraordinaire – au sens premier du terme.

Nos usages, parfois un peu ancestraux, ont été bousculés. Les contributions les plus soutenues ont été entendues par le ministère et des propositions citoyennes sont reprises dans le projet de loi. Je salue la secrétaire d’État pour ce pari. Ce qui part en biais arrive en biais. Ce qui débute avec détermination et rigueur arrive avec succès et audace. Madame la secrétaire d’État, je vous adresse, ainsi qu’à vos équipes, mes félicitations.

À cette procédure innovante se joint un contenu qui l’est tout autant. La loi de 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, a marqué nos esprits et le droit. Notre projet de loi marquera tout autant notre ordre juridique, pour plus de droits et de confiance des internautes, du plus occasionnel au plus investi. En cela, il s’inscrit dans le prolongement des nouvelles règles issues de la loi relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations publiques, défendue par la secrétaire d’État chargée de la réforme de l’État et de la simplification.

La transversalité du projet de loi est sans doute ce qui lui a permis d’être crédité d’un intérêt aussi prononcé : plus de 500 amendements ont été déposés. On peut d’ores et déjà dire, à ce stade de la procédure, que ce texte a été capable de relever les défis qui lui étaient imposés par son intitulé même – « République numérique ».

Le projet de loi doit également beaucoup au travail minutieux et attentif de Luc Belot. En effet, lors de la période d’auditions, le rapporteur a tout fait pour entendre chacun, n’écarter aucune problématique, traitant de la neutralité de l’internet jusqu’au secret des correspondances, en passant par l’open data. Sa force de travail et son expertise m’ont impressionnée. Je salue cet investissement, tout comme celui des rapporteurs pour avis, Mme Corinne Erhel, Mme Hélène Geoffroy et M. Émeric Bréhier. Je n’oublie pas Mme Marietta Karamanli, auteure du rapport d’information de la commission des affaires européennes.

Le projet de loi s’organise autour de trois axes : favoriser la circulation des données et du savoir, oeuvrer pour la protection des individus dans la société numérique, garantir l’accès au numérique pour tous.

La circulation des données et du savoir va en effet passer à une étape supérieure par son ouverture. La logique de la loi CADA de 1978 sera inversée. Auparavant, chacun était en droit de demander un document à l’administration et, le cas échéant, de recourir à la CADA pour faire valoir son droit d’accès aux documents. Désormais, les administrations devront, par principe et spontanément, mettre en ligne, dans un format facilement réutilisable, les données présentant un intérêt économique, social ou environnemental. L’accès aux documents sera donc gratuit.

La publication des données en ligne a vocation à permettre, outre la simplification des démarches des citoyens, le développement des entreprises liées à l’exploitation des données publiques en ligne. Parce que les données représentent l’or noir du XXIème siècle, ce texte consacre un véritable « service public de la donnée » afin de garantir aux citoyens, aux administrations et aux entreprises un accès à des données de qualité. Des dispositions seront également consacrées à l’accès aux données issues de la recherche financée par des fonds publics, faisant ainsi nôtre cette citation de Bernard Stiegler, philosophe français, directeur de l’Institut de recherche et d’innovation : « L’intelligence collective est devenue la principale valeur économique. »

Pour ce qui concerne la nécessaire et désormais indispensable protection dans la société numérique, il convient de déployer un ensemble de dispositifs. Leur synergie sera gage de sécurité pour les utilisateurs.

Ainsi, la neutralité du net sera inscrite dans la loi, imposant aux opérateurs du numérique de garantir un accès égal et non discriminatoire aux réseaux. L’ARCEP, muni d’un pouvoir général de sanction, sera le garant de cette application. À cette avancée majeure se rajoutera un droit à la portabilité des données, la consécration du principe de loyauté des plateformes et le renforcement de la protection de la vie privée en ligne. Enfin, le droit à l’oubli pour les mineurs, tant attendu, est reconnu.

Le troisième et dernier volet du projet de loi a trait au développement du numérique. Nous débattrons des voies et moyens d’en faciliter le développement en tout point du territoire, comme de son accès aux publics les plus fragiles. Le handicap, notamment, sera mieux pris en compte. Les services publics auront obligation d’afficher sur leurs sites et applications mobiles leur conformité ou non aux règles d’accessibilité, sous peine de sanction pécuniaire. De nouveaux usages émergeront également, comme le recommandé électronique ou le paiement – donc les dons – par SMS.

Qui dit « révolution » dit « interrogations ». Ce projet de loi soulève inévitablement quelques difficultés, des résistances, souvent légitimes, et à la mesure des enjeux.

Parce qu’un geek ne vieillit pas – il se met à jour –, je salue l’état d’esprit collaboratif et constructif qui a régné lors de l’examen en commission, et ce sur tous les bancs.

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